Le mal-être des mal aimés

Depuis quelque temps, période du bac oblige, les questions d’éducation sont de plus en plus médiatisées. On trouve pêle-mêle les études de l’OCDE sur les conditions de vie des enseignants, le manque de considération qui est leur lot poujadiste presqu’habituel et… le bac avec son cortège de plus en plus médiatisé de magouilles destinées à gonfler les statistiques de réussite mais aussi, fait nouveau, la contestation consumériste sur les réseaux sociaux de sujets trouvés trop difficiles par les élèves et, du coup, les diverses réponses dont celle de la bienveillante indulgence à la correction. Ah, la république des sondages !!!

 De l'instruction

Le mal-être des mal aimés

La dernière enquête Talis de l’OCDE porte sur les conditions de vie des enseignants dans les collèges. On pourra trouver quelques éléments de synthèse et commentaires sur le site des Cahiers pédagogiques. Il est intéressant, avant toute chose, de voir que, dans la médiatisation qui en est faite, il est question finalement de l’école en général, donc aussi bien de l’école élémentaire que du lycée et plus seulement du collège. Autre fait frappant : la distorsion entre la douceur des analyses institutionnelles, dont celle des auteurs du rapport, ou des analyses syndicales et ce qui peut être vécu sur le terrain et/ou la virulence des témoignages recueillis par ailleurs (à écouter en fin de chronique).

Que disent les études, celle de l’OCDE ou celles du SE-UNSA (syndicat enseignant) par exemple ? Grossièrement que les enseignants aiment leur travail, qu’ils sont là par vocation, mais qu’ils se sentent mal considérés par la population (à 84% quand même !), incompris dans leur travail, à la fois du fait de la quantité fournie et des difficultés rencontrées.

 2506_talis1Document extrait de l’enquête Talis

 Il parait qu’il y a là paradoxe avec les résultats d’autres enquêtes qui montrent que le métier d’enseignant est le troisième métier que les parents recommanderaient à leur enfant après médecin et ingénieur. Et l’article de l’Express qui aborde cette question de l’autodépréciation de citer ce morceau choisi des “Mémoires des autres” écrit par le professeur de philosophie Jules Simon (par ailleurs ministre de l’Instruction publique un peu avant Jules Ferry, de 1871 à 1873): “Eh bien oui, le métier que je fais m’est odieux. Mes confrères sont des cuistres, mes élèves, de jeunes idiots qui ne pensent qu’à être bacheliers ; et nous sommes idiots nous-mêmes avec nos examens et nos chinoiseries. Tout cela me répugne et m’ennuie. J’aimerais mieux être commis de bureau, précepteur, conducteur de travaux. Je m’ennuierais ferme, mais on ne me parlerait pas de services rendus au pays et de sacerdoce”. Quelle actualité !

Mais là encore on retrouve finalement l’éternelle approche de l’enseignant dépressif qui se plaint la bouche pleine, appréciation qui se rajoute aux fréquents discours poujadistes sur l’enseignant toujours en vacances ou en grève, psychorigide et incapable de réforme, qui n’a rien à faire d’autre que gaspiller l’argent du contribuable. Et ce discours est bien réellement entendu, parfois par certains chefs d’établissements eux-mêmes qui se rêvent comme chef de PME. Ce n’est donc pas une légende. Or, si le métier était si facile et si bien payé, pourquoi cette grave crise du recrutement qui amène un rectorat à recruter par speed dating ou certain chef d’établissement à s’adresser au site « Le bon coin » ?

Le vrai mal-être

Or la réalité est bien autre. Un des aspects souligné est le divorce avec la hiérarchie depuis que l’idéologie néolibérale a envahi l’Education Nationale et que la politique managériale bat son plein. Faut-il rappeler cette injonction répétée d’un proviseur adjoint à un professeur : « Un fonctionnaire ça obéit ou ça va vendre des carottes ! » Et la réponse réitérée du professeur : «Un fonctionnaire sous Vichy… » et la phrase ne sera pas terminée ici mais on peut facilement en deviner la suite. Et encore, le conflit, ici, n’est que verbal.

