Une salle des professeurs, un jour banal, heure du déjeuner. Une réunion est prévue pour aborder la grève du 9 avril et, donc, les différents aspects de la réforme. Ce lycée de la proche banlieue parisienne était sous APV (APV : Affectations à caractère Prioritaire justifiant une Valorisation). Le dispositif APV offrait aux enseignants qui travaillaient dans de tels établissements d’être gratifiés d’une bonification d’ancienneté relativement complexe leur permettant d’acquérir plus de points pour demander leur mutation (la mutation, changement d’établissement ou d’académie selon un mouvement annuel, se fait selon un système de points là aussi relativement complexe, incluant notamment l’ancienneté dans le poste mais aussi plusieurs autres paramètres tels que ces bonifications). Ce dispositif, dans les réformes actuelles, est remplacé par un dispositif REP (Réseau d’Education Prioritaire) et REP+ (Réseau d’Education Prioritaire renforcé – sic !) modifiant les conditions d’attribution des fameux points. Les systèmes sont complexes et l’attribution REP est fonction de la commune. La réunion commence donc par un long échange sur les conséquences en termes de points sur ce changement de système. Au terme de ce débat la question est posée de la réforme du collège par la syndicaliste animatrice de la réunion : nouvelles pratiques pédagogiques comprenant les activités interdisciplinaires, accompagnement personnalisé, approche par le concret, nouvelles évaluations par compétences, etc. Et là, comme par enchantement, les participants à la réunion quittent rapidement et tranquillement la salle.
Et le débat cessa faute de débattants !!!
Dans ce cadre il est bon de mettre en regard la note d’analyse du commissariat général à la stratégie et à la prospective intitulée Augmenter aussi le nombre de bons élèves Une lecture complémentaire de l’enquête PISA 2012. La France n’est pas seulement créatrice d’inégalités scolaires plus que criantes ; elle fabrique aussi des “bons élèves” dont le niveau est inférieur à ceux de pays comparables, notamment en science et en mathématiques. . Un des éléments d’analyse de cette très importante constatation : l’enseignement n’est pas assez rigoureux sur les fondamentaux, pas assez intellectuellement exigeant et privilégie la réalité sur l’abstraction. Or si la réforme du collège aborde clairement la question des fondamentaux, il n’en reste pas moins que les dérives liées aux enseignement interdisciplinaires, qui peuvent avoir leur valeur par ailleurs, présentent un réel danger de continuité, voire d’aggravation, du système. (vidéo ci-dessous, déjà citée in Relations lycée-université : le-3+3 ; problèmes et solutions dans cette même chronique. La réforme du collège permettra-t-elle d’augmenter le niveau scolaire comme nécessaire ?
C’est là où le désintérêt des enseignants cités est un désintérêt complice, d’autant plus que les élèves de collège issus de la réforme seront dans très peu de temps des élèves de lycée. C’est là où l’absence de conscience apparait clairement comme une complicité objective.
Quelques éléments de réflexion sur la réforme telle que présentée
Les beaux discours d’intention générale :
« Le collège de 2016 devra mieux enseigner les savoirs fondamentaux, former à d’autres compétences et avoir un fonctionnement quotidien assoupli pour s’adapter à la diversité des besoins des élèves. La réforme du collège concerne simultanément les programmes, les pratiques d’enseignement et l’organisation pédagogique. Najat Vallaud-Belkacem souhaite partir de ce qui marche déjà sur le terrain, libérer les capacités d’initiatives des enseignants et leur traduire cette confiance et ce soutien dans une nouvelle organisation plus responsabilisante et collective. La ministre présente, mercredi 11 mars, les évolutions du collège en 2016 afin qu’il permette à tous les élèves de mieux apprendre pour mieux réussir. »
Pour un enseignant, l’idéal serait déjà de ne plus avoir à lire ceci dans un travail d’élève de fin de terminale (exemple et non caricature !) :”Grace à cette observation le centre on a donc déduit que c’est individus ne partaient pas en vacances.” Ou, dans des copies de bac : “1,5-9=0,1” ou encore “8*7=15”. Difficile de croire qu’il ne s’agit pas d’exagération mais du courant en matière de correction de copies pour un nombre d’enseignants non négligeable, et même en post baccalauréat ! Et pourtant !
