Augmentation remarquable du taux de réussite, nombre de mentions bien et très bien hors catégories, la cuvée 2013 du baccalauréat semble excellente et la communication ministérielle sera certainement à la hauteur de l’événement, comme on commence de-ci de-là à l’entendre. Certains médias jouent pourtant les trouble-fête. C’est le cas de France Info, au contraire de ceux qui préfèrent aller dans le sens du vent. La chaîne d’information vient en effet de remettre sur le tapis les consignes de surnotation qui président dans beaucoup de filières et disciplines en en donnant un nouvel exemple.
Deux possibilités s’offrent pour avoir d’excellents résultats : former correctement les jeunes ou fixer des pourcentages dignes d’être communiqués et fabriquer des examens en fonction de cette attente, sans se soucier aucunement ni des savoirs acquis ni du devenir de ces jeunes tout heureux de leur excellente réussite. Malheureusement, c’est la seconde solution qui a été choisie pour des raisons très souvent abordées dans cette chronique.
Un tout petit coin de l’oreiller est enfin soulevé, mais il resterait à retirer couettes et drap pour que le roi soit enfin nu !
On peut, dans la continuité des deux chroniques précédentes sur ce thème, citer les consignes finales données aux examinateurs des épreuves de Biologie Humaine du baccalauréat Sciences et Techniques Sanitaires et Sociales des académies de Paris-Créteil-Versailles. Elles valent leur pesant d’or et soulignent le sentiment actuel d’impunité et de cynisme des cadres de l’institution, qui ne se cachent même plus derrière leur langue de bois habituelle :
Premier mail :
Date: Sat, 29 Jun 2013 12:06:26 +0200
From:
To: Subject: Finalisation de la correction des copies de BPH
Bonjour à tous,
Avec madame X et madame Y, suite à la réception de vos différents retours mail (statistiques, commentaires, analyses et points de vue), nous avons tenu compte de l’ensemble des avis qui nous ont été rapporté.
Compte tenu de la formulation de certaines questions et de la redondance des difficultés sur certaines compétences, notamment sur la compétence “analyser”, relevée par nombre d’entre vous et déjà pointée lors de la réunion d’entente, il nous apparaît nécessaire de procéder à un léger ajustement des notes obtenues. Il s’ajoute à ce constat le fait que probablement il a manqué à la réunion d’entente un travail sur copie test (qui n’était malheureusement pas possible).
Contrairement à notre première estimation du premier jour, sur l’ensemble des difficultés, la neutralisation de 8 points nous semble pertinente. Il faut donc pour toutes les copies diviser le total de la note du candidat par 72 au lieu de 80.
Nous vous remercions pour l’accomplissement des travaux de correction que nous savons avoir été très lourds cette année. Il y aura deux examinateurs supplémentaires dans chacun des jurys des oraux.
Bien cordialement.
Consigne signé par l’inspection en Ile de France en Biotechnologies:
Deuxième mail :
> Date: Sun, 30 Jun 2013 08:28:34 +0200
> From: > To:
> Subject: quelques précisions
>
> Bonjour à tous,
>
> quelques précisions suite à des questions de certains collègues:
> – vous portez sur les copies la note sur 72;
> – vous mettez donc la note ajustée sur 20;
> – vous pouvez enregistrer sur Lotanet vos résultats.
> Cette étape fastidieuse n’est pas la plus simple. Je me permet par
> conséquent de vous préciser que vous devez y accorder la plus grande
> rigueur, notamment dans le report de la note (sur 72 et sur 20) sur les
> copies et l’enregistrement sur Lotanet.
Dans le cas exceptionnel mais plaisant où vous auriez un candidat qui,
après ajustement, aurait une note supérieure à 20, vous notifiez la note
20 et pas plus. Merci. Le sujet, comme tous les sujets n’est pas
parfait, et même ainsi, il y a la preuve ici que certains candidats sont
excellents. Voilà encore un argument qui animera certainement des débats
riches et animés entre nous dans un proche avenir!
> Encore une fois, nous vous remercions très sincèrement pour votre
> investissement.
> Bien cordialement.
(Les deux points cruciaux ont été ici soulignés, graissés, a posteriori. Les fautes d’orthographe sont d’origine.)
Quelques aspects techniques qui aident à la compréhension du système.