Mais le mal-être ne vient-il pas justement de ce que les enseignants sont obligés de faire : assumer des accompagnements dits personnalisés à des groupes de 26 élèves (sic !) sans formation ni moyens, faire avaler des programmes non-sens qui ne peuvent pas être intégrés par les élèves parce que totalement incohérents, faire de la garderie pendant des années, donc jusqu’au bac, à des élèves en souffrance parce que n’ayant pas acquis les bases de la langue ou des mathématiques (ou simplement des opérations élémentaires) nécessaires pour suivre des études secondaires, tripatouiller les notes puisque le système français n’est basé que sur elles, et bien d’autres choses humainement peu défendables dont la fonction est d’être ainsi le garant des inégalités.

Les statistiques officielles comme celles des syndicats affirment que seulement 20% des enseignants désirent quitter le métier. Comment mettre en cause de tels résultats ? Mais pour un métier dont on n’arrête pas de dire qu’il est de vocation, que 20% la perdent peut être considéré comme un nombre non négligeable, non ?

Les solutions

Tout marche au chantage. Refuser de faire passer les examens, ce qui devrait être le cas face à l’immoralité et aux discours faussement scientifiques qui précèdent les tripatouillages, faire grève sur des mots d’ordre purement pédagogiques en faveur des élèves, mener une fronde médiatisée contre la hiérarchie, tout cela aurait une telle mauvaise presse au niveau des parents et de la société dans son ensemble qu’aucun enseignant ne peut résister réellement au chantage. C’est aussi sans compter qu’il n’y a pas LES enseignants mais DES enseignants et que, parmi eux, un certain nombre trouve son compte dans la situation actuelle, que le poujadisme ne frappe pas que les commerçants et artisans de l’époque de Pierre Poujade et, enfin, que le recrutement de ces dernières décennies, au niveau des professeurs comme de la hiérarchie, n’a certes pas mis l’institution sur une dynamique intellectuelle favorable aux élèves. Intellectuel et pensée sont d’ailleurs devenus des gros mots. Pourtant Benoit Hamon, ministre actuel, tient un discours en faveur des exigences (on sait que la question de l’exigence est bien à l’origine des différences avec nos voisins, cf chronique du 31 mai § Des raisons plus profondes à l’échec) et est parfaitement conscient de la gravité des problèmes liés à l’absence de maîtrise de la langue et des bases en mathématiques. Chiche, Monsieur le Ministre, qu’on met fin à la déliquescence ?

Or nombreux aussi sont ceux qui inventent et proposent des innovations pédagogiques intéressantes. Il s’agit d’initiatives individuelles. Et c’est certainement par de telles initiatives, bien ancrées sur un terrain déterminé, sans souci des injonctions de la hiérarchie, que les choses pourront avancer. Dans le pétainisme ambiant il ne faut compter ni sur l’institution ni sur la hiérarchie, même si, individuellement, certains inspecteurs essaient ponctuellement de faire un réel travail de mise en relation et d’information des professeurs dont ils ont la charge. Mais cela reste encore bien trop sommaire. Et les membres de la hiérarchie ne pensent pas tous, loin de là, et sont eux-mêmes bien trop soumis à l’obéissance militaire qui règne dans l’institution. Un chef d’établissement, par exemple, est officiellement un représentant de l’autorité et doit respecter une lettre de mission qui lui vient de plus haut. Une des solutions, à moyen ou long terme, est donc un changement complet des modes de fonctionnement. Surtout du corps des inspecteurs, qui doivent cesser d’être des rouages politiques mais devenir des coordinateurs capables de créer des liens, de donner des informations, d’organiser de vraies formations et de soutenir de vraies propositions, intellectuellement valables. On peut toujours rêver !

