Contrairement aux autres modes de déplacement, la marche laisse ouvert un important champ des possibles sur le plan cognitif. Les sollicitations sensorielles – chaleur, humidité, odeur végétale ou de pain chaud, émotion publique, horizon d’un parc, élément sonore, etc. -, sont beaucoup plus actives dans la marche que dans les autres modes. Elles incitent à changer de projet, d’itinéraire, voire de mode de transport. Ces changements de rythme rendent le piéton imprévisible, parfois dangereux, mais cette imprévisibilité est une force plus qu’une faiblesse. Sa plasticité singulière permet une réversibilité permanente et fait du piéton le référent d’une mobilité agile. La marche est donc à la fois un mode archaïque et prospectif, dualité qui persistera toujours.
Il ne faut pas fabriquer des autoroutes à piétons
Si on technicise la marche en fabriquant des tuyaux à marcher, sa flexibilité et son confort vont en pâtir. En l’intégrant dans des systèmes de type mécanique, on pourrait perdre beaucoup des qualités de la déambulation et créer des trajectoires contraintes. Je pense, par exemple, aux tapis roulants dans les gares ou aéroports. Il est donc primordial de ne pas tendre vers une “mécanique des flux” avec des autoroutes à piétons qui rendraient les situations de marche stressantes. L’expérience montre que l’hyper-spécialisation des territoires a ses limites. La cohabitation et la convergence entre les divers modes est un enjeu fondamental d’une mobilité adaptable. Voilà pourquoi il faut savoir quelles priorités nous souhaitons établir et interroger les porosités, les frontières et les obstacles que l’on rencontre.
Sabine Chardonnet, urbaniste de la marche
Entretien Chronos
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PS : La Ville de Mulhouse fait appel à l’intelligence artificielle pour distinguer un piéton d’un pigeon.