Relations lycée-université : le-3+3 ; problèmes et solutions

L’Ecole française est caractérisée par le cloisonnement : cloisonnement horizontal  entre disciplines et du fait de l’incohérence des programme et cloisonnement vertical  entre école primaire et collège, collège et lycée, lycée et université.

On ne peut pas considérer avec sérénité ni les résultats des classifications internationales, ni les résultats des études au niveau national, ni les taux d’échec en première année d’études supérieures dans ce qu’elles représentent du niveau des étudiants qui entrent à l’université. Par ailleurs se renvoyer les fautes d’une catégorie d’enseignant à l’autre ne résout  rien même si de vraies questions doivent être posées, au prix de peiner ou de fâcher quelques uns, sachant que, sans être par trop pessimiste, l’indifférence semble plutôt être la règle.

Qui sait que la Loi du 22 Juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur) régit les relations lycée-université et qu’un texte du Bulletin Officiel définit les modalités de mise en œuvre du -3+3 ?

BO -3+3

L’intérêt des élèves ?

Comment ne pas citer cette réaction du proviseur adjoint d’un lycée technologique suite à une proposition de participer à l’établissement de liens entre son lycée  et  l’enseignement supérieur : « Qu’a-t-on à faire là-dedans » (sic !) ? Il est vrai que l’enseignement technologique n’a rien à faire avec l’enseignement supérieur et que le seul objectif d’un lycée est de mener au bac avec un certain pourcentage de réussite dans les conditions d’obtention qu’on connait et qui ont, ici, souvent été décrites.

Comment aussi ne pas citer l’interview pour les cahiers Pédagogiques d’Alain Boissinot, recteur de l’Académie de Versailles,  quoiqu’on puisse en penser par ailleurs :

« L’enjeu actuel est de récuser la fracture entre la terminale et l’enseignement supérieur, pour travailler sur un continuum : les lycées doivent mieux s’articuler avec l’enseignement supérieur, mais celui-ci doit également bouger, comme on le voit pour le plan « réussir en licence », qui oblige à travailler sur les modes d’encadrement des étudiants. L’objectif fondamental pour le lycée est celui de la construction d’un socle de poursuite d’études qui doit nécessairement se prolonger dans le premier cycle de l’enseignement supérieur. (…)
Quand Valérie Pécresse a mis en avant la notion d’orientation active pour aider les lycéens à mieux se représenter les poursuites d’études possibles, on a eu du mal à mettre cela en place, faute d’avoir mesuré à quel point la culture professionnelle de l’enseignant de lycée avait divergé depuis longtemps de celle de l’enseignant d’université. En clair, les professeurs à qui l’on dit qu’il faut donner des conseils à leurs élèves sur les poursuites d’études dans l’enseignement supérieur sont, pour la plupart d’entre eux, incapables de le faire tant ils le connaissent finalement très mal. …

… Une des clefs de réussite de la réforme du lycée réside (…) dans le contact avec l’enseignement supérieur. Il faut que les enseignants du secondaire prennent conscience de ce qui se passe dans la vraie science. L’enseignement traditionnel des sciences économiques et sociales est, par exemple, un objet incompréhensible pour les enseignants du supérieur. De la même manière, la conception qu’on a souvent de l’enseignement du français dans les lycées est à des années-lumière de ce qui se fait en lettres et en sciences humaines dans beaucoup d’universités. Ce décalage, il faut en sortir peu à peu, pour que les lycées se mettent en perspective de l’enseignement supérieur. Il faut parvenir à ce que, dans l’imaginaire collectif des Français, le baccalauréat cesse d’être la ligne d’horizon. »

Deux questions se posent donc :

Quelle connaissance ont les élèves de lycée des études qu’ils peuvent poursuivre, pas seulement du type d’étude mais bien des exigences de niveau tant du point de vue des acquis que des méthodes de travail ? (Afin d’éviter les désillusions et le choc narcissiquement délétère de l’échec.)

Quel est le sens de l’enseignement au lycée ? Qu’y pratique-t-on ? Donne-t-on réellement aux jeunes les bases les plus élémentaires, notamment dans la maîtrise de la langue dont l’absence nuit cruellement à tout enseignement ?

Les analyses sont faites depuis longtemps quant aux lacunes des jeunes étudiants et au rôle de ségrégation sociale que joue maintenant l’Ecole. Reste à savoir comment porter remède à la situation. On serait tenté de dire que tant que la société ne pose pas un autre regard sur sa jeunesse toute proposition de changement sera plus ou moins un cautère sur une jambe de bois.

Le 3+3 comme un élément de solution

Le 3+3 n’est pas une notion nouvelle, même s’il reste méconnu de la très grande majorité des enseignants. Pourtant il apparait dans la loi. Le principe est donc d’assurer un continuum entre lycée et université afin de la démystifier et d’en donner le goût. D’importantes innovations voient le jour dans ce sens dans plusieurs académies. Outre les traditionnelles journées portes ouvertes dont l’utilité reste restreinte, d’autres actions innovantes et pertinentes sont mises en place ces dernières années.

