Le véritable enjeu de l’autonomie des établissements scolaires

Entre augmentation accélérée et perversion des tâches professionnelles dans l’éducation, pression consumériste des parents, passivité des élèves, responsabilités excusables et non excusables de leurs  professeurs, déviation de principes pédagogiques en un marketing envahissant, l’enseignement à quelque niveau qu’il soit semble être devenu totalement impuissant face à ce que certains ont pu appeler la vulgarité de l’époque, la toute puissance de l’argent et la marchandisation de la vie. L’autonomie des établissements est censée être la solution pour les politiques de gauche comme de droite. En fait elle ne traduit qu’une forme de démission de l’Etat face à la gravité de la situation et une réelle implosion du système.
 

Autonomie financière

Autonomie financière d’abord, sous prétexte d’une gestion au plus près des besoins de l’établissement avec une certaine liberté donnée au chef d’établissement dans la répartition de sa dotation horaire globale – DHG – (quota d’heures, donc d’argent, attribué à un établissement pour assurer enseignements et autres activités pédagogiques). Mise en place depuis plusieurs années,  cette DHG a permis de transformer des heures postes (heures d’enseignement attribuées à une discipline et à un professeur qui assure cet enseignement) en heures supplémentaires années, voire heures supplémentaires éventuelles, qui peuvent être réparties théoriquement en fonction des besoins sous la responsabilité du chef d’établissement. Une telle transformation permet toute la souplesse nécessaire au Ministère et aux différents Rectorats pour mettre en œuvre les restrictions budgétaires qui sont, de fait, leur principale préoccupation. En effet, ces heures supplémentaires peuvent être supprimées à tout moment. Elles peuvent être attribuées à des vacataires révocables sans autre états d’âme, à condition de pouvoir en recruter ce qui n’est plus joué d’avance. Couplées aux modifications de programme qui, outre leur importante fonction de destruction psychique, conduisent à la baisse du nombre d’heures dans les disciplines, elles permettent les suppressions de postes massives recherchées.

Un exemple parmi tant d’autres, ce principal de collège de Créteil :

“Sa dotation horaire globale (DHG), qui détermine la rentrée prochaine – nombre et effectifs des classe, emploi du temps –, vient de tomber. « A effectif constant, on me donne 40 heures de moins que l’année dernière. Mon travail, complètement idiot, va consister à chercher à comprendre pendant plus d’une semaine pourquoi l’inspection me retire ces heures», témoigne le principal. Pourquoi, c’est-à-dire comprendre en fait où l’inspection espère qu’il taille : option découverte professionnelle ? Heures d’itinéraire de découverte ?
« Je dois d’abord assurer les savoirs minimaux ». Pourtant, les heures d’itinéraire de découvertes « sont des heures consacrées à l’ouverture culturelle dont les élèves d’ici ont particulièrement besoin », explique-t-il.
« Vous voyez, c’est ça mon autonomie : assurer le minimum vital. » A cela s’ajoute, dans la feuille de route envoyée par l’inspection académique, un lot de plus de cinquante heures sup à caser, de gré ou de force, auprès des enseignants. S’il la suit, il va devoir fermer le poste d’une professeur de langue.”
(Collèges, lycées: chef d’établissement, mission impossible 30 janvier 2012 | Par Lucie Delaporte – Mediapart.fr)

  La logique de l’autonomie des établissements est donc, pour grande partie financière. Mais, ne nous y trompons pas : tous les établissements ne sont pas au même régime ! Certains s’en sortent très bien ! Comment ? Pourquoi ? Et si les véritables questions étaient posées ? Et si les vraies réponses étaient publiquement  données ?

Autonomie pédagogique, évaluation des professeurs et culture du résultat

“Il ne faut pas avoir peur de l’autonomie : elle stimule les initiatives. Bien encadrée, en particulier par des dispositifs ciblés sur les publics difficiles et par des publications des performances de chaque établissement, elle permet aux parents de savoir que les écoles seront incitées à s’occuper mieux encore de leurs enfants, et que le produit des prélèvements obligatoires levés pour financer l’Education nationale sera employé avec efficience.”
(Frédéric Gonand – 13/01/2012 – La tribune – L’autonomie des écoles, un facteur d’efficacité)

On voit là, et ce n’est bien sûr pas étonnant, tout ce qu’il y a d’a priori et d’entendus néo libéraux : culture de la performance, (évaluée selon quels critères, ce n’est bien sûr pas dit dans la chanson !), choix de la “meilleure” école par les parents (mais quelle école pour quel enfant ?), rentabilisation financière (là encore sur quels critères de réussite ?). On touche bien là au coeur de la ségrégation scolaire.

