Pour ne pas voter idiot (2) : propos d’un “anti Fessenheim primaire”

Dans un avenir proche, les réserves d’uranium, mais également celles de pétrole et de gaz naturel, seront épuisées. Pour répondre à ses besoins énergétiques à long terme, l’humanité aura pour unique alternative, les énergies renouvelables et l’optimisation de sa consommation d’énergie. L'affiche provient de l’Association des Médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (http://www.facts-on-nuclear-energy.info/1_dead_end.php?l=fr&f=1962023833)

Je suis, paraît-il, un anti-Fessenheim primaire. Je ne sais pas ce que cela veut dire, probablement parce que cela ne veut rien dire. Ah, oui, je ne suis pas du côté des ouvriers. L’argument selon lequel il faudrait poursuivre l’exploitation de la Centrale nucléaire de Fessenheim au nom de la préservation de l’emploi est d’une rare stupidité. A preuve simplement le fait qu’elle a été conçue pour 30 ans et que l’emploi y était dès le départ à durée déterminée. Tôt ou tard, elