Formation et patrimoine, le mépris d’une ministre

En l’absence de réponse de la ministre de la culture à une précédente lettre ouverte, sous l’action de l’association des élèves et anciens élèves de l’Institut National du Patrimoine, une pétition vient d’être lancée sous l’intitulé : Aidez les étudiants restaurateurs du patrimoine à défendre leur future profession (à signer ici). Au-delà de cette problématique de formation et de définition de profession, de l’avenir de ces étudiants, c’est tout le rapport d’un pouvoir à la culture, au savoir en général, à la jeunesse en général et à une certaine destruction du patrimoine qui est en cause. Continuer la lecture

Guillaume Tell attend les cigognes

Guillaume Tell attend

Des cigognes, il y en a plein à Mulhouse, non seulement, ça claquette dans tous les coins au zoo mais, en se promenant, on peut en rencontrer sur la pelouse du stade nautique, par exemple, ou les pattes dans l’Ill, parfois même sur l’herbe des pelouses de certains quartiers. J’en vois régulièrement passer devant mes fenêtres. Il n’y a donc nul besoin de « réintroduire »(sic) la cigogne à Mulhouse, elle y est déjà.
Sauf qu’un certain nombre de villageois du centre ville ne sortent pas de leur pré carré et veulent s’aménager la ville à leur convenance en a décidé autrement. S’affichant au dessus des partis, ils en sont courtisés. Ils leur permettent de puiser dans leur boîte à gadgets. Ils s’appellent Mulhouse j’y crois, une association présidée par un UMP et vice-présidée par un PS.
Pour transcender les clichés, ils créent des poncifs. En l’occurrence celui du village alsacien avec son nid de cigogne. C’est tellement tellement. Génial quoi !
Aussi ont-ils collecté des fonds pour installer un nid de cigogne sur l’ancien bâtiment des archives municipales. Le nid vient d’être installé et attend les cigognes. La rumeur dit que si les cigognes n’arrivent pas les initiateurs du projet se déguiseront à tour de rôle en échassiers pour les remplacer.
Il parait que la cigogne est un des dadas du président de l’association qui y voit le symbole de l’Alsace éternelle :
« Nous pensons que Mulhouse ne capitalise pas assez son appartenance à l’Alsace. La cigogne va apporter de la convivialité, un côté bienfaisant et une bonne image du centre-ville de Mulhouse ».
Où va-t-il chercher tout ça ?
Ah l’alsacitude, comme aurait pu dire qui vous savez, avec la cigogne comme gadget folklorique qui signerait l’appartenance de Mulhouse à l’Alsace. Quel intérêt Mulhouse aurait-elle à capitaliser dans la ringardise puisque cette ville est précisément une singularité en Alsace en particulier en raison de son histoire, comme le rappelle la présence de Guillaume Tell, et de son passé industriel livré à la démolition. D’un côté, on démolit un des fleurons de notre patrimoine industriel et de l’autre on installe des nids de cigogne ? Et s’il y avait un lien entre ceci et cela ? Cherche-t-on à effacer l’industrie par un pseudo retour à une mythique ruralité ?
Non seulement la cigogne n’est pas un gadget folklorique mais sa fonction n’est pas d’apporter du bien-être aux hommes. Elle est simplement un élément de notre biodiversité et doit être préservée pour cette raison et non pour servir d’attraction touristique.
Si l’on cessait de traiter les villes comme des marques de lessive, on pourrait peut-être commencer un jour par parler de la crise du symbolique qui pèse sur elles.
D’ici là, Guillaume Tell attend les cigognes, son arbalète à la main et une pomme posée sur la tête de son fils de savoir si les cigognes tiendront compagnie au faucon pèlerin du Temple Saint Étienne et si un quelconque Gessler obligera les habitants à se découvrir en passant devant leur nid.
Un dernier mot enfin :
Inaugurer le nid de cigogne le 8 mars, journée internationale de la femme, quelle délicatesse ! Encore une marque de ruralité, j’imagine !

Des hommes sans qualité font table rase du passé.

L’irréversible a été commis.
Après les incendiaires, ce fut au tour des démolisseurs d’effacer du patrimoine industriel mulhousien, pendant les fêtes de fin d’année, l’un de ses fleurons : l’ancienne filature »à l’anglaise » de 1812. Ce patrimoine appartenait aux mulhousiens. Les intérêts spéculatifs privés l’ont emporté avec la complicité de la municipalité.

J’avais dans mes archives une photo du bâtiment prise en 2010 :

Nous publions ci-dessous la réaction de Marie-Claire Vitoux, historienne, Présidente du Conseil consultatif du patrimoine mulhousien pour qui se pose désormais la question de savoir si l’on peut dialoguer avec des hommes sans qualité.

« Entre Noël et Nouvel An, l’ordre a été donné de démolir la grande filature DMC de 1812. Il n’a fallu que quelques jours pour que de mesquins intérêts locaux à courte vue fassent disparaître un bâtiment deux fois centenaire dans lequel huit générations d’ouvriers avaient fait de Mulhouse une ville monde. Cette destruction d’un bâtiment vandalisé, incendié, squatté depuis un incendie majeur en 2008 parachevait la mutilation commencée en mai 2011 avec la destruction du bâtiment de la machine à vapeur.

La destruction de la filature DMC jette une lumière crue et cruelle sur la petitesse des intérêts et la médiocrité des priorités dans le Mulhouse du XXle siècle. Parce que le CCPM a, tout au long de ses dix années d’existence, alerté sur la valeur patrimoniale exceptionnelle de ce bâtiment, il a le droit, confronté à l’échec de son action, de porter accusation:

– Contre un propriétaire «privé» pour lequel la démolition est l’aboutissement d’une gestion qui visait, depuis au moins dix ans, à récupérer le foncier en le débarrassant des deux bâtiments (la filature et son bloc-vapeur).

– Contre les municipalités qui ont empêché durant ces dix années toute procédure d’inscription à l’inventaire des monuments historiques à l’initiative du CCPM, en arguant de leur volonté de racheter le bâtiment à l’entreprise. Non seulement elles n’ont pas donné suite, mais elles se sont laissées forcer la main pour accorder le permis de démolir du bloc-vapeur. Et par ailleurs, elles n’ont tenté que bien trop tard d’accompagner le propriétaire privé dans une démarche de valorisation respectueuse de la valeur patrimoniale collective de son bien.

Bloc-vapeur et filature ont disparu. Il est des victoires qui déshonorent ceux qui les remportent »

Marie-Claire Vitoux,
Historienne, présidente du Conseil consultatif du patrimoine mulhousien

Voici ce qu’il restait au matin du 4 janvier 2014