Si l’autonomie pédagogique peut avoir un réel intérêt  (mise en œuvre de services et de méthodes mieux adaptées localement aux élèves, aide au soutien, meilleure prise en compte des difficultés des élèves dans le cadre de l’organisation scolaire), elle ne devrait en aucun cas sacrifier aux objectifs fondamentaux d’acquisition de savoirs, de compétences et de construction de  pensée, ce qui est justement le contraire de ce qui se fait actuellement. “Il faut se mettre au niveau des élèves” entend-on toujours ! Oui, mais dans quel sens ? Adapter les contenus à leur niveau ? Que faire alors avec ces élèves de seconde qui ne savent pas faire une division simple (par 10 par exemple) ? Ou avec ces élèves de classe de terminale dont aucun ne maîtrise les notions de temps (ne savent pas faire la différence entre temps et durée), de volume (un volume peut être de 5 secondes, sic!), ou avec ces élèves de lycée incapables de recopier plus de 5 mots à la minute et qui traînent des années leur incompréhension et leur souffrance ?  Et il s’agit bien là de la réalité vécue quotidiennement dans ce qu’on a l’habitude d’appeler des établissements défavorisés.

Un des éléments de l’autonomie est  l’évaluation des enseignants par le seul chef d’établissement. Outre la question des compétences dont on voit bien qu’elle exclut  les savoirs disciplinaires, qu’en sera-t-il dans une perspective néolibérale comme celle citée plus haut ? Que veulent les parents ? Des notes ! Faut-il rappeler une fois de plus la phrase de cette parente d’élève : il est normal de licencier un enseignant lorsque ses élèves n’ont pas de bonnes notes ! Rappelons ici que, dans le système ECLAIR, caricature de l’autonomie des établissements, il est prévu de pousser à la démission un professeur qui ne convient pas. Facile, s’il est contractuel ! Quelle peut être alors la position d’un chef d’établissement dans un tel cadre ? L’enseignement privé nous le raconte : il n’est pas rare de voir des notes mises par des professeurs plus que largement augmentées  par leur administration sans qu’ils en soient informés et ces professeurs dégagés en fin de contrat. Dans le public on ne fait, pour l’instant, que modifier a posteriori les notes obtenues par les élèves à certains examens pour arriver aux pourcentages désirés, qu’ils ne fassent pas trop tache lors de la publication nationale des résultats. Les usines à gaz de l’évaluation par compétences pourraient permettre là toutes les ouvertures.

Il est intéressant dans ce cadre de citer le sentiment que peuvent avoir les personnels de direction de leur réussite professionnelle exprimé dans ce rapport de la MGEN :

“L’image donnée par l’établissement se présente ici comme une véritable résultante du sentiment de réussite professionnelle. Elle renvoie autant au sentiment de satisfaction narcissique qu’à la satisfaction de répondre positivement aux directives et objectifs institutionnels. Les notions de valorisation, considération, reconnaissance personnelle et sociale y sont étroitement liées. Toutefois, les valeurs attribuées au développement de l’image nous paraissent devoir – compte tenu d’une certaine expérience – être parfois relativisées au regard de certaines dérives qui frôlent l’excès et assignent à l’image une fin alors qu’elle n’est qu’un moyen.Moyen qui, pour développer toute son efficacité, doit reposer sur une forte réalité pédagogique, et éducative ainsi que sur un dynamisme collectif. Dans le cas contraire, il semble bien que la frontière qui sépare la mission éducative du clientélisme soit franchie. Faute de cette déontologie fondamentale, cet atout essentiel dans la réussite d’un établissement et de son chef se révèle rapidement la cause de dysfonctionnements majeurs et « contre-productifs ». (c’est nous qui soulignons)”
Lycées et collèges : moral des personnels de direction  Constat Évolution Propositions Georges Fotinos

L’autonomie vue comme une implosion du système

«Je suis fier qu’il y ait 300 collèges (les Eclair) où il y a une autonomie de recrutement, où les chefs d’établissement ont choisi leur équipe pédagogique. Quelque part, c’est révolutionnaire ! Il faudra aller plus loin» (Luc Chatel, Ministre de l’Education Nationale, convention UMP 8/11/2012)

