…ou quand la loi LRU et autres réformes posent questions.
Dans deux dernières chroniques à propos des menaces de mort envers le directeur de l’IUT de Saint-Denis (Soutien à Samuel MAYOL 1 et 2), de la grave question des lourds dysfonctionnements auxquels Samuel Mayol a mis fin, de la situation dramatique et humainement insoutenable dans laquelle il s’est trouvé depuis plus d’un an,la question avait été posée du retentissant silence de Jean-Loup Salzmann, président de l’Université Paris 13 dont dépend l’IUT. Depuis, plusieurs enseignants ont reçu également des menaces de mort, entraînant une demande de droit de retrait qui leur a été refusée par la présidence sur de fallacieux motifs administratifs. Or un rapport de l’IGAENR publié récemment reprend pourtant de manière nette les divers dysfonctionnements en en soulignant toute leur gravité et en enjoignant la présidence de l’Université de réagir.
Il semblerait donc que l’affaire de l’IUT devienne une affaire Salzmann, même si les liens directs entre Jean-Loup Salzmann et les personnels mis en cause dans le rapport ne sont pas formellement démontrés. C’est à Mediapart, dans un article du 10 juin 2015 de Lucie Delaporte (article réservé aux abonnés), qu’on doit le démontage de ce qui peut être abordé comme un système Salzmann, le terme de clientélisme étant utilisé lors de sa large description, celui de système mafieux étant, lui, réservé à ce qui s’est passé notamment à l’IUT mais aussi antérieurement et en d’autres lieux avec les mêmes personnages.
Extraits :“Jean-Loup Salzmann, président de l’université Paris 13 et de la conférence des présidents d’université (CPU) – certains l’appellent le « vice-ministre » –, est certes un homme de pouvoir, mais de celui qui s’exerce en coulisses. Depuis quelques semaines, le tour inquiétant qu’a pris la crise ouverte à l’Institut universitaire de technologie (IUT) de Saint-Denis a commencé à braquer les projecteurs vers lui. À son grand regret. Alors que le nom du successeur de Geneviève Fioraso au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche doit être annoncé dans les prochains jours, les perspectives de celui qui se serait bien vu Rue Descartes se sont sérieusement assombries.
Mi-mai, sept enseignants de l’IUT de Saint-Denis ont révélé avoir reçu des menaces de mort, un an presque jour pour jour après la violente agression de Samuel Mayol, le directeur de l’IUT, objet lui aussi de nombreuses menaces depuis qu’il a entrepris de mettre de l’ordre dans la gestion de plus en plus problématique de l’institut. Cours fictifs, TD fantômes, vacataires recrutés sans le niveau requis: le rapport qu’a rendu l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) sur la gestion de l’IUT décrit un système quasi mafieux avec un préjudice financier de plusieurs centaines de milliers d’euros.
Très embarrassant pour Jean-Loup Salzmann, ce rapport de l’IGAENR insiste en effet sur l’étonnante inertie de la présidence de Paris 13 dans cette affaire, alors que les alertes s’étaient multipliées depuis longtemps. L’affaire est d’autant plus troublante que, comme Mediapart l’avait révélé l’an dernier, les personnes à la tête de l’IUT étaient les mêmes que celles qui dirigeaient, dans la même université, l’IUP Ville et santé, au début des années 2000.
Comme l’avait établi un précédent rapport de l’inspection générale, l’IUP avait peu ou prou connu les mêmes dérives que celles constatées à l’IUT : cours bidons, étudiants fantômes, opacité comptable. L’institut avait d’ailleurs été dissous à la suite de ce rapport accablant. Mais Paris 13 ne s’est manifestement pas inquiété de voir les mêmes personnes reprendre du service, quelques années plus tard, dans une autre entité de l’université.”
Suit une description précise et claire du système mis en place, permis par à la loi LRU :
“…la LRU, votée en 2007, change totalement les règles du jeu. Le pouvoir des présidents d’université est devenu colossal. Ils peuvent, sans trop avoir à se justifier, faire décoller une carrière ou, à l’inverse, la bloquer. À Paris 13, la campagne de Jean-Loup Salzmann prend un tour particulier…”
Les éléments de l’enquête sont bien évidemment réfutés par Jean-Loup Salzmann, qui n’ a voulu répondre à Mediapart (article réservé aux abonnés) qu’à des questions écrites mais par contre dans une interview donnée à L’étudiant.fr, dans un système de défense très loin de faire pencher la balance de la crédibilité en sa faveur. Et, en réponse à la réponse, un deuxième article de Lucie Delaporte (article réservé aux abonnés) sur son blog de Mediapart en fait judicieusement état.
Extraits :
“Une « enquête à charge », des « accusations ni étayées, ni documentées », pire « un tas de ragots »…Jean-Loup Salzmann qui a donné une interview à L’Etudiant suite à la parution de notre enquête « Le vice-ministre des universités entre en zone de turbulence» n’a visiblement pas apprécié que Mediapart se penche sur le fonctionnement de son université.
