Pédagogie : l’enseignant comme pharmakon

Pédagogie. Le terme est sensible, associé souvent aux “pédago”, avec parfois mépris et agressivité, fleurant bon ou plus ou moins sulfureux lorsque sont évoquées des Ecoles parallèles, ramené parfois à de simples techniques, mais finalement, dans beaucoup d’établissements, peu réellement discuté.

A Mulhouse s’est créée récemment une Maison de la Pédagogie qui se veut un lieu de rencontres et de réflexion. Deux rencontres-débat ont déjà été proposées, l’une sur le thème autorité et pouvoir (L’autorité est-elle compatible avec une pédagogie de l’émancipation ?) et l’autre sur le thème de la coopération (Grandeurs et servitudes de la coopération à l’Ecole ou ailleurs), la dernière, en date du 20 mai denier sur la question du décrochage scolaire mais vu sous l’angle de la résilience (Persévérance scolaire : quelles stratégies pour prévenir  le décrochage et favoriser la résilience  en établissement scolaire ?).

Mpm manifestationouvertureAu cours de ces rencontres, de vrais éléments de réflexion sont là posés, rarement abordés par ailleurs. Le retour, dans beaucoup de discours, à une confusion entre autorité et pouvoir se doit effectivement d’être analysé, dans un contexte socio-politique  délétère et dont on voit tous les jours se concrétiser les graves  dangers. L’isolement de beaucoup d’enseignants, la faiblesse générale de leur formation et la déculturation, le dénigrement de toute pensée, ne favorisent pas une réflexion générale sur la question. Si on assiste paradoxalement à beaucoup d’initiatives et d’innovations individuelles, beaucoup restent aussi au stade de techniciens, de ce qu’on a pu appeler, en un temps, des OS de l’éducation. Outre de susciter une vraie réflexion, une des qualités de ces rencontres, donc de l’esprit des animateurs de la Maison de la Pédagogie, est l’ouverture à d’autres milieux que ceux de l’Education Nationale. La pédagogie n’est effectivement pas une pratique exclusive de cette institution. Une autre qualité est de ne pas la considérer comme un ensemble de technique, mais bien comme une posture, et finalement comme une Weltanschauung.

Quelques éléments de réflexion parmi d’autres à ce propos :

La question de l’autorité

Elle est souvent posée, notamment en terme de dégradation, donc en terme de “remise en ordre” de ce qu’aurait détruit cette génération laxiste de soixante huitards, et en opposition avec des pratiques pédagogiques dites nouvelles (ce qu’elles ne sont d’ailleurs pas). Or, l’autorité n’est pas le pouvoir. Rêver d’ordre renvoie plus souvent à des peurs, ou une idéologie, personnelles plutôt qu’au contraire à une réelle activité de soin, au sens de prendre soin. Car c’est finalement la question de fond. Qu’est-ce que prendre soin de la jeunesse, donc des élèves ? L’enseignement est-il un métier de soin ? Au sens de réparation, actuellement certainement au vu d’un certain nombre de situations et de pratiques souvent dénoncées dans cette chronique, délétères pour une grande partie de la jeunesse. Au sens de favoriser le développement personnel de l’élève, de remettre en œuvre un désir si malmené, voire détruit, au profit d’une pseudo efficacité scolaire dont rendent compte les conseils de classe, très mal nommés et largement pervertis (voir la chronique “Folle évaluation, orientations et servitude volontaire”  ). Au sens de former des citoyens libres et non des consommateurs captifs, certainement. Là se pose encore la question des savoirs, donc du désir et de la manière de susciter le désir. Au sens social également, au vu des conséquences socio-politiques qu’on connait. Ce sont les enjeux fondamentaux d’une approche pédagogique, là où savoir et désir sont devenus, dans les faits sinon dans les discours, bien trop tabous.

La question du désir et de la valeur de soi

Les élèves s’ennuieraient-ils en cours ?

“Tout d’abord, écrire un SMS en cours correspond à une volonté de rompre avec ce qui est  proposé, institué par l’ordre scolaire. Carla m’a expliqué que sa mère lui envoie des SMS concernant des documents à aller chercher à la vie scolaire, il est hors de question qu’elle ne réponde pas : sa mère est prioritaire sur la séance de cours. Tasha choisit de gérer sa vie amoureuse pendant les heures de cours avec les SMS. Alice, Philippe et Ryan s’ennuient en cours et tentent de communiquer avec les autres, ils en profitent aussi pour organiser l’après- cours : se donner rendez-vous par exemple. Arthur est le seul en début de seconde à me proposer un usage du SMS en lien direct avec le cours : demander aux autres les réponses pendant un contrôle, mais cet usage ne semble pas perdurer. Quand je lui en reparle quelques mois plus tard, au printemps 2012, il me dit qu’à présent il va « direct sur Google ».”
Economie scripturale des adolescents : enquête sur les usages de l’écrit de lycéens – Elisabeth Clément-Schneider, thèse p. 328, citée par le Café pédagogique.