Jusqu’où ? Aux chefs d’établissements sont maintenant confiées des tâches de recrutement avec profils de postes, entretiens d’embauche, de décideurs de rémunération, en tout cas complémentaire, après entretiens d’évaluation selon des critères d’implication dans la vie de l’établissement (quel type d’implication et dans quels buts ? pédagogiques ? d’animation-éducation ? de soumission ?). Les relations entre personnels et hiérarchie (chefs d’établissements et inspecteurs) étaient fondés sur la perpétuation d’une attitude scolaire très infantilisante. Les chefs d’établissements devenant de vrais chefs, pardon : des directeurs de ressources humaines, aidés en cela par les préfets des études nouvellement créés, les enseignants ne peuvent que mal vivre cette relation au nouveau patron, d’autant que l’ambiance est, dans tous les domaines, à leur mise au pas. De central, le poids hiérarchique s’est éparpillé en devenant encore plus lourd.

Une telle implosion du système, c’est ce qu’on peut entendre par exemple de Philippe Tournier, responsable du SNDPEN, principal syndicat des chefs d’établissement :

« Aujourd’hui remontent à la surface des choses qui sont latentes depuis 15 ans. Le système très vertical, très normatif, s’est disloqué », laissant, dans un face-à-face où l’institution joue de moins en moins son rôle, deux corps qui ne se comprennent plus. « Au bout du compte, le ministère se décharge complètement. Tous les problèmes sont renvoyés aux académies et in fine aux chefs d’établissement. Aujourd’hui, c’est un système. Le risque d’un conflit central est émietté, pulvérisé au niveau local. On ne nous a pas donné plus d’autonomie, le centre s’est effondré.» http://www.mediapart.fr/journal/france/300112/colleges-lycees-chef-d-etablissement-mission-impossible

L’autonomie des établissements cache très bien d’importants  enjeux en jetant sur eux un voile bien opaque !

Ce n’est pas l’outil qui fait le poison, mais bien la manière dont on s’en sert.

Les risques sont donc clairs. Mais la vraie question demeure : celle d’une grave omerta, au plein sens du terme quoi qu’on veuille en dire, qui plane sur le système, entre autres en ce qui concerne la réalité des élèves, qu’il faut garder dans les établissements quelles qu’en soient les conditions. Toute tentative de réforme, même positivement envisageable, se révèlera en absence d’analyse de fond ou dans l’aveuglement volontaire tout à fait infructueuse. Malheureusement, c’est bien dans cette direction perverse que l’inspection choisit de plus en plus les enseignants les plus dociles et les moins pensant, pour assurer les différentes tâches allant des programmes aux sujets et présidences de jurys d’examens en passant par la rédaction des manuels. De la même manière, le recrutement des professeurs par le chef d’établissement pourra induire des effets pervers finalement néfastes aux élèves et, ce, dans la pleine inconscience de leurs parents.

L’autonomie des établissements est-elle d’ailleurs un élément de solution de la gravité des problèmes actuels ? Lisons donc ce qu’en dit Nathalie Mons, maître de conférences à l’université de Paris-Est-Marne-la-Vallée, dans sa chronique du 11 janvier 2012 sur France culture, interrogée par Louise Touret :

“- Louise Touret. Dans ce monde de la pensée unique consensuelle, il est cependant un empêcheur de tourner en rond…
Nathalie Mons. Oui, c’est la recherche. Les résultats des enquêtes empiriques n’ont malheureusement pas abouti à la démonstration du bien-fondé de la potion miracle de l’autonomie des établissements. Ces mesures augmentent les coûts, questionnent les compétences des acteurs locaux – dont on voit mal pourquoi ils disposeraient de talents supérieurs aux acteurs nationaux – et donnent souvent lieu à des formes avancées de népotisme. Quant à leurs effets sur les résultats des élèves, rien de probant. Certes, dans certaines configurations, un peu d’autonomie pédagogique peut améliorer les résultats des élèves, mais, dans tous les cas, ces politiques conduisent à un renforcement des inégalités scolaires et sociales à l’école. C’est ce qui explique d’ailleurs que certains pays allés très loin dans cette voie – l’Angleterre, la Finlande, certains anciens pays européens dits de l’Est – ont depuis rebroussé chemin. Mais, en France, les résultats de la recherche n’ont jamais réussi à ébranler les certitudes du monde politique.

Le Gypaète barbu

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