Dans la chronique précédente, à propos de l’ « affaire d’Orléans », l’interview de Madame Geneviève Fioraso, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, avait été proposée pour la délicieuse écoute d’un monument de langue de bois. Extrait ci-après :
La réponse à la Ministre se trouve dans les consignes données aux jurys de Biologie Humaine en série Sciences et Techniques Sanitaires et Sociales dans une académie également donnée comme très défavorisée, l’Académie de Créteil, comme le montre ce mail envoyé à tous les correcteurs par leur inspecteur ! Suivent les consignes, toujours envoyées par mail, d’un vice-président de jury. (Note : le bac étant théoriquement le premier examen d’entrée à l’université, le président de jury est un universitaire, rémunéré, jamais présent ; le vice-président, un enseignant du secondaire hiérarchiquement soumis à son inspecteur et , lui, non rémunéré, assume toutes les charges correspondant à l’organisation et à la bonne marche de son jury.)
Mail de l’inspecteur chargé de l’examen dans la série
> Date: Tue, 25 Jun 2013 00:17:20 +0200
> From: .
> Subject: Synthèse partielle des retours de résultats et consignes
>
> Bonsoir à tous,
>
> merci à vous tous pour le retour des synthèses des premiers résultats
>que vous nous avez fait parvenir en cette fin de journée. Avec X et Y nous avons pu >relever, à l’appui de vos commentaires, des difficultés redondantes sur de nombreuses >questions pouvant potentiellement impacter sur la notation finale d’une copie.Par >ailleurs, le premier retour des moyennes montre pour de nombreux centres une moyenne (certes encore peut-être pas assez représentative de tous les candidats) trop >souvent inférieure à 7!!!
> Par conséquent, nous vous sollicitons pour que vous fassiez une >simulation des résultats en divisant par 80 mais aussi par 65. D’ici >vendredi, si vous continuez à nous faire parvenir vos résultats, nous acterons si oui >ou non nous retenons la simulation qui correspond à la division par 65 ou si nous >maintenons par 80. Nous associerons à cette décision une synthèse de vos >commentaires et remarques qui >argumentera celle-ci.
>
> Je vous souhaite bon courage pour la suite de vos travaux.
> Bien cordialement.
> M…………..
>Inspecteur d’académie – Inspecteur pédagogique régional
Vous remarquerez qu’intelligemment, cet inspecteur se décharge des motivations de réévaluation pour les mettre à la charge des correcteurs, ce qui évite d’en donner les vraies raisons.
Mail du vice-président d’un jury, retransmettant les consignes aux correcteurs
Premier mail :
Bonjour,
voici en pièce jointe les fichiers pour corriger.
Pour mémoire :
1) corriger quelques copies d’ici ce soir (avant 17h30 / 18h00)
2) me renvoyer le fichier correspondant avec les notes : grille correction 2013 qui est en pièce jointe
3) j’envoie le tout aux inspecteurs qui demain matin m’informent des modifications éventuelles de barème ; je vous retransmets l’info
4) finir de corriger dans la semaine de façon à me renvoyer les deux fichiers (bilan notes 2013 et grille correction 2013) pour vendredi soir
5) j’envoie le tout aux inspecteurs qui valident durant le week-end ou proposent des modifications éventuelles de barème ; je vous retransmets l’info
6) lorsque nous avons la validation, rentrer les notes par internet (voir procédure sur la feuille fournie avec les copies)
7) revenir jeudi pour le jury sans oublier de rapporter les copies !
Merci de votre aide et bon courage pour les corrections.
Deuxième mail (suite aux consignes de l’inspecteur) :
Bonjour,
M…….. nous demande de continuer à lui faire parvenir nos résultats chaque soir. Il vous suffit de m’envoyer chaque soir votre feuille de calcul que je lui retransmettrai (chaque jour vous reprenez la même feuille que la veille en la complétant avec les résultats du jour ; pas la peine de faire une nouvelle feuille chaque jour).
Je vous envoie le nouveau tableau que M….. m’a envoyé. Pour aller au plus vite (et vous éviter de chercher ce qui a changé) , ce nouveau tableau intègre les deux calculs demandés : division par 80 (colonnes H et I) et division par 65 (colonnes J et K). Il faut utiliser ce tableau plutôt que l’ancien fourni hier pour rentrer les notes (et me les envoyer le soir…).
Bon courage pour les corrections !
X…..
