Fraudes au baccalauréat : les corrections remises en cause ?

C’est la grande polémique du moment, qu’on retrouve dans tous les médias, TV, web et presse écrite. A croire que la question est devenue plus sensible cette année, dans un contexte  général de remise en cause de cet examen. La presse libérale ne s’est d’ailleurs pas faite prier pour sauter sur l’occasion. Et c’est là toute l’ambigüité du sujet.

Qu’en est-il ? Des professeurs de français de l’académie d’Orléans déclarent enfin publiquement que les inspecteurs demandent de remonter artificiellement les notes en fournissant une grille d’évaluation sur 24 points pour une note finale sur 20.

L’argument peut légitimement paraître bien pauvre au regard de l’ensemble de pratiques démagogiques jamais dénoncées ou d’une analyse critique jamais faite des contenus parfois délirants de telles grilles. Elles sont pourtant souvent des avatars ampoulés d’un système d’évaluation par compétences qui pourrait par ailleurs présenter son intérêt. Mais dans d’autres cadres et pour d’autres objectifs, un outil n’ayant jamais été qu’un outil. La réponse institutionnelle ne s’est pas faite attendre dans la superbe langue de bois au vocabulaire plus que démagogique que l’on connait bien. (notamment Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, invitée de France Info mercredi, à écouter avec délice ici)

Or la grille d’évaluation mise en lumière pour l’académie d’Orléans (voir ci-dessus, cliquez sur l’image pour l’agrandir)) est loin d’être la seule du genre. On pourrait aussi citer celle de l’expression écrite au baccalauréat général et technologique – anglais LV1 et LV2 dont le total est sur 25 (voir la fiche), la note finale étant sur 20 ou celle de l’évaluation de l’oral, toujours en langues, en filières technologiques. Cette dernière est un exemple caricatural d’une usine à gaz au langage irréel et au chiffrage ambigu. D’autres disciplines n’y échappent pas non plus.

On peut alors ironiser sans aucun scrupule sur le fait que les enseignants qui remettent en cause ces erzats d’évaluation par compétences ne savent même pas faire une simple règle de trois, comme une certaine presse se l’est permise. Les méthodes sont toujours les mêmes : ridiculiser, soigneusement éviter la réalité et user d’un discours le plus démagogique possible. Or cette réalité est bien celle d’une approche purement quantitative des résultats, d’un faux discours sur l’égalité des chances, discours d’autant plus pervers que les inégalités de niveau n’ont jamais été aussi flagrantes et aussi volontairement maintenues. Et le fait qu’une droite réactionnaire et néolibérale s’approprie la question, dans une idéologie qui n’est guère recevable, a tendance à bloquer toute analyse qui mettrait réellement les élèves, les vraies conséquences et les vraies souffrances au centre du problème.

 Or, en ce qui concerne la surévaluation des productions, le fait n’est pas nouveau. La démagogie qui règne depuis plusieurs années, dans la passivité éventuellement grognonne des examinateurs est en fait gravement coupable. L’objectif est effectivement de faire atteindre des pourcentages de réussite proches des résultats nationaux à des académies dites pudiquement « défavorisées ». Sans de telles pratiques, dans certaines de ces académies et surtout dans certaines filières, les pourcentages de réussite tomberaient à 30% au lieu des 80% annoncés, et ce malgré le type de sujets et les grilles de correction ordonnées aux examinateurs. (Ces filières ne seront pas nommées ici par respect pour les candidats qui subissent déjà un niveau de dévalorisation très insupportable.) Il s’agit donc d’une  vraie mascarade qui contraste de manière frappante avec le battage médiatique et l’environnement commercial, jamais aussi prégnant que cette année, qui entourent ce qui ne reste qu’un rite de passage dont les cotés pervers prédominent.