Les évolutions à bien prendre en compte pour ce qu’elles sont
A bien regarder le texte, on peut y trouver plus ou moins explicitement des propositions faites en leur temps par certains (Philippe Meirieu par exemple), prônant une fusion école primaire collège, proposition à laquelle on peut légitimement et raisonnablement adhérer, la nécessaire révolution pédagogique, une réaffirmation de l’école numérique, une nécessaire souplesse dans les emplois du temps comme dans l’approche pédagogique, etc.
La continuité école primaire collège
On retrouve cette idée d’associer école primaire et collège dans plusieurs propositions. Parfois elle apparait sous des abords moins directs. C’est le cas des heures d’accompagnement personnalisé : « En 6e, tous les élèves auront 3 heures d’accompagnement personnalisé afin que la transition école-collège se fasse dans les meilleures conditions (voir aussi encadré “Garantir la continuité école-collège”). On y fera acquérir plus explicitement les méthodes : prendre des notes, apprendre une leçon, faire des révisions, comprendre et rédiger un texte écrit, faire une recherche documentaire, etc. » On retrouve aussi l’idée dans la mise en place d’un conseil d’école-collège et de ses missions dont l’une est notamment « de garantir la cohérence de la construction et de la mise en œuvre des programmes de la maternelle à la 3e. Il s’assure de la prise en compte de la progressivité des apprentissages sur tout le temps de la scolarité obligatoire. »
Bien sûr, il n’est question que de continuité et non de fusion. Mais on peut penser alors que puisse à terme se mettre en place une seule structure qui regroupe les deux, ce qui ne serait d’ailleurs pas forcément un mal. Cela, lié à la mise en œuvre d’une plus grande souplesse de fonctionnement pédagogique, pourrait être très positif, mais sous réserve, bien évidemment, des modalités de mise en œuvre. Cela dit, la différence actuelle entre établissements est si criante et si désespérante que le remède ne peut pas être pire que le mal.
Les activités interdisciplinaires.
On retrouve toujours là l’approche par le concret dont les effets ont été évoqués plus haut (quelques exemples de ce qui est proposé ici). Certes le principe des activités interdisciplinaires est séduisant a priori car sollicitant les élèves de manière intellectuellement plus intéressante sans, théoriquement, se substituer aux enseignements disciplinaires . Ce type d’activité est déjà mis en œuvre au lycée dans le cadre des travaux personnels encadrés, des activités interdisciplinaires en filière sanitaire et sociale et autres projets technologiques. Il s’agit donc bien d’une tendance de fond et d’une volonté politique et pédagogique bien affirmée et mise en œuvre sur un long terme. La vraie question reste l’acquisition des pré requis (pardon ! des compétences nécessaires !!!), autrement dit déjà savoir lire, écrire et compter, acquérir la notion de temps, savoir la différence entre un temps et une durée, tout simplement des notions de base qu’on ne retrouve plus, même, dans les cas les plus caractéristiques, en classe de terminale ou au bac (cf exemples cités plus haut). Donc, trois solutions : soit ces fondamentaux sont acquis au préalable, ce que soutient le discours de la ministre dans sa présentation de la réforme, soit les ils sont abordés grâce aux activités interdisciplinaires, soit les deux se construisent en même temps (en lien avec une pédagogie constructiviste dont on peut largement discuter les termes et la mise en application). L’expérience des activités interdisciplinaires en filière sanitaire et sociale montre que la nécessaire adaptation aux élèves, du fait de leurs très importantes difficultés, pervertit complètement le système. L’enseignement est ainsi tiré vers le bas, et c’est un euphémisme, là où il serait censé permettre aux élèves de meilleurs acquis. Il faut beaucoup plus de temps pour essayer vainement d’aborder des notions très simples ce qui, malgré un faux discours sur la rigueur et les compétences, ne fait que cacher, lamentablement les insondables lacunes et ne résout en rien ni la question des vrais apprentissages de base, ni la question de l’absence d’exigences qui fondent notre différence d’avec nos pays voisins.
