Joyeuses histoires à lire en diligence

Tout (?) Mulhouse lit, le wagges aussi .La dernière fois, je vous proposais, puisqu’il était question de musique, un extrait des Tilleuls de Lautenbach de Jean Egen : Le petit alsacien et Richard Wagner .

Le thème de cette année est consacré au(x) voyage(s). Comme chacun le sait et contrairement à ce que l’on laisse supposer, on ne voyage pas toujours, loin s’en faut, que pour son agrément. Et ces voyages ne sont pas tous solitaires.  Restant dans le littérature de notre région, le plus souvent plutôt oubliée, nous avons choisi cette année, une livre qui tient compte de ses aspects, le Rollwagenbüchlin (Le livre du coche 1555), de l’écrivain colmarien Jörg Wickram, traduit en français sous le titre Joyeuses histoires à lire en diligence

En voici l’avertissement au lecteur :

Ce petit livre inédit renferme moult farces et histoires destinées à être racontées à nos heures perdues, que nous soyons sur les routes ou sur l’eau, chez le barbier ou aux bains.
Elles fortifieront les esprits mélanco­liques et pourront être lues et entendues sans nulle offense par qui que ce soit sans restriction d’âge.
Elles sont dédiées à tous les marchands qui se rendent sur les foires, dans le dessein de les divertir.
Elles ont été recueillies par Jörg Wickram, greffier à Burkheim, en l’an de grâce 1555.

C’est un livre racontant des histoires dans le but de divertir, d’éviter l’ennui mais plus encore la grossièreté des échanges de la part de ses compagnons de voyage. En ce sens, il a quelque actualité surtout depuis l’invention du téléphone portable dans lequel on s’époumone à raconter pour qui veut l’entendre la banalité de sa vie privée sans égard pour ceux qui partagent le compartiment.

Je vous propose l’une de ses histoires, celle de deux compagnons qui partirent ensemble à la guerre. L’un est revenu riche, l’autre aussi pauvre qu’avant …

Histoire de deux lansquenets qui partirent ensemble à la guerre

Deux bons compagnons partirent ensemble à la guerre. Mais une fois enrôlés, et après avoir prêté serment, leurs bataillons furent envoyés, comme cela arrive souvent, à deux endroits distincts si bien qu’ils se perdirent de vue jusqu’au moment où, après avoir livré bataille, on leur donna leur congé.
Sur le chemin du retour, ils se rencontrèrent par hasard sur la route et voyagèrent ainsi un ou deux jours ensemble tout en se racontant longuement ce qu’ils avaient vécu. L’un était devenu très riche et avait accumulé beaucoup d’argent et de bijoux. Quant à l’autre, il ne possédait rien.
Le riche se moqua de lui : « Comment t’es-tu débrouillé pour ne jamais rien avoir amassé?
Je me suis accommodé de ma solde, répondit le pauvre, je n’ai pas joué au jeu ni dépouillé les paysans de leurs biens, j’avais trop pitié d’eux.
Ah, je vois! répliqua l’autre, tu es de ces guerriers à qui saint Jean Baptiste dans le désert a prêché qu’il fallait se contenter de sa solde!
Oui, repartit le pauvre, et je pense que c’est très bien comme ça.
Que nenni, mon très cher ami, répondit l’autre, ce temps est révolu! Les choses vont autrement aujourd’hui. Si tu verses dans la compassion et que tu ne mets pas la main à l’ouvrage, tu ne feras jamais rien de ta vie! Prends-moi en exemple. Moi, je ne me suis pas Privé de vider des coffres, d’en subtiliser d’autres. Ce que tu trouves, tu le prends, et ne t’attache jamais trop à qui que ce soit! »
Le pauvre réfléchit. Le hasard fit qu’ils dormirent la nuit dans la même chambre. Le pauvre prit bonne note de l’endroit où le riche posa son sac et ses bijoux, se leva discrètement à minuit, déroba à son compagnon une chaîne en or et dix florins environ puis s’enfuit avant le jour.
Lorsque, à son réveil, l’autre ne trouva plus son compère à ses côtés, il sut de suite qu’il était arrivé quelque chose. Il empoigna sa besace et vit qu’il lui manquait une chaîne et de l’argent. Il se mit à sa recherche, l’attrapa à Nuremberg et le fit jeter en prison.
Lorsqu’un vénérable édile demanda au prisonnier de s’expliquer, il donna comme toute réponse: « C’est lui qui me l’a ordonné. » L’autre nie, le prisonnier ne veut pas en démordre.
Le pauvre comparut devant le Conseil et fut sommé de leur exposer clairement comment on avait pu lui ordonner une telle chose. Le pauvre leur raconta que l’autre avait voulu lui donner une leçon, qu’il ne devait avoir de compassion pour personne et qu’il devait se servir quand il tombait sur quelque chose. C’est ce qu’il avait fait, car
jamais il n’aurait pu trouver aussi vite meilleure aubaine que son compagnon lorsqu’ils avaient partagé la même chambre !
Le Conseil décida qu’il devait lui rendre la chaîne en or mais qu’il pouvait garder l’argent afin qu’il puisse se nourrir en route. Quant à l’autre, il lui fut interdit d’enseigner comment s’enrichir.

Jörg Wickram : Joyeuses histoires à lire en diligence
PRIX DU PATRIMOINE NATHAN KATZ 2011
Traduit de l’allemand du XVIe siècle et présenté par Catherine Fouquet
Collection Cahiers d’Arfuyen n°199, 194 pages

Le petit alsacien et Richard Wagner

Comme tout (?) Mulhouse, je lis.
Parfois, je relis.
Et je numérise.
C’est décidé, d’ailleurs, je vais m’acheter une liseuse numérique. Faut-être de son temps.

Je vous offre pour la circonstance, puisqu’il est question de musique dans l’édition 2011 de “Tout Mulhouse lit”, cet extrait des Tilleuls de Lautenbach de Jean Egen.

A la maison, l’oncle lui offre un autre émerveillement. Il s’enferme avec lui dans son bureau, met un disque sur le phonographe (en Alsace, on dit d’r Grammophon),remonte la manivelle et dit gravement : « Écoute! »
Alors s’élève une étrange musique qui semble venir, comme les arbres, du fond de la terre et se perdre, comme eux, dans le fond des cieux. D’abord les sons coulent dans l’oreille, puis ils se répandent dans tout l’être, le Changala devient musique, la magie s’accroît encore et le Changala devient forêt. «Tu sais comment s’appelle ce morceau? dit l’oncle quand le Grammophon s’arrête, il s’intitule “Les Murmures de la Forêt” et le musicien qui l’a composé se nomme Richard Wagner, c’est un Allemand. »
Le Changala, cet Allemand l’a bouleversé. Pendant que sa musique le roulait dans ses vagues, il se mordait les poings, se griffait les cuisses, sautait sur son petit derrière en retenant tant qu’il pouvait une soudaine envie de faire pipi. .. L’envie devenant de plus en plus sévère, il demande la permission de sortir. L’oncle semble ravi par une telle émotion. « Va, Changala, dit-il, et remets-toi! »
Le Changala est tout songeur en arrosant le fumier. L’oncle Fuchs l’avait déjà beaucoup troublé en déclamant “Le Postillon” de Lenau. Voici qu’il recommence avec la musique de ce Wagner. Le Changala qui le soupçonne de pactiser avec le diable n’est pas surpris de le voir fréquenter des Allemands. Ce qui l’étonne, c’est que ces Allemands n’aient pas de casque à pointe et qu’ils sachent faire autre chose que tuer des Français.

 

Dans l’édition déjà ancienne que j’ai (Stock 1979), le passage se trouve à la page 227 . La musique a donné son titre au chapitre 7, Les murmures de la forêt dont il existe une version orchestrale arrangée par Wagner lui-même. J’ai supposé que le Changala a écouté une telle version. Comme la scène se situe dans l’entre-deux guerres, j’ai choisi un enregistrement qui date de 1936.”Murmures dans la forêt” est extrait de l’acte 2 de Siegfried, la deuxième journée de l’anneau des Niebelungs