Une solution de terrain serait aussi de permettre à plusieurs enseignants de travailler ensemble, à un moment donné dans la même classe, face à un groupe d’élèves déterminé. Cela se fait dans un certain nombre de pays et  a le gros avantage de renvoyer l’élève à plusieurs points de vue, plusieurs angles d’attaque différents d’une même problématique, donc de relativiser la connaissance et de quitter un formatage de pure forme ; donc de former des êtres pensants. Cela permet aussi aux enseignants de se confronter, dans la réalité, sur le terrain, et donc de profiter pleinement de ces échanges. Dans ce cas il faut donc pouvoir, pour un enseignant, assister au cours d’un de ses collègues. Mais on sait combien les résistances sont fortes, notamment du fait de l’infantilisation, entre autres institutionnelle, du corps enseignant, et donc de la peur d’être jugé.

La formation initiale et continue est une des revendications reprise en cœur par tous. Mais comme pour tous les autres aspects habituellement soulignés (et pas forcément traités), lorsqu’on a dit qu’il faut former, on n’a rien dit. Le vrai problème est celui de l’intelligence et de la culture. Former des OS (ouvriers spécialisés) de l’enseignement, calés en méthodes pédagogiques, c’est-à-dire bardés de compétences établies selon les critères à la mode, n’a aucun sens en soi, sinon de reprendre les éternelles soit-disant évidences, donc jamais remises en cause, de l’idéologie néolibérale telles qu’elles ont envahi l’institution.

Comment former à la pensée si soi-même on n’a ni les moyens ni le désir de penser. Or, la question du désir comme celle de la pensée sont bel et bien au cœur de la déliquescence du système, les deux étant clairement mis à mal depuis quelques décennies.

Quelques exemples montrant le divorce entre discours médiatique et réalité du terrain

La confrontation était caricaturale lors de l’émission de France Inter « Le téléphone sonne » du 25 juin dernier consacrée à l’étude de l’OCDE :

Discours d’Eric Charbonnier Expert sur les questions d’éducation à l’OCDE et auteur du rapport et de Frédérique Rolet, secrétaire générale du SNES-FSU :

Premier témoignage :

Deuxième témoignage :

Troisième témoignage suite à une émission de France Culture sur le même thème ( texte ici).

Il est intéressant aussi de citer une réponse qui fait suite à ce témoignage :

«  MODIGLIANI04.06.2014

Ceci est un message à l’attention des futurs enseignants que vous décrivez dans l’émission ; ceux qui ne pensent pas rester sur le bateau EN toute une carrière (il est vrai que l’on en croise de plus en plus depuis 10 ans)
ATTENTION: A moins d’avoir accumulé d’autres diplômes ou qualifications spécifiques,vous n’aurez pas beaucoup l’occasion de vous” échapper” de la Garderie Nationale surtout dans le 1er degré (beaucoup d’heures devant élèves, préparations ,corrections, réunions et conseils, évaluations à mille et une cases…).Sur le marché du travail ,le professeur des écoles ne “vaut” rien (je sais c’est triste mais c’est ainsi).A moins d’avoir un conjoint pouvant assurer le quotidien financièrement , vous n’aurez pas droit au chômage pendant que vous cherchez un autre travail.
Si vous pensez pouvoir facilement quitter le Titanic il vaut mieux prévoir un bon canoé ou encore mieux: ne pas embarquer même si vous voyez de la lumière en passant. »

Mais le discours de Jules Simon résonne de façon très particulière au moment où, là aussi, le paradoxe bat son plein : jamais élèves, parents, enseignants et toute une société n’ont accordé une telle importance au bac et jamais les tripatouillages n’ont été aussi brutaux et aussi caricaturaux pour obtenir les quotas de réussite imposés.

Très bientôt : le bac 2014 la terrible question des quotas

Le Gypaète barbu

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