Depuis longtemps le fait et ses douloureuses conséquences sont dénoncés dans cette chronique. Il n’est pas difficile d’obtenir des pourcentages de réussite fixés par avance. Par contre il a toujours été fait silence sur des pratiques que tous les examinateurs connaissent. Or, un examinateur qui refuse de remonter ses notes artificiellement n’est souvent plus convoqué l’année suivante. Un vice-président de jury qui parle trop n’est plus appelé à cette tâche (et heureusement pour lui dans ces conditions !). De ce fait ne restent que les dociles, les « non-pensant » voire les complices pour différentes raisons. Les filières les plus caricaturales dans le domaine sont les filières technologiques dont la fin annoncée depuis quelques années prend ainsi un relent de dégradation malsaine. Comme s’il fallait en arriver à un certain niveau de déliquescence pour pouvoir s’en débarrasser sans gêne.

Et comme le disait un chef d’établissement : « un fonctionnaire ça obéit ; sinon il faut qu’il aille vendre des carottes ! ». Réponse : un fonctionnaire sous Vichy…

Les différentes techniques : ce que vous n’auriez jamais voulu savoir sur le baccalauréat !

L’augmentation des notes après corrections

C’est ce dont les médias viennent enfin de faire état à propos de l’académie d’Orléans. Dans certaines disciplines à fort coefficient, les résultats, depuis deux ou trois ans, doivent être fournis aux inspecteurs sur un fichier Excel, par candidat, par sous-question et par examinateur et ce, nommément. Les ordres de réévaluation reviennent le lendemain. Il a été ainsi possible, ces deux dernières années, de remonter de 1 à 3 points (sur 20) les notes de disciplines à coefficient 7, même pas sous un prétexte d’harmonisation. Et cela dans le plus grand silence et la plus grande acceptation de l’ensemble des examinateurs, pourtant ainsi largement déniés dans leur travail d’une manière qui devrait a priori, leur être insupportable.

La nature des sujets

Les sujets eux-mêmes sont écrits de telle manière qu’il soit vraiment impossible de ne pas avoir la moyenne, à moins de ne pas savoir lire. On peut prendre comme exemple cette question d’un sujet de physique 2013 :

« Un nouveau-né boit quotidiennement un volume de lait noté V égal à 700 ml. La concentration molaire de la carnitine dans le lait est égale à 8,0×10-5 mol. Montrer que la quantité de matière n de carnitine absorbée par le nourrisson quotidiennement est égale à 5,6×10-5 mol. » On voit donc ici qu’un élève n’est obligé de maîtriser ni la notion de concentration ni les unités pour répondre. Il lui suffit, en lisant la question, de faire le rapport entre les deux chiffres 7 et 8 et de savoir que 7×8 font 56, ce que, d’ailleurs, un certain nombre ne savent pas spontanément. Riche compétence ! Et comme les calculatrices sont autorisées…  Ce n’est là qu’une question ? Loin de là. Tout le sujet est construit sur ce mode. Et le sujet de mathématiques, dont une partie est sous forme de QCM,  également. La question ci-dessous en fournit également un exemple :

« Justifier, par un calcul approprié, chacune des affirmations suivantes dans lesquels les résultats sont arrondis à l’unité :
a) Le pourcentage des personnes de l’étude qui vivent à domicile est de 61% »

Sont donnés le nombre de personnes vivant à domicile (734) et le nombre total de personnes (1200). La compétence évaluée du candidat est donc qu’il sache vérifier si 734/1200 font bien 61 et ce toujours à l’aide d’une calculatrice ! Le reste du sujet est du même ressort.

Quand ces candidats auront leur diplôme en poche et qu’ils se retrouveront dans la réalité des études ou du travail, comment vont-ils la gérer ? C’est comme cela que d’ancien(ne)s élèves reviennent en rendre compte et parfois en larmes.

Certes il ne s’agit pas là des sujets de la série S. Mais on retrouve dans cette filière le même esprit, notamment en ce qui  concerne les sujets de SVT, même si une telle filière est plus prédisposée à fabriquer des élites.

Les sujets sont donc effectivement construits selon des critères qui ne sont que des ersatz pervers de l’évaluation par compétences qui régit actuellement l’Education Nationale et toujours sur le modèle néolibéral. Mais les objectifs, eux-mêmes pervers, font que les compétences évaluées n’en sont même pas vraiment !