A ces « ajustements », comme le dit si bien Madame la Ministre ou ses « collègues », il faut rajouter une modification a posteriori des barèmes partiels de l’épreuve en fonction de la réussite ou non aux différentes parties de façon à augmenter les proportions dans les questions où les candidats ont le mieux réussi. A cela il faut rajouter les points dits « bonus » qui font que les notations dépassent effectivement le total théorique. On rappelle ici que les notes (théoriquement sur 80 d’après la grille) doivent être ramenées sur 20, mais arrondies au point supérieur, et que l’ordinateur se charge, lui, de les coefficienter, donc de les multiplier par 7. Pour la suite des événements (jurys et oraux), se rapporter à la chronique précédente.
Certes le sujet de Biologie Humaine était, cette année, quoique extrêmement facile, moins pervers que celui de l’an dernier ou que ceux de Physique ou de Mathématiques cités dans la précédente chronique. Il n’en reste pas moins que les notes attribuées, même avec une correction « à la grille » ne correspondent même pas à la réalité des copies. L’analyse de tels résultats a par ailleurs été faite très largement dans cette chronique depuis quelques années. Elle pourrait être complétée en d’autres temps, la responsabilité n’incombant qu’en petite partie aux élèves comme cela a été très souvent souligné, mais elle mettrait alors gravement en cause la pratique (consciente ? acceptée ? volontaire ?) de renforcement des inégalités, notamment grâce aux programmes, à la fois de l’institution, des cadres qui y agissent (« un fonctionnaire ça obéit ! », à moins que ça ne participe joyeusement !) des enseignants et examinateurs par passivité, absence de pensée ou intérêt (pour une minorité), et de l’ensemble des acteurs (élèves et parents qui, souvent, eux aussi, savent).
Non, Madame la Ministre, il ne s’agit pas de rétablir une égalité de notation entre diverses académies. Non, Madame la Ministre, il ne s’agit pas d’avoir un œil critique et d’analyser des méthodes d’évaluation. Il s’agit bel et bien d’ajuster des notes à un pourcentage de réussite fixé au préalable et ce, quelque soit la qualité des copies ou l’extrême faiblesse des candidats, elle qui rend compte de manière bien trop explicite du système dont ils pâtissent lourdement.
Laissez les lycéens passer le bac tranquillement dites-vous ? Et cela sereinement ? Comment pouvez-vous ? Est-ce vous ou vos recteurs et inspecteurs de tout poils qui reçoivent des élèves, parfois en larmes sachant bien et exprimant clairement qu’ils ne comprennent rien à ce qui est écrit dans des sujets pourtant simplissimes ? Est-ce vous et vos sbires qui, à travers les copies, ne peuvent que constater, ce qu’ils constatent d’ailleurs toute l’année, les extrêmes difficultés qu’éprouvent les élèves dans la maîtrise de la langue (vocabulaire, sens des mots et des phrases surtout, qui rendent un texte simple incompréhensible) ? l’absence de maîtrise remarquable et assez générale de la notion de temps ? l’impossibilité d’effectuer un repérage sur un graphique ou d’effectuer un calcul simple ? Mais n’est-ce pas normal quand une jeune correctrice de cette discipline demande innocemment en plein jury que les calculatrices soient autorisées, citant la division de 60 par 0.85 demandée dans le sujet et affirmant qu’elle-même ne saurait la faire, même en la posant ?
Enfin est-ce vous Madame la Ministre qui, évoquant le grand nombre d’échecs dans le supérieur, ou le trop faible recrutement, en Institut Universitaire de Technologie, de ces jeunes sortant des filières technologiques, est-ce vous, Madame la Ministre, qui en recevez en pleurs après leur échec en supérieur, ayant pris alors la réalité en pleine face ? Il serait bon de lire ou de relire les 80% au bac et après ? de Stéphane Baud (Editions de la Découverte – 2003). Et que dire de ceux qui, ayant acquis les savoirs nécessaires peuvent échouer là où réussissent d’autres qui n’ont que la compétence de s’adapter au système ?
Avez-vous pensé au stress des candidats avant l’examen ? à la joie de la réussite (qui confine parfois à l’hystérie), notamment dans un contexte médiatisé et marchand largement entretenu ? et à la chute qui suit, l’année d’après, lorsque la réalité, dans les études ou la réalité ou l’absence de réalité professionnelle vient frapper tous ces jeunes de plein fouet ?
Enfin, avez-vous seulement pensé au coût politique et social d’une telle entreprise ?
Non, Madame la Ministre, ce qu’on fait faire aux enseignants et aux correcteurs est parfaitement immoral, quoiqu’en dise votre langue de bois.
Le gypaète barbu