Les fraises, au vin ou à la crème ?

Louis XIV ne jouait pas la modération en matière de consommation de fraises. Au vin, bien sûr, la fraise à la crème étant, à cette époque, réservée au sexe dit faible (voir la recette ci-dessous), et ce malgré les recommandations de son médecin Fragon qui, en 1709, les lui a interdites.

La culture de la fraise n’est en fait apparue qu’au XVe siècle, les fraises des bois faisant auparavant un simple objet de cueillette. La Quintinie en a réservé d’ailleurs plus tard 4 « jardins » dans son potager du Roy à Versailles.

Selon les sources historiques, la fraise a apparemment connu différents statuts, en tout cas au Moyen-âge, statuts d’ailleurs pas forcément contradictoires. Pour Maguelone Toussaint-Samat (Histoire Naturelle et Morale de la  Nourriture – Bordas Ed. 1987), elles constituaient un philtre d’amour et, en tout cas, une gourmandise raffinée. Est-ce, dans le premier cas, parce que les plants s’étendent grâce à l’enracinement des stolons ? Dans le deuxième cas, certainement du fait de leur parfum. On trouve aujourd’hui une rémanence de cette qualité aromatique, notamment dans une variété bien marquetée lors de son lancement, la Mara des bois.

Dans l’ouvrage coordonné par Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari (Histoire de l’alimentation – Fayard Ed. – 1996), le chapitre « Alimentation et conception du monde » nous donne une approche intéressante de la hiérarchie des différents aliments, donc des fruits, donc de la place de la fraise dans la hiérarchie alimentaire. La valeur d’un aliment était fonction de son éloignement au sol. Les moins nobles étaient ceux dont les bulbes comestibles étaient souterrains. Venaient ensuite les racines, puis les feuilles du type épinard ou chou, puis les fruits, les plus éloignés du sol donc beaucoup plus nobles, puisque la terre,  élément bas et vil, était d’autant plus « digérée » par ces éléments de la plante qu’ils en étaient plus éloignés. Les fruits étaient donc supérieurs aux autres végétaux et convenaient ainsi aux classes sociales les plus élevées. Sauf les fraises, comme d’ailleurs les melons, qui ne partageaient pas ce niveau de valorisation, puisque poussant au ras du sol.

Et ce qui était vrai pour les végétaux l’était aussi pour les animaux, dans une « grande chaîne de l’être » qui était donc transposée, par analogie, au monde des humains.

Par ailleurs, selon la classification des saveurs, les fraises, réputées chaudes et moites, devaient se consommer en fin de repas, c’est-à-dire en dessert, selon les recommandations des diététiciens de l’époque. Or on sait combien les pratiques alimentaires étaient conformes à leurs prescriptions, humeurs et saveurs étant intimement liées.

Cette habitude de manger les fraises en dessert persiste de nos jours. Et il est rare de trouver des recettes de fraises en entrée. Et les papilles, à une telle évocation, ne s’éveillent ni ne s’activent d’un enthousiasme délirant. Est-ce à dire qu’il en va là de l’essence même de ce fruit ?

Variétés et arômes

Suivant l’avancée dans la saison, on trouve plusieurs variétés dont un certain nombre sont très récentes sur le marché : Ciflorette (précoce), Cigaline ou Cléry (avril-mai) et autres Gariguettes ou Darselect comme fraises de printemps ou dites « de saison », de mars à juin, Mara des bois et Gariguette en fraises d’été, voire d’automne (« remontantes ») jusqu’en octobre pour la Mara.

Les recommandations d’achat qu’on peut trouver sur des sites de l’interprofession insistent sur les arômes :

«Choisissez les fraises à leur parfum. L’emballage plastique transparent qui les protège des chocs permet d’observer et de humer les fruits. Profitez de ce contrôle olfactif pour observer le fond de la barquette et vérifier qu’il n’y a pas de fruits écrasés.»