Socle commun et compétences
Les exemples cités plus haut ne sont pas trop rassurants. Des rapprochements cruels sont à faire avec ce qui a été publié dans la présentation du socle commun en mathématiques en 2011, notamment les usines à gaz qui sont censées évaluer la capacité à calculer un pourcentage. Si l’on sait que, dans une classe de seconde générale, aucun, strictement aucun, élève n’était capable de calculer un pourcentage simple dans un exercice proposé dans un manuel de SVT, on dépasse la caricature ! (L’exercice en question indiquait un nombre d’espèces en voie de disparition – 6 – et demandait d’en calculer le pourcentage par rapport au total des espèces – 43 – . Dans la version 2015 du manuel en question, cette partie de l’activité a été supprimée !!!)
Le danger est bien là ! Aux enseignants d’y veiller, mais en ont-ils le pouvoir et en ont-ils la volonté ?
L’autonomie des établissements
Cette autonomie est un des grands sujets de discorde, notamment avec les syndicats. Certes elle peut porter en elle toutes les dérives. Mais de toute façon l’institution a touché le fond en matière d’inégalités et elle ne peut donc pas tomber plus bas. Ce n’est pas sans rappeler la mise en place du collège unique dans les années 1970. Il était clair alors lors de cette mise en place, pour les enseignants de terrain en zone déjà difficile, qu’une pseudo égalisation portait à l’inverse en elle toutes les inégalités actuelles. Des élèves en telle difficulté générale qu’ils ne maîtrisent même pas les bases de leur langue maternelle, ont besoin qu’on s’occupe d’eux de manière spécifique pour qu’ils aient un peu plus de chance. L’autonomie des établissements, ou plutôt leur marge de manœuvre dans le domaine, peut être une source d’évolution, toujours à condition que les acteurs de terrain prennent en compte la réalité. L’égalité entre établissements est actuellement un grand leurre, de même qu’est un leurre l’égalité à l’apparence hypocritement bien maintenue entre disciplines ou même entre enseignants, que ce soit en terme de charge de travail ou même de rémunération à l’heure de travail. La réforme sera ce que le terrain en fera.
En fait, lorsqu’on regarde les choses d’un peu près, on s’aperçoit que le collège reprend ce qui a été mis en œuvre en terme de réforme des lycées depuis de nombreuses années (TPE, activités interdisciplinaires, modification du statut et élargissement des missions des enseignants, etc.). On a donc bien là une politique de fond qui dépasse la pratique ou la volonté de tel ou tel ministère, les réformes allant toutes dans la même direction. Des ballons d’essai ont même été tentés, avec le système ECLAIR. On en retrouve des éléments dans la réforme actuelle. Comme le disait en son temps dans un cadre bien autrement négatif un certain ministre (Xavier Darcos pour ne pas le citer), on y mettra 20 ans mais…(relire à ce sujet Main basse sur l’école publique ! publié le 6 janvier 2012)
Cela dit la déliquescence actuelle est telle et l’échec de l’institution est si grave que sans réforme il sera impossible d’en sortir. Par ailleurs, un cours magistral peut aussi, et est aussi, un facteur de réussite même s’il n’est pas aussi ludique qu’un “jeu sérieux” (la juxtaposition des deux termes m’a toujours fait rêver !). La réussite pédagogique dépend aussi et surtout des personnes. Dans la même veine toute réforme ne dépend que de ce qu’en font les acteurs de terrain, à condition que les questions de fond soient réellement posées, acceptées et réellement traitées.
Le Gypaète barbu
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