Bac perverti, travesti en concours, filière en déshérence…

La réussite au baccalauréat est censée garantir l’acquisition d’un niveau minimal permettant de poursuivre des études supérieures, tout bac en ouvrant de droit les portes, sauf en filières dites sélectives. La massification aidant, cet examen a perdu tout sens. En effet, la question des quota, lancée avec les 80% de réussite au bac, a perverti tout le système. Pour répondre à un tel objectif, deux moyens ; soit une réelle formation, soit la mise en place d’une barre, c’est-à-dire d’un pourcentage à obtenir obligatoirement, quel que soit le niveau des candidats. La barre étant placée, il faut donc se trouver dans le bon pourcentage, ce dernier n’étant d’ailleurs pas forcément le même selon les académies, les filières et les disciplines.

Diplôme

Prendre un ratio déterminé de candidats, c’est bien ce qui définit un concours. Restent à fixer les modalités de recrutement, puisqu’il s’agit bien là d’un recrutement dont les objectifs sont purement sociopolitiques et indépendants du niveau requis. L’atteinte d’un quota remplace donc l’évaluation d’acquis déterminés. A cela s’ajoutent les changements de modalités d’évaluation (qui pourraient être légitimes avec d’autres objectifs) et la nécessité de lisser au mieux les inégalités entre académies. Il s’agit donc de faire en sorte que des académies comme celle de Créteil, qui regroupe les départements les plus défavorisés de la couronne parisienne, ne soient plus stigmatisées. Et la fin justifie les moyens ! C’est le cas aussi pour certaines filières, comme la filière Sciences et Technologies de la Santé et du Social, qui pose de très sérieux problèmes dans un silence écrasant. Les méthodes employées vont de la rédaction et du choix des sujets à l’élimination a posteriori de questions auxquelles moins de candidats ont répondu, en passant par la multiplication des notes obtenues par un facteur déterminé, ou encore l’augmentation, a posteriori et sans son accord, des notes mises par tel ou tel correcteur. Tout cela par l’intermédiaire d’une discipline de réajustement à fort coefficient, corrigée en dernier, pour assurer le quota requis. Pour bien comprendre la perversion du système, il est donc inévitable d’aborder quelques aspects un peu techniques.

Un faux argument : la constante macabre

Curieusement, juste avant l’examen, des enseignants ont pu recevoir un courriel de leur inspecteur, insistant sur les effets pervers de ce qui a été dénommé par André Antibi “la constante macabre”. Le raisonnement part du principe que tout correcteur ou examinateur, en France, s’organise autour d’une répartition précise de ses notes, i.e. la nécessité, pour qu’une évaluation soit validée, d’avoir un pourcentage déterminé d’échecs, quelles que soient les qualités du professeur et des élèves. Tout le discours d’André Antibi est basé sur ce paradigme. D’où, assure-t-il, la nécessité d’en changer. “Imaginons, dit-il un professeur excellent, avec des élèves excellents. Si, dans un tel contexte, toutes le notes sont bonnes – elles devraient l’être bien sûr -, le professeur est suspecté de laxisme.” Et il affirme qu’un tel paradigme pourrit tout le système éducatif français.

Or, si une telle réalité peut effectivement exister, et s’il a raison sur bien des points (voir le site dédié) on est là bien loin d’une réalité fondatrice des inégalités sociales. C’est bien au contraire la surévaluation, le refus de transmettre et d’évaluer de vrais savoirs et de vraies compétences et la démagogie de la note qui forment le vrai paradigme actuel, avec comme objectif de départ de garder les jeunes à l’intérieur des lycées et comme point d’horizon le pourcentage de réussite au bac, voire le pourcentage de réussite en licence (50% de la population jeune d’après les objectif envisagés). Si André Antibi n’a effectivement pas tort sur tous les points, il est quand même curieux qu’un inspecteur envoie juste avant un examen ce type d’information, alors même que la hiérarchie impose une politique des quotas avec tous ses effets pervers. Et, il faut bien le dire, l’acceptation, voire le soutien de l’ensemble des examinateurs, donc des personnels enseignants qui y trouve là une occasion de plus de ne pas penser. Un point avec lequel on peut être d’accord est le refus par une majorité d’enseignants de remettre en cause la validité de notes auxquelles on peut faire dire ce qu’on veut et de réfléchir sur une politique éducative complètement désadaptée à la massification, puisqu’héritée de la formation d’une élite. Mais on ne peut qu’inviter André Antibi à revenir observer de près la réalité de filières, de lycées et d’académies où la règle est complètement à l’opposé de ce qu’il dénonce. La perversion d’un tel discours, par d’autres que son auteur, mène au contraire à des pratiques purement démagogiques, donc garantes des inégalités. Où chacun, hiérarchie, administrations, enseignants, élèves et parents, y trouve finalement un compte bien mal analysé. Mais du coup, omerta aidant, le système peut survivre.

