Pour qui tient à lire le projet de programmes pour le cycle 4 (ici et là) proposé par le conseil supérieur des programmes, tout commence bien !!! Il faut déjà apprendre à lire, la ministre a bien évidemment raison ! En effet, il ne faut pas chercher des programmes mais une « opérationnalisation par discipline », une « contribution de chaque champ éducatif à l’acquisition des cinq domaines du socle » et un “cahier des charges des enseignements pratiques interdisciplinaires”. On peut aussi se poser la question de son emploi du terme pseudo-intellectuel dans son intervention sur une radio nationale. Mais à bien lire les nouvelles propositions, il n’est pas non plus possible de se réfugier derrière une approche manichéenne comme c’est trop souvent le cas. On peut regretter, de ce point de vue, le niveau proprement idéologique et parfois manichéen d’échanges qui semblent bien trop éloignés de la réalité et du quotidien du collège ou du lycée. Mais le mépris n’est pas non plus justifié et on peut aussi lire les humeurs ministérielles comme une attitude défensive face à un ensemble de critiques qui n’ont jamais été aussi fortes et médiatisées, qu’elles soient justifiées ou non. Ce qui ne fait pas avancer le débat.
On peut légitimement se poser la question de savoir si les différents contributeurs ont bien conscience du terrain. Lorsqu’on connait les systèmes de cooptation et d’entretien qui règnent dans l’institution depuis de nombreuses décennies, beaucoup d’interrogations subsistent légitimement. Certains évoquent un complot dans la grande lignée de la destruction de l’École (bien réelle cependant : voir Main basse sur l’école publique ! dans cette chronique). C’est notamment le discours qu’on peut trouver chez certains media, comme celui du périodique Marianne. La réalité (cooptative) semblerait alors du coup peut-être pire. L’avènement d’un conseil des programmes a été, dans cette chronique, positivement souligné ; comme la nécessité d’une réforme, voire d’une révolution, l’institution ayant atteint des profondeurs de fosse océanique en matière d’inégalités et de désintégration intellectuelle dans un certain nombre de filières. C’était oublier sa réalité et celle de ses cadres. C’était oublier qu’une révolution ne peut venir d’en haut.
Les polémiques
La grande opposition au projet, presqu’une révolte, de plusieurs pans de la société civile est donc très signifiante et demanderait, en tant que telle, une sérieuse analyse. L’institution accumule réforme sur réforme, notamment des programmes, depuis des décennies et dans l’omerta la plus totale, autant dans le monde enseignant que dans la société civile. Mais c’est tout de même la première fois qu’un media se permet de lancer une pétition pour le retrait de l’une d’entre elles ! Cela demande explication ! Les réactions (et le terme est peut-être à prendre là dans son plein sens) sont de ce point de vue assez étonnantes, allant d’une vraie position ou d’un humanisme réel au poujadisme et au populisme le plus clair ; voire regroupant parfois ces deux aspects dans une contradiction parfaitement ignorée. N’a-t-on pas pu lire, par exemple, que « la réforme du collège proposée par le ministère de l’éducation nationale met en place un système inique qui signe l’acte de décès de l‘élitisme républicain dans le même temps qu’il abandonne les élèves en difficulté » (pétition lancée par Marianne) ? Qu’est-ce que cela signifie ? En quoi « un acte de décès de l’élitisme républicain » ? Comme si l’élitisme républicain n’était justement pas le pendant actuel de l’abandon des plus fragiles et des plus pauvres et, comme Marianne le souligne par ailleurs, le gouffre des inégalités actuelles et le résultat de décennies de démolition du système ? A ce titre il est aussi intéressant de lire l’analyse de Mazarine Pingeot, écrivain, professeur agrégé à Paris VIII, sur Polis : Fini de comprendre, c’est le moment d’apprendre ! :
“Alors écouter l’élève, d’où qu’il vienne, revendiquer sa « culture » qu’il ne connaît que par héritage ou par contagion (80% des connaissances des enfants scolarisés proviennent d’Internet), ses « idées » qui sont celles de son entourage (famille ou copains), son point de vue (qui n’a de personnel que l’emploi grammatical du « je »), c’est renoncer à faire de lui un élève de la République.