La notation

L’évaluation des copies se fait par des notes tenant compte du  coefficient. Pour une discipline de coefficient 7, par exemple, l’examinateur note sur 140. Par contre la note reportée est sur 20 arrondie au point supérieur, l’ordinateur multipliant alors par 7. On voit donc qu’un candidat noté 71 par exemple se voit en fait attribué au final une note de 77. 10% de marge d’erreur, dira-t-on, n’a rien d’anormal.

Comme pour l’évaluation de compétences, on ne peut qu’être d’accord. Oui mais ! On peut aussi souligner une contradiction majeure : la correction d’un sujet corrigé « à la grille », comme en Biologie Humaine par exemple, peut porter sur deux cent items, parfois même plus, alors même qu’il suffit de recopier explicitement la question. Une telle correction oblige d’attribuer un certain nombre point, parfois même ½, à un mot donné, même si la phrase n’a ni structure ni sens, et montre que le candidat n’a strictement aucune maîtrise ni de la signification de ce mot ni des savoirs correspondants. Les consignes explicites sont même parfois d’attribuer les points même si le candidat a faux (sic) !

Comment alors, argumenter sur les 10% de marge d’erreur lorsque c’est tout l’ensemble qui n’a aucun sens ? Mais qui paiera gravement les factures ?

Les jurys

Si le système de notation et l’augmentation des notes après correction ne suffisent pas (et c’est effectivement le cas dans des proportions non négligeables) les délibérations du jury sont là pour rétablir les quotas, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Deux méthodes sont utilisées : le tri des dossiers en fonction des avis sur les livrets scolaires et les « barres ». La « barre » est le nombre maximum de points qu’il faut attribuer à un candidat en plus de ses notes pour qu’il soit déclaré reçu ou qu’on lui donne la chance de se présenter au deuxième groupe. En général ce nombre de points correspond à une marge supplémentaire d’environ 8%. Le nombre de candidats bénéficiant de des points dépend à la fois des pourcentages de réussite implicitement fixés et du nombre de candidats à évaluer  aux oraux de deuxième groupe (ils ne doivent pas être trop nombreux afin de réduire la durée totale d’interrogation). Les délibérations permettent donc d’afficher, dans les académies et les filières citées, des taux de réussite de l’ordre de 70%, ce qui reste dicible.

Les évaluations orales et l’évaluation par compétences

Basées souvent, comme montré plus haut, sur une approche plus que caricaturale et absolument pas maîtrisée des évaluations par compétences, elles sont construites de telle manière que les notes ne soient pas inférieures à 5. Un candidat qui a 2 dans une discipline de coefficient 7 (fréquent dans certaines disciplines sans que les examinateurs ne puissent vraiment faire autre chose) peut donc facilement obtenir 8 ou 9, voire la moyenne à l’oral. Il gagne donc facilement 30 à 40 points sans maîtriser aucunement la discipline. Un tel candidat peut aussi en plus bénéficier d’un rattrapage lors du dernier jury de délibération.

De la même manière que le problème des décrocheurs se règle en gardant des jeunes enfermés dans des salles de classes quelles que soient les conditions dans lesquelles ils s’y  trouvent (ils ne décrochent pas puisqu’ils sont à l’intérieur !), de la même manière les pourcentages de réussite au bac sont ainsi assurés. Au prix cependant de pratiques immorales, en ce sens qu’elles produisent des effets pervers que paient très cher autant les jeunes que la société elle-même. Il semblerait que l’omerta connaisse actuellement des failles, qui a pourtant fait preuve jusqu’à maintenant de son efficacité. Mais que ces failles produiront-elles ? Et dans quel sens le système implosera-t-il, s’il implose ?

Faut-il donc, dans un contexte économique plus que difficile, supprimer un baccalauréat qui n’a, de fait, plus aucun sens sauf pour une minorité ? C’est ce qui actuellement se fait jour – cette polémique pourrait n’en être qu’un avatar – et se prépare dans les coulisses. Sauf peut-être à garder une ou deux épreuves « symboliques » comme l’affirmait très récemment sur une chaîne télévisée Luc Ferry, ancien ministre de l’Education Nationale. Il confirmait alors de fait la fonction purement symbolique et rituel de cet examen.

Le gypaète barbu


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