Mais, même si, en cette année 2013, on peut remarquer que les fraises françaises ont amélioré leurs qualités aromatiques, ce discours n’est pas sans évoquer ce grand regret de cet aromaticien d’une grande entreprise en parfums et arômes dans les années 1990 : « l’arôme fraise n’existe pas, affirmait-il ; on ne peut parler que de gammes ; or on sait faire de la qualité, mais les entreprises de l’agro alimentaire nous obligent, pour des raisons de coût, à ne produire que le bas de gamme ; ce n’est de loin pas notre propre désir ». On peut aussi tout-à-fait regretter que la production industrielle de la fraise, instituts et vitro plants aidant, se soit axée sur la préservation au transport et la conservation pour d’évidentes raisons économiques, la fraise étant au naturel un produit très fragile. Cela s’est fait au détriment des arômes qui parfois évoquent par trop le bas de gamme dont parlait notre ingénieur aromaticien. Cet arôme bas de gamme est, du coup, presque devenu de fait une référence générale à tel point qu’on le retrouve nettement dans certains fruits mis sur le marché. Souhaitons que la tendance à l’amélioration persiste ! La mise sur le marché de nouvelles variétés comme la Mara en exprimait en tout cas l’intention.

Un certain nombre de variétés ont pris le nom de leur région de production. C’est le cas de la fraise de Carpentras ou, mieux, de la fraise de Plougastel qui est en fait une Gariguette. Plougastel se veut le haut lieu de la fraise. C’est en effet en 1714 qu’Amédée Frézier (le nom ne s’invente pas !) a ramené du Chili une variété de fraise blanche et en a lancé la culture à grande échelle, justement à Plougastel. Les fraises consommées étant alors plutôt des fraises des bois, la Blanche du Chili peut donc être considérée comme la première fraise cultivée en plein champ, supplantée par la suite par d’autres variétés. La renommée actuelle de la fraise de Plougastel tient à la fois à son histoire et au climat particulièrement favorable à sa culture. A son désavantage, il faut reconnaître que, sous prétexte d’être la meilleure, son prix la rend parfois de fait extrêmement précieuse !!!

RECETTES

Il est impossible de ne pas citer la recette de Morue aux fraises à la chantilly mayonnaise aux câpres flambée pastis de Gaston Lagaffe.

Il faut citer aussi la recette de la crème de fraise telle qu’on la trouve dans l’ouvrage de Menon « La cuisinière bourgeoise » de 1774 (citée in Histoire Naturelle et Morale de la Nourriture – op. cit.) :

Pour ma part, je propose en dessert une recette très simple de fraises au viognier.

Soupe de fraises au viognier

Pourquoi au viognier ? Parce qu’il reprend la tradition des fraises au vin et que le viognier est un cépage qui peut donner un bouquet floral marqué. On en trouve de très agréables en Languedoc et à des prix tout-à-fait raisonnables. Ces vins blancs conviennent parfaitement à la fraise et au basilic qu’on va lui ajouter.

Ingrédients pour 4 personnes :
450 grammes de fraises (à choisir pour leur arôme et mûres)
250 ml de viognier
100 gramme de sucre
Quelques feuilles de basilic

Dans une casserole porter à ébullition le vin et le sucre et laisser réduire jusqu’à obtention d’une consistance sirupeuse. Attention à ne pas pousser trop loin la cuisson de façon à éviter impérativement toute caramélisation e t à conserver les arômes du vin
Laisser refroidir.

Dans un saladier équeuter les fraises et les couper en deux ou en quatre selon la taille. Rajouter le sirop de viognier ainsi que le basilic ciselé. Mélanger délicatement. Laisser au froid.

Cette « soupe » de fraise peut être servie sur assiette ou en coupe individuelle. Ciseler un peu de basilic en surface pour la décoration. Servir avec une madeleine.

Une entrée : roquette aux fraises, écrevisses et vinaigre balsamique

Une telle salade joue, bien sûr sur le sucré-salé. Il est important de ne pas ajouter trop de fraises pour garder la fraîcheur du plat et une saveur sucrée qui ne soit pas excessive.

Dans un saladier, préparer la sauce avec vinaigre balsamique et une huile d’olive bien parfumée (de préférence à l’arôme un peu herbacé). Mélanger. rajouter deux à trois fraises par personne, lavées, équeutées et coupées en petits dés. Mélanger délicatement le tout. Disposer sur assiette. Poser quatre ou cinq écrevisses décortiquées, cuites au préalable et refroidies. Servir aussitôt.

P.M. Théveniaud

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