Mais pourquoi ? Pourquoi cet abandon au nom de la « compréhension » du petit d’homme ? Pourquoi a-t-on renoncé à l’éduquer ?
L’école a-t-elle été instituée pour faire la charité aux laissés pour compte de l’Histoire ? Et ce faisant n’est-elle pas définitivement en train de les mettre dehors, hors de l’Histoire, pour bien les enchaîner à leur histoire propre, la répétition de la misère, et l’impossibilité d’en sortir ?”
Lorsque Régis Debray affirme, à propos des langues anciennes et de l’apprentissage de l’allemand, comme il est parfois cité, que “La suppression de l’enseignement des langues anciennes entraîne la formation de générations sagement conformistes, le nez collé au Dow Jones”, il propose là une analyse bien réductrice de la situation, dont on peut se demander ce qu’elle cache par ailleurs. Et quel latin était enseigné en collège, une version et un thème par semaine comme dans les années 60 ? Mais la question ne se pose bien évidemment pas.
C’est bien avant cette réforme, et depuis trois décennies, que, grande élite mise à part, les élèves ont été abandonnés avec l’assentiment de tous. Il serait donc grand temps de rompre avec un tel état de fait. Il est impératif aujourd’hui de remettre de l’exigence intellectuelle au cœur de l’enseignement. La réforme peut aussi le permettre. Cela dépendra essentiellement de ses acteurs. A l’en croire, ils auront justement plus de marge de manœuvre. A eux de s’en saisir.
Mazarine Pingeot de conclure son article : “Tout apprentissage est exigeant, et l’exigence est une des formes les plus achevées du respect.” On ne peut que souscrire.
Il n’est pas question, dans cette chronique, de faire le tour des critiques et des polémiques concernant notamment l’histoire, le français, les langues, les activités interdisciplinaires, etc. Tout est dit et son contraire. Certaines sont très sévères et en partie injustes, comme celle d’Alain Bentolila dan l’Obs du 24 avril. Pour qui veut se pencher un peu plus sur la question il est possible de lire les revues de presse du “Café pédagogique” notamment celle du lundi 4 mai. Mais on peut citer aussi les propos de Henry Rousso, historien, directeur de recherches au CNRS (Institut d’histoire du temps présent) dans le Huffingtonpost du 8 mai :
“Je ne suis pas professeur de collège ou de lycée, et je n’ai pas l’expérience de terrain de ceux qui se battent sur ce qui est devenu un véritable front social et culturel. Je suis encore moins pédagogue, et je n’ai même aucune sympathie pour le “pédagogisme”. Et je n’ai nul intérêt personnel à défendre ou attaquer les programmes d’histoire en cours de concertation. Je les ai simplement lus avec le regard d’un historien de métier, qui s’est intéressé à l’enseignement de l’histoire contemporaine dans le second cycle, maillon de la chaîne du savoir à laquelle j’appartiens. Certes, ces projets sont loin d’être parfaits (et je laisse de côté la question des autres disciplines). Mais j’avoue une certaine surprise devant le ton apocalyptique de certains, sans doute le seul moyen d’exister dans notre monde saturé d’opinions de toutes sortes.”
On peut aussi citer l’interview de Pierre Nora dans le JDD (“Les nouveaux programmes reflètent la crise”) : “L’ensemble manque de cohérence. Il aurait fallu une déclaration d’orientation intellectuelle et politique nette et claire. Les programmes ont une bonne inspiration : le retour à la chronologie, mais à l’intérieur d’une mosaïque de thèmes, qui ne forment pas une unité dynamique. Je ne jette pas la pierre au Conseil supérieur des programmes. Cette absence d’orientation reflète la crise identitaire que traverse la France, une des plus graves de son histoire. C’est l’expression d’une France fatiguée d’être elle-même, d’un pays qui ne sait pas trop où il va et ne sait donc pas dire d’où il vient.”