On peut en citer plusieurs exemples. Dans le cas de l’Université d’Angers c’est une charte qui a été adoptée avec création d’ambassadeurs (Des ambassadeurs expliquent l’université aux lycéens). Et « La Liaison Lycée Université commence par la création de binôme composé d’un enseignant de l’université et d’un professeur du lycée. Ce binôme établit  une réelle communication à travers un partage d’information et la mise en place d’un calendrier d’actions à destination des lycéens et des parents. » Les universités de Lille 1 (stages de seconde, journées en immersion, actions itinérantes, journées en biologie, etc.), de Rennes, de Valencienne Haut-Cambrésis, (‘Stage de seconde en milieu universitaire’, ‘MATH.en.JEANS’ ‘Chercher, comprendre les mathématiques sans les subir…’, ‘Sciences Nomades’ Des conférences ou des ateliers dans votre établissement), de Cergy et bien d’autres actuellement  proposent également des solutions loin d’être inintéressantes.

Des raisons plus profondes à l’échec et donc des solutions plus fondamentales que le -3+3 en regard

Il est très clair maintenant que l’Ecole française est un instrument radical de ségrégation sociale et tous les résultats, qu’il soient nationaux ou internationaux le montrent. En ce sens l’Ecole de Jules Ferry est bel et bien morte depuis fort longtemps. Mais si nos élites apparaissent d’un excellent niveau, il n’en va pas de même pour ce qui est défini comme nos « bons élèves » (arrivant à un niveau 5) selon une analyse complémentaire aux études PISA. Nos bons élèves sont moins bons que les bons élèves de nos voisins. C’est ce qu’aborde une note du Commissariat général à la stratégie et à la prospective publiée ce 26 mai 2014. Si l’analyse porte essentiellement sur l’enseignement des mathématiques et des sciences, il n’en reste pas moins qu’elle aborde une vraie question : nos plus faibles résultats viendraient donc d’un moindre niveau d’exigence et d’une approche plus versée vers le concret que vers l’abstraction.

Une telle analyse ne peut qu’entrer en résonance avec bien d’autres disciplines, sujet souvent abordé ici, où, pour certaines, l’absence, cette fois totale, que ce soit dans les programmes, dans les évaluations ou dans la notation au baccalauréat, conduit à un niveau de confusion tel qu’elle ne peut qu’accentuer les inégalités scolaires et entraîner des échecs lors de l’abord des études supérieures. La politique dans certaines filières technologiques par exemple, comme la filière sanitaire et sociale, a été une politique du chiffre : fixer le pourcentage de réussite au baccalauréat en adaptant les résultats des candidats à ce pourcentage, donc en modifiant les notes après correction, aménager des sujets de façon à ne plus faire intervenir des savoirs ou savoirs-faires autre que celui de recopier le sujet  et arranger les programmes en y supprimant tout ce qui était censé être à l’origine de difficultés et en y privilégiant un soi-disant concret censé intéresser les élèves tout en éliminant les notions fondamentales qui permettent de le comprendre. Il y a là une caricature extrême de ce qui est analysé par ailleurs. Si de telles filières contribuent actuellement de manière très active aux inégalités scolaires, il n’en reste pas moins que ce principe semble donc aussi régner par ailleurs. Et les vraies questions, comme les vraies solutions, restent à mettre en œuvre, notamment grâce à une refonte totale des programmes qui ont mené à cet état de moindre réussite en ce qui concerne les « bons élèves » et à un état de déliquescence intellectuelle grave pour la démocratie à l’autre bout de la chaîne.

Les solutions existent à condition d’en finir avec l’omerta et de redresser la barre, sans pour cela d’ailleurs revenir à une sélection sanction, bien au contraire. Le numérique et les nouvelles méthodes pédagogiques doivent aujourd’hui permettre de tirer les élèves vers le haut et non vers le bas et de faire comprendre que le niveau d’exigence est à l’origine d’un plaisir, d’une valorisation de soi et non d’un échec.

« À côté de la lutte contre le décrochage scolaire, qui vise à répondre au problème central des inégalités et de l’échec scolaire, la France doit veiller à élargir la base de ses bons élèves et à en remonter le niveau dès la scolarité obligatoire, en visant par exemple une augmentation du nombre de bons ou très bons élèves (au-dessus du niveau 5 dans PISA). La refonte des programmes peut être l’occasion d’examiner comment inclure explicitement la question des niveaux d’exigence dans diverses disciplines. Plusieurs modalités peuvent s’envisager, articulant diversement relèvement général des niveaux et introduction d’approfondissements modulaires optionnels (en langue, en technologie, en art ou en sport, mais aussi en mathématiques, en sciences, en français et en histoire), et ouvrant la réflexion sur une possible diversification des parcours valorisés. d’approfondissements modulaires optionnels (en langue, en technologie, en art ou en sport, mais aussi en mathématiques, en sciences, en français et en histoire), et ouvrant la réflexion sur une possible diversification des parcours valorisés. » note augmente le nombre de bons élèves – Commissariat général à la stratégie et à la prospective.

Le -3+3 est certes une approche intéressante. Mais une telle approche ne pourra rendre effets que si les problèmes fondamentaux sont posés quant à l’école, au collège et au lycée, notamment celui de l’exigence intellectuelle, celui des programmes, celui d’une approche qualitative plutôt qu’une approche quantitative, celui, en ce sens, du respect de notre jeunesse et donc, finalement, celui du choix du type de société qu’elle se voit offrir comme avenir.

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