Un exemple caricatural : le bac Sciences et Technologies de la Santé et du Social

Cet intitulé ronflant, adopté depuis la dernière réforme, rend plutôt compte de l’adage affirmant que plus on en dit, moins on en fait. Et, de fait, en termes de sciences, il ne reste plus grand-chose. Trois épreuves, dites technologiques, se voient affecter un coefficient 7, le plus fort, dont une épreuve dite de Biologie Humaine et Physiopathologie qui sert actuellement de variable d’ajustement, comme dit plus haut. Les méthodes employées y sont citées et ont été déjà dénoncées dans des chroniques précédentes (ici, ici et ici). Sans de telles méthodes le niveau des candidats, dans l’académie de Créteil notamment, ne conduirait sans doute qu’à des pourcentages de réussite inférieurs à 50%, ce qui n’est politiquement pas acceptable.

Cette année 2015 a vu d’autres pratiques, plus cachées, plus perverses et qui peuvent résonner de manière bien ambigüe puisqu’imposant une concurrence entre examinateurs, concurrence qui se situe non pas au niveau des compétences mais bien de la soumission et de l’obéissance aux injonctions de démagogie d’évaluation. Et de fait, sous prétexte d’harmonisation, ont été remontées d’un point après correction, contre leur volonté malgré les menaces de sanction (a priori une retenue d’une journée sur salaire) les notes de certains examinateurs, ceux dont la moyenne était inférieure d’environ 1 point à celles les plus élevées. Soulignons que, du fait de la construction du sujet, de l’extrême pauvreté en termes de connaissances et de la pseudo évaluation par compétences, peuvent cependant avoir la moyenne des candidats n’ayant aucune base, un niveau de confusion extrême et de graves difficultés d’analyse. Par ailleurs, bien que les copies soient de candidats différents donc éventuellement d’établissements ou de classes différentes, il est demandé de fait que les examinateurs aient tous attribué la même moyenne.

On voit bien là la perversion du système et la conséquence d’une politique délibérée de soumission et de dévalorisation des personnels. Et on voit bien là également la perversion des notion de constante macabre et d’évaluation par compétences. D’ailleurs, nouveauté, les inspecteurs n’ont plus à faire le travail eux-mêmes, la tâche étant confiée à des enseignants “coordonnateurs”, petits chefs soumis, qui affirment clairement ne pas vouloir se poser de questions et surtout “ne pas avoir d’histoires”. Comme le disait ce chef d’établissement adjoint déjà cité en regard des nouvelles politiques managériales à l’Education Nationale : “un fonctionnaire ça obéit ou ça va vendre des carottes”. Eh oui ! Et un fonctionnaire, sous Vichy ? Ces nouvelles organisations, l’immoralité de ce qu’on demande aux examinateurs (il faut lire les copies pour le savoir !) évoquent de bien mauvaises heures passées et à venir.

Pour avoir une plus complète approche de cette réalité, il faut également aborder la question du sujet et de son évaluation dite pompeusement “par compétences”. En ce qui concerne le sujet lui-même, il suffit d’écouter le discours de candidates en sortie d’épreuve : “mais on nous prend pour des c….. ?”. En effet, le niveau en est indescriptiblement bas, le sujet étant construit autour de pseudo scénarios qui ne reposent sur aucun fond : une première partie basée sur “un coup de foudre orageux” pour aborder de pseudo questions sur une pseudo cardiologie, la deuxième basée sur “un coup de foudre amoureux” pour des questions concernant la fonction de reproduction. Le ridicule n’a effectivement jamais tué ! Si on ajoute à cela que la plupart des réponses sont dans le sujet lui-même…

Quant à l’évaluation par pseudo compétences, l’exemple ci-dessous en montrera toute l’inanité :

– question identifier parmi les schémas du document 4 (ci-dessous) celui correspondant à une thrombose.CaillotRéponse attendue : schéma B. Compétence évaluée : mobilisation des connaissances fondamentales (sic !!!), pour le sixième des points attribués !!! Ceci est censé évaluer les acquis d’un enseignement de 5 heures par semaine en classe de première et de six en classe de terminale avec des programmes très lourds et très incohérents. Et on s’étonne que les candidat(e)s aient ce fort sentiment d’être pris(es) pour des imbéciles ! Tout le reste est du même ordre.

