Les adversaires du Parc Steinbach ont marqué un grand point sur le terrain même qu’ils avaient adopté, celui de la conservation du patrimoine. Le commissaire enquêteur vient de rendre ses conclusions sur l’enquête publique. Son avis est très clairement défavorable. Le projet de transformation (aplanissement + déboisement + ouverture) du parc constituerait selon ses termes “une atteinte grave non seulement au patrimoine historique de la Ville de Mulhouse, mais aussi à la mémoire de Georges Steinbach”.
Je voudrais pour ma part participer à ce débat en essayant de montrer que l’on peut contester la transformation du parc à partir d’une démarche autre que celui de la pure conservation du patrimoine. Même si, dans ce cas particulier, il est efficace, je trouve que le conservatisme patrimonial devient pesant. Je parviendrai cependant moi-aussi à une conclusion finalement conservatrice pour une raison simple : s’il s’agit de remplacer ce qui existe et qui témoigne d’une certaine noblesse par une vulgaire esthétique de rond-point, mieux vaut garder l’ancien. On comprend d’autant mieux l’attachement patrimonial que l’on n’a rien de convainquant à mettre à la place, c’est là que le problème est culturel.
Quelques attendus du Commissaire enquêteur :
« on ne peut que rester dubitatif sur l’opportunité d’utiliser le Square Steinbach pour « renforcer les connexions piétonnes entre la gare et l’hypercentre, entre la Place de la Paix et le centre piétonnier… ».
L’acception du mot « Square », les conditions de la donation et la volonté des donateurs ressortant de l’acte notarié conclu le 27 septembre 1894 s’opposent ostensiblement à la création d’un « espace où les limites de la ville et celles du jardin seront diffuses » et à la constitution « d’une nouvelle plateforme d’accès à l’hypercentre ».
Loin du « réenchantement » attendu par les initiateurs du projet, il apparaît clairement que la transformation du lieu en zone piétonnière urbaine végétalisée, constituerait une atteinte grave non seulement au patrimoine historique de la Ville de Mulhouse, mais aussi à la mémoire de Georges STEINBACH que ses héritiers ont voulu honorer par leur donation. Elles sont en tous cas incompatibles avec les conditions énoncées dans l’acte notarié et acceptées par délibération du Conseil Municipal de Mulhouse le 28 septembre 1894.
Le projet présenté à l’enquête publique constitue indubitablement un changement d’affectation de l’espace boisé classé du Square Steinbach. […]
En conclusion sur le fond, une levée de la protection d’espace boisé classé reposant sur le Square Georges STEINBACH ne peut être regardée que comme un changement d’affectation et de mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements existants ».
On trouvera la documentation sur le blog du cercle républicain
Si l’on comprend bien la légalité même du projet est discutable. Cela n’empêche pas le maire avec son autoritarisme devenu habituel de passer outre avec une parfaite langue de bois arguant d’un simulacre de concertation. Voir chez l’ami Eric.
Il s’agit donc de dissoudre le parc, de l’ouvrir sur son environnement bref d’en accélérer le passage. Il faut aller plus vite et en ligne droite d’un commerce à l’autre, on n’est pas là pour flâner, souffler, prendre son temps, faire halte ce qui est la caractéristique même d’un parc ou d’un jardin public, ou encore d’un square.
Pour le philosophe des jardins publics et de l’éloge de la lenteur, Pierre Sansot :
« Le jardin public est un lieu de flânerie. On y vient pour rien, mais aussi pour une autre chose. Cette autre chose peut être la rencontre fortuite ou provoquée, ou bien un moment volé à une quelconque occupation, que sais-je encore! J’aime bien regarder comment un banc est partagé entre des habitués, souvent des vieux, à moins qu’il ne s’agisse d’une jeune mère et de son enfant, et des “nouveaux”; ou comment des amoureux s’approprient, à la Brassens, ce banc public et se le partagent comme on partage un pain. Car on ne vient pas dans un jardin public sans une petite faim de l’autre… Ce sont des lieux publics où la vie se découvre, se déploie sous des jours inconnus, des hasards perturbant des emplois du temps, et des trajets trop rigides ».
Pierre Sensot /Propos recueillis par Thierry Paquot,
Institut d’urbanisme de Paris juillet 1996.
C’est cela que le projet des voleurs de temps veut tuer.
Le Parc Steinbach a comme caractéristique de ne pas être conçu selon des formes géométriques. Avec ses courbes, ses légères bosses, ses arbres non alignés, il a même quelque chose d’anarchiste. Oh mon Dieu ! mon Dieu ! On va nous aplanir tout ça, en voisin, on n’est pas chirurgien pour rien.
Et puis il y a l’ombre, les recoins d’intimité et de cachette dont les voleurs d’ombre veulent nous priver. Cet espace est un point de rencontre entre jeunes gens à mi chemin entre le Lycée Montaigne et le Lycée Jeanne d’Arc. On peut les voir se bécoter dans les renfoncements des portes du Théâtre de la Sinne. Insupportable au regard oblique des passants honnêtes ! J’extraie de ce que j’avais écrit, en avril 2011, dans l’ancien wagges qui a malheureusement disparu, le passage suivant :
« Concernant le projet du grand centre, il est révélateur à mes yeux de constater que ceux qui ont réfléchi –si l’on peut utiliser ce terme – à la question avaient oublié qu’un Théâtre se situait dans le périmètre et, quand ils en ont aperçu le bâtiment, ils ont oubliés de se demander par qui il était fréquenté. Révélateur aussi me semble-t-il le projet de rendre le parc Steinbach transparent. Au « regard oblique des passants honnêtes » comme chantait Brassens à propos des amoureux sur les bancs publics ? Supprimer l’ombre, la nuit, l’obscur, c’est supprimer la vie.»
En bonne logique devrait suivre, après la mise en transparence du parc, l’installation dans un premier temps de caméras de surveillance chère à M. Paul Quin en attendant la mise en place de dispositifs de sommations automatiques envers ceux qui traverseraient le parc trop lentement, prélude au contrôle des comportements dans l’espace public.
Le lifting radical (= qui s’en prend aux racines – des arbres) nous vole un peu de vie.
Il y a une pétition à signer. Je n’en approuve pas tous les termes notamment parce qu’elle réclame des places de parkings. Et s’il s’agit de trouver une autre affectation aux sommes qui seront inutilement dépensées, on pourrait envisager de réduire les tarifs d’accès exorbitants (13 euros l’été) à un autre parc, zoologique, lui où les arbres et les bancs sont sponsorisés.
Nous avons reçu le message suivant de l’Association Engelmann :