Un exemple peu abordé : celui du programme des disciplines scientifiques
A lire ce projet, au-delà du jargon, il est possible d’y puiser des cadres et des notions intéressantes. Mais on peut y lire aussi une outrance langagière qui confond objectifs d’études supérieures pour un langage narcissiquement valorisant et pratique pédagogique de base au collège. Là où les réels objectifs devraient être de mettre fin à l’incapacité à maitriser un langage élémentaire, à la pauvreté et au grand niveau de confusion dans le vocabulaire de base ainsi qu’à l’incapacité à maîtriser parfois (souvent ?) les quatre opérations de base de la grande majorité des élèves sortant de collège. N’oublions pas que, dans ce cadre, il est impossible pour un enseignant d’aborder quelque « champ disciplinaire » que ce soit, quelle que soit sa bonne volonté. L’approche numérique ne change rien au problème : un copié-collé à partir d’un site peut se faire sans aucune compréhension du texte copié. C’est d’ailleurs là, malgré leur grand intérêt, l’un des grands écueils des activités interdisciplinaires : comment alors permettre « cette appropriation croissante de la complexité du monde (naturel et humain) [qui] passe par des activités disciplinaires et interdisciplinaires dans lesquelles il fait l’expérience de regards différents sur des objets communs. » ? « Le programme donne une place importante à la construction et l’utilisation des nombres. Le développement des procédures de calcul (les quatre opérations, le calcul littéral) doit s’appuyer sur des situations permettant de construire le sens des nombres et des opérations. » Espérons !
Si le programme de SVT, comme celui des autres disciplines scientifiques, présente des aspects nouveaux et intéressants, comme le rôle important des microorganismes, des bactéries, dans l’organisme humain, la lecture des programmes renvoie plus à une compilation de ce qu’un ancien pouvait apprendre en troisième et quatrième année de faculté qu’à ce qui peut être abordable à un niveau de collège. Que comprendront à la méiose ces élèves ? D’autant que l’ambition des programmes est autant quantitative que qualitative, dans une sommation de thèmes qui tend à une fausse exhaustivité. On retrouve un même niveau de fausse ambition en Education Physique et Sportive où des notions de physiologie ou psychophysiologie complexes sont au programme, telles que « Comprendre les phénomènes qui régissent le mouvement (principes bio mécaniques) et l’effort (principes physiologiques). Identifier l’impact de ses émotions et de l’effort sur la pensée et l’habileté gestuelle. » Il faut souhaiter bon courage aux professeurs de SVT dont on peut gager que les élèves ne comprendront pas grand-chose aux notions abordées. A moins de faire semblant ! Gageons que, dans un certain nombre de collèges, gommes et compas continueront de voler dans les airs.
Un autre grand écueil vient de la répétition des mêmes problématiques tout au long de la scolarité. Les mêmes thèmes, proposés dans ces nouveaux programmes, sont repris plus tard en seconde, en première et/ou en terminale. Les bases réelles étant absentes, les fondamentaux n’étant pas intégrés, on constate que beaucoup d’élèves traînent d’année en année une lassitude et une incompréhension très décourageante et très dévalorisante sauf pour les meilleurs. La réforme des programmes des collèges reprend là les vices habituels. Quant à demander aux élèves « d’exploiter des ressources authentiques : sites, vidéos, extraits d’articles de vulgarisation en langue étrangère » et « d’identifier l’influence culturelle dans la manière de vivre et de résoudre des questions scientifiques» et pour cela «d’élaborer un discours simple à l’oral » … cela n’appelle aucun commentaire sinon qu’il s’agit là d’un vrai modèle du genre. Vraiment dommage ! Car, au-delà, on peut aussi trouver d’autres objectifs non négligeables qui n’excluent ni l’acquisition de savoirs ni “la nécessité de répétition et de mémorisation pour leur acquisition“, soulignent les fondements expérimentaux de la discipline et la nécessité de l’apprentissage par essai-erreur malgré des aspects par ailleurs discutables : « Construire connaissances, automatismes et compétences par des exercices d’entraînement et de mémorisation, des tâches complexes, dans et hors le temps de la classe. Développer son raisonnement, en utilisant ses erreurs et ses essais, ainsi que ceux des autres. Garder trace d’une activité expérimentale sous la forme d’un cahier de recherche. Identifier un problème, s’engager dans une démarche de résolution, mobiliser les connaissances nécessaires, analyser et exploiter les erreurs, mettre à l’essai plusieurs solutions. Gérer un projet individuel ou collectif, en planifier les tâches, en fixer les étapes et évaluer l’atteinte des objectifs. Confronter différentes sources et évaluer la validité des contenus. Traiter les informations. » Une telle réforme impose alors la pratique de nouvelles méthodes pédagogiques (voir pour cela par exemple une précedente chronique sur les boîtiers numériques), notamment en expérimentation assistée par ordinateur, déjà largement utilisée.