La gravité des choses

Elle se situe à plusieurs niveaux, humain avant tout, mais aussi social et politique. Une telle déconsidération est largement intériorisée par l’ensemble des élèves qui, de ce fait, vivent une lourde dévalorisation qui résonne souvent avec des sentiments plus personnels. Le niveau de souffrance qui en résulte est difficilement acceptable, quelle que soit la manière dont les élèves la gèrent.  L’extrait ci-dessous d’un article paru en 2014 sur libération.fr en fait déjà état :

“Quant aux relations avec les adultes, environ un écolier, collégien ou lycéen sur quatre avoue que certains adultes lui font peur. Un climat scolaire propice au stress qui peut expliquer le fait que près d’un élève sur deux se déclare parfois angoissé de ne pas réussir assez bien à l’école. D’après l’Unicef, «la probabilité d’éprouver cette angoisse renvoie, au moins partiellement, à des déterminations sociales», et «on peut faire l’hypothèse [que ces jeunes angoissés] ont intériorisé à la fois l’importance de l’école pour améliorer leur situation et préparer leur avenir et qu’ils font en même temps l’expérience de leurs difficultés à atteindre le même niveau que les autres enfants et adolescents dans un contexte où ils se sentent moins bien préparés à cette compétition.» Il s’agirait donc là d’une conséquence de la culture du classement et de la compétition qui règnent dans le système éducatif français. «Loin de compenser les inégalités entre les enfants, le système scolaire creuse l’écart», estime le rapport.”

La dévalorisation porte aussi sur la filière dans son ensemble. Il est évident que le niveau de confusion créé du fait de l’enseignement (élimination des notions fondamentales et incohérence des programmes et marketing pédagogique) et les pratiques d’évaluation et d’attribution de l’examen final conduisent à une baisse de niveau extrêmement grave depuis quelques années et telle qu’il devient très difficile, sinon pour quelques uns, de poursuivre de réelles études. Au sentiment de dévalorisation se rajoute alors un douloureux mais légitime sentiment de “plafond de verre”. Mais, bien sûr, omerta aidant, aucune étude n’est publiée sur le devenir de ces jeunes après le bac. Existent-elles seulement d’ailleurs ? A partir du moment où les apparences sont sauves et qu’il est possible de publier chaque année la belle augmentation des résultats au bac, l’institution a, semble-t-il, fait son travail. Qu’en est-il, enfin, d’une société qui maltraite ainsi sa jeunesse ? Quel avenir pour la démocratie, si tant-elle qu’elle nécessite des citoyens libres, c’est-à-dire possesseurs de savoirs ? Ou le rôle de l’institution se confirme-t-il comme étant le fournisseur de consommateurs serviles et dépourvus de pensée ? Et quel prix politique paie-t-on et va-t-on payer pour cela ?

 

Quelles solutions pour sauver cette filière ?

Essentiellement reconstruire très sérieusement les programmes, en remettant en place et en insistant sur les fondamentaux, pour éviter ce niveau général de confusion tel que la majorité des élèves ne peuvent s’en sortir. Il faut impérativement cesser avec le marketing pédagogique pour redonner aux jeunes de vrais savoirs et de vrais savoir-faire. Une évaluation par compétence pourra être mise en place, mais à condition que les acteurs de cette mise en place soient réellement compétents eux-mêmes dans cette approche et formés. A condition surtout, qu’elle n’élimine pas les savoirs et qu’elle soit intellectuellement exigeante envers elle-même et envers les jeunes qui pourront alors retrouver un minimum d’estime d’eux-mêmes.

Malheureusement, les évaluations au bac et les nouveaux manuels et autres cahiers vont très clairement dans une direction opposée, au grand détriment de la jeunesse dont le devoir de l’institution serait de prendre soin.

Le Gypaète barbu

 

A lire :

80% au bac… et après ? , Les enfants de la démocratisation scolaire, Stéphane Beaud, Essai (poche), 10/2003

Prendre soin, de la jeunesse et des générations, Bernard Stiegler, Flammarion (2008).

Pour lire et relire les anciennes chroniques :
dans l’ordre chronologique : ici
dans l’ordre chronologique inverse : ici

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Protected by WP Anti Spam