On rappelle que les notes sont mises en réalité sur plus de 80 points, compte-tenu des bonus, que la note est donc divisée par 72 (au départ ce devait être par 65 !) au lieu de 80, mise ensuite sur 20, arrondie au point supérieur et, enfin, multipliée par 7 par l’ordinateur. Alors certes, cela revient à augmenter globalement les notes et donc à atteindre le pourcentage de réussite désiré. Mais une telle approche, en plus d’être intellectuellement et politiquement condamnable, a comme conséquence perverse d’être en pratique totalement inégalitaire. En effet, par l’effet du facteur multiplicateur et de l’arrondi, certains candidats gardent finalement leur note sur 20 là où d’autres peuvent la voir augmenter de 1 à 3 points. Après coefficient, les notes peuvent donc être augmentées de 0 à 21 points, pour une même valeur de départ, les notes les plus basses étant cependant les plus défavorisées et les plus hautes les plus favorisées (jusqu’à 21 points) d’où l’augmentation du nombre de mentions bien et très bien. Mais une telle différence de traitement ne rend-elle finalement pas compte, inconsciemment, de cette approche néolibérale du bon et du mauvais ?
A ces réajustements il faut rajouter toutes les autres techniques, comme celle du nombre de points non négligeable attribué en plus lors des jurys. Mais, ce qui n’est jamais abordé, les choses se jouent surtout aussi au départ. Ainsi un examinateur de la discipline citée, à qui on confie plus de 60 copies de 12 à 15 pages à corriger, doit évaluer plus de 150 items par copies (donc plus 9000 notes au total) avec un cahier des charges (document de correction et barème de 11 pages totalement délirant !) indiquant pour les 150 items le nombre de points, jusqu’à ¼ de point, à attribuer à tel mot. Une telle attribution se fait indépendamment du sens de la phrase dans laquelle il se situe et/ou de l’absence totale de maîtrise des notions les plus élémentaires qui l’accompagnent, et/ou de l’absence de maîtrise de fondamentaux pourtant largement hors du champ de l’enseignement secondaire. C’est ainsi que des candidats, dont la profession d’infirmière est l’une des orientations importantes de la filière, peuvent avoir leur examen en situant le rectum comme étant la pointe du cœur (sic !), comme d’autres, beaucoup, beaucoup plus nombreux qu’on se refuse résolument à l’admettre, en fin d’année ou lors des baccalauréats des années précédentes, pouvaient situer l’anus à la place de la bouche ou l’inverse (resic !), positionner des bronches dans le foie, des vertèbres dans les poumons, la vessie à la place de l’intestin grêle ou encore le vagin à la place du rein (interdiction de se gratter le dos en cours et la morale est sauve !) pour ne donner que des exemples malheureusement trop courants dans le domaine de l’anatomie et dont chacun peut saisir la gravité.
Il est aussi dramatique, mais là significatif d’un grave fait de société, de constater que 95% (oui 95% !) des candidats de cette épreuve ne maîtrisent absolument pas la notion de temps et confondent de manière systématique instant et durée. Comment alors aborder une discipline scientifique, notamment la Biologie humaine ? Mais ce n’est pas là une question à poser et le nombre de 17, de 19, voire de 20, et donc de mentions très bien obtenues, dépasse quand même en importance une telle constatation !
Le malheur c’est la passivité de tous. La gravité s’inscrit aussi dans le refus d’action, sinon d’analyse, des acteurs finaux de cette mise en œuvre délétère.
En quoi délétère ? Parce qu’elle est l’œuvre, en son temps affirmée, d’une destruction planifiée de l’institution depuis les années 1990 ; parce qu’elle correspond en tout point à une volonté de réforme néolibérale dont la traduction apparaissait dans le système ECLAIR voulu par les gouvernements précédents et sournoisement confirmé actuellement (voir à ce propos les recommandations du rapport de la cour des comptes ) et dont la conséquence inévitable est le renforcement des différences entre établissements donc des inégalités sociales ; parce qu’elle est symbolique de la fin de certaines filières qui seront éventuellement reprises par l’enseignement privé ; parce qu’elle rend compte, à ce propos, de l’investissement rampant d’une médiocrité politiquement voulue et acceptée par tous, à tous les niveaux de l’institution, y compris dans la nomination de ses cadres ; et, surtout, parce que, quels que soient les résultats, l’absence de savoirs impactera obligatoirement à la fois la poursuite d’études de ces nouveaux bacheliers et leur future vie professionnelle.
Les savoirs et l’intelligence ont toujours été mis en cause par toutes les dictatures et les pouvoirs autoritaires. On ne peut que constater avec grande tristesse que c’est le cas aussi de nos sociétés post-démocratiques. Le baccalauréat 2013 n’en est qu’un élément symbolique manié parfois avec un cynisme de vainqueur qui pourrait rappeler d’autres époques. Mais écrire cela serait, bien sûr, follement exagérer une réalité qui n’a rien à voir. A moins que ce ne soit, parallèlement, qu’un pas marqué vers sa suppression.
Il n’en reste pas moins que la question fondamentale doit être encore, et encore, et sans cesse posée du coût humain, social et politique d’une telle mascarade ?