La vraie question reste donc et toujours de définir des savoirs fondamentaux plutôt que de pratiquer un certain onanisme pédagogique qui se nourrit de la magie des mots. Il serait aussi impératif qu’il y ait une vraie progression et une vraie continuité entre le collège et le lycée. Or, si l’ambition des programmes de collège se rapproche plus d’un niveau universitaire, il n’en va pas de même, loin de là, de ce qui est proposé au niveau du lycée. A titre d’exemple, caricatural mais très représentatif des nouvelles démagogies, cet extrait d’un nouveau manuel de Biologie Humaine de classe de première en filière Sciences et Technologies de la Santé et du Social qu’il faut avoir sous les yeux pour vraiment y croire. (Par compassion pour les auteurs, leur nom ne sera pas ici cité.) Il concerne les transferts d’eau à travers les membranes cellulaires (phénomène d’osmose). Pour apprendre cette notion fondamentale, on propose tout simplement aux élèves de voir que l’eau “sort du Tarzan” ou “entre dans le Tarzan”. Oui, il s’agit bien de Tarzan !!!
Et tout l’ouvrage est du même style, l’élève étant censé “construire son cours” selon ce dramatique exemple ! Où sont alors les exigences ? Comment les élèves qui seront élevés à ce jus pourront-ils s’en sortir ? Cette situation est d’autant plus immorale que les analyses, déjà citées dans cette chronique, montrent bien que ce sont justement de telles pratiques qui sont à l’origine des inégalités. Les faits trahissent là une contradiction patente.
Alors, réforme du collège ? Pourquoi ? Avec quelle réelle prise de conscience ? Avec quels enseignants ? Et, surtout, avec quelle volonté explicite ? Ou quelle volonté masquée ? Il est bien difficile, malheureusement, de pouvoir aujourd’hui prendre une position nette. La réalité fera loi.
En guise de conclusion pourquoi ne pas citer Alain Bentolila dont il n’est pas obligatoire de partager le plein optimisme quant à l’enthousiasme supposé de l’ensemble du corps enseignant, mais avec lequel on peut être d’accord sur la résistance à l’obscurantisme :
« Lieu de résistance à l’obscurantisme
Alors que le monde politique, au fil des années, a perdu confiance dans la vertu de l’école de corriger les inégalités individuelles et sociales, beaucoup d’enseignants refusent de toutes leurs forces que le destin scolaire et social d’un enfant soit scellé selon qu’il est né du bon ou du mauvais coté du périphérique, selon qu’il vit en zone urbaine ou rurale ou selon qu’il appartient à une famille culturellement favorisée ou non.
Ils savent que c’est là la mère des batailles ; celle qu’ils veulent livrer, la seule qui les mobilise. Car elle seule impose de choisir son camp politique et non de d’épouser des modes et des postures ; elle seule distinguera les hypocrites cyniques des humanistes généreux.
Les enseignants attendent la femme ou l’homme d’Etat, oublieuse d’elle-même, délivrée des dogmes idéologiques partisans, acceptant de ne pas voir pendant son mandat les effets de ses décisions : celle ou celui enfin qui fera de l’école un lieu de résistance à l’obscurantisme et à la passivité intellectuelle. »
Le Gypaète barbu
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