Le président de Paris 13 qui a refusé de nous rencontrer – nous n’avons pu que transmettre par écrit nos questions à son service de communication – réfute donc l’existence d’un système clientéliste dans sa fac. Pas un mot sur le rapport de l’IGAENR qui décrit pourtant au sein de l’IUT de Saint-Denis un système quasi-mafieux et s’interroge sur l’étonnante inertie de M. Salzmann alerté sur ces faits depuis plus d’un an et demi. Pas un mot non plus sur les personnels menacés de mort sur son campus et à qui il a refusé d’accorder et la protection fonctionnelle et le droit de retrait. Tout cela ne semble guère l’intéresser. Les personnels apprécieront.
Du clientélisme à Paris 13 ? C’est, vraiment mal connaître le monde universitaire et ses procédures, argumente en substance Jean-Loup Salzmann. La fable ne convaincra évidemment que ceux qui ignorent tout des mutations engendrées par la loi LRU qui ont octroyées aux présidents d’université de considérables prérogatives, laissant la porte ouverte – tous ne s’y sont pas engouffrés – à bien des arrangements entre amis. Depuis le passage à l’autonomie, les présidents peuvent recruter en CDD ou en CDI, à des niveaux de salaires bien supérieurs aux grilles de la fonction publique. Il distribue comme il l’entend des primes individuelles au mérite. Et possède un droit de veto sur les recrutements et les affectations de personnels.
Les primes qui ont explosé ? C’est, explique Jean-Loup Salzmann, qu’il a « doublé les primes des personnels Biatss de l’université, qui étaient très faibles ». Sans doute destiné à rappeler qu’il est un président « de gauche » soucieux des plus bas salaires de la fac, l’objection omet de préciser que les primes des enseignants-chercheurs – les salaires les plus importants – ont dans le même temps cru, selon le rapport de la Cour des comptes de mai 2013, de 89%. Surtout le système clientéliste en vigueur à Paris 13 ne se résume pas, loin de là, à l’attribution de primes.”
Au-delà du système Salzmann, c’est tout ce qui pouvait être souligné et attaqué comme le grand risque de la loi LRU mise en œuvre par Valérie Pécresse sous le règne Sarkosi qui, ici, apparait dans toute son étendue. Il est remarquable, d’ailleurs de voir qu’un gouvernement peut changer sans que rien ne se passe. Il s’agit donc d’une vraie entreprise de démolition de l’université. Et il est à craindre qu’au vu des réformes actuelles l’enseignement secondaire vive les mêmes perversions, de manière certes bien plus modeste, les enjeux financiers et de pouvoir restant à petit niveau. Un tel clientélisme ne touchait que certaines sections de BTS il y a quelques décennies ; il en touche maintenant d’autres dans un certain nombre de lycées, en les tirant malheureusement intellectuellement vers le bas. Et il y a risque qu’il touche également maintenant les collèges. Même si les différences entre établissements sont déjà extrêmement marquées et peut-être irréversibles, ces inégalités foncières n’étaient pas, jusqu’à aujourd’hui, inscrites dans les textes. L’autonomie des établissements peut avoir ses effets positifs mais il est impératif d’éviter que se développe, même à petit niveau, des politiques de petits chefs délétères parce que basées sur les intérêts particuliers, même modestes, et non sur les intérêts des élèves ou des étudiants. Des affaires comme l’affaire Salzmann ne font que renforcer les sentiments négatifs et ouvrent la porte à tous les discours, justifiés ou non, contre l’institution, notamment à ceux d’une droite ou d’une extrême droite trop heureuse de surfer sur de tels faits. Même si, rappelons-le, la loi LRU, qui a permis des systèmes comme celui de Paris 13, a été mise en œuvre sous un régime précédent. C’était aussi le cas du système ECLAIR pour les collèges et lycées (critiqué alors dans cette même chronique dans “Le véritable enjeu de l’autonomie des établissements scolaires“), dont on retrouve encore quelques éléments dans la nouvelle réforme, avec les même dérives possibles. Il serait impératif, répétons-le, que les réformes du secondaire engagées ne les permettent pas. La ségrégation scolaire serait alors largement confirmée et institutionnalisée, contrairement aux discours de la Ministre, dont le silence dans l’affaire de l’IUT de Saint-Denis a quand même aussi été aussi extrêmement marquant. Ce sera aux enseignants et autres personnels d’être très vigilant et de contrer localement et vigoureusement de telles pratiques, de s’y opposer sans délation, en évitant d’en rajouter sur une certaine atmosphère bien trop “années 30” par certains côtés.
Et n’en reste pas moins posée la très grave question de ce que recouvre l’inertie de Jean-loup Salzmann vis-à-vis de l’IUT, de son directeur et de certains de ses enseignants qui ont, eux aussi, reçu des menaces de mort.
Le Gypaète barbu
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