Enfance en danger, une thérapeutique est-elle encore possible ? Cette chronique de juin 2012 abordait la question de l’intoxication mentale produite par notre économie sur la jeunesse. L’Ecole est plus dans une dynamique économique que dans une dynamique d’épanouissement personnel. A une telle dynamique, basée sur la compétition et la performance, s’ajoute une ségrégation bien réelle dans les enseignements et, depuis une dizaine d’années, un blocage consécutif de l’ascenseur social. A cela répondent trop souvent, chez les élèves, la peur de ne pas réussir et un fort sentiment de dévalorisation qui concourent à l’échec, quel que soit sa forme et sa temporalité, renforçant encore un sentiment d’exclusion sociale souvent justifié. Tout le système est basé sur une notation qui détermine la valeur de la personne tout en la déniant. Une telle valeur est tellement intériorisée par les élèves qu’ils en redemandent ou se sentent perdus sans note (“Vous, vous dites que la note n’a pas d’importance fondamentale, mais c’est bien sur nos notes qu’on va être jugé(e)s !”). Or en sport, surtout de haut niveau, on sait très bien combien l’impératif internalisé de la performance peut agir négativement sur les résultats. Pour être sur le podium, il faut bien sûr en avoir le désir mais, surtout, il faut savoir l’oublier pour se consacrer au plaisir de l’action. Or, c’est le plaisir que l’Ecole a détruit à petit feu depuis quelques décennies, dans sa complicité avec les milieux économiques. (Rappelons, à ce sujet, les conventions passées avec des géants comme Microsoft et, plus récemment, Amazon, société reine des lectures numériques.)

Une thérapeutique possible

Les pratiques coopératives, dans leur règles et leurs ritualisations, modifient considérablement le climat de la classe, déportant le système de valeurs vers l’élève en tant que personne. Mais, ne nous y trompons pas, elle déplace obligatoirement également la posture de l’enseignant. Et en cela, contrairement à certaines peurs, il a tout à y gagner. Ne serait-ce que par le changement de climat. On peut regretter que la coopération ne soit le fait principalement que de l’enseignement primaire, un tout petit peu celui du collège et non celui du lycée. Or les enseignements interdisciplinaires sont une voie positive quant à ces changements de postures absolument nécessaires. Ceux qui ont déjà expérimenté le travail à plusieurs dans une même classe le savent bien. Et, contrairement à ce qui peut parfois en être dit, l’autorité de l’enseignant  s’en trouve largement renforcée, car ne venant pas d’essence divine mais bien d’une approche fondée des savoirs, donc légitimée. Ne nous y trompons pas, là non plus, l’enseignement disciplinaire, le seul, bien évidemment, qui permette d’acquérir les bases nécessaires, ne permet plus depuis longtemps d’acquérir de vrais savoirs sur lesquels les élèves puissent se fonder une vraie personnalité. Cette même chronique en a souvent déjà discuté. La question est donc fondamentalement politique : veux-t-on réellement former des “sujets” libres d’eux-mêmes ou des “sujets”, donc soumis à un mode économique donné et politiquement dépourvus ?

 

Le professeur comme Pharmakon

Le pharmakon  est à la fois remède et poison. Ce que Bernard Stiegler applique aux objets techniques (voir Bernard Stiegler – Ars industrialis – Pharmakon ) peut aussi être appliqué à l’enseignant et à sa pédagogie. La pédagogie peut être poison, destructrice de l’esprit (cf. un certain nombre de programmes scolaires et de méthodes dites faussement pédagogiques) et destructrice de l’être. Elle peut être aussi remède, dans le sens ou une nouvelle posture, alliée à des pratiques adéquates, peut redonner valeur à des élèves qui, alors, redeviennent des personnes et ne sont plus une courbe projetée sur un mur dans le silence approbatif des conseils de classe.

Le Gypaète barbu.

Pour lire et relire les anciennes chroniques :
dans l’ordre chronologique : ici
dans l’ordre chronologique inverse : ici

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“Profession de foi de la Maison de la Pédagogie :

C’est pour vous si…

  • vous éprouvez le besoin de réfléchir avec d’autres sur votre pratique pédagogique
  • vous expérimentez dans votre coin et vous vous sentez isolé(e)
  • vous souhaitez découvrir des démarches pédagogiques différentes
  • vous considérez que l’échec scolaire n’est pas une fatalité
  • vous êtes persuadé(e) que vous pouvez mieux faire pour permettre la réussite du plus grand nombre de jeunes
  • vous souhaitez échanger des outils, des façons de faire
  • vous souhaitez vous lancer dans un projet pédagogique ambitieux, mais…
  • vous avez besoin d’oxygène pédagogique
  • vous êtes parent, éducateur, travailleur social … et la pédagogie vous intéresse

Pour vous, la pédagogie n’est pas un vain ni un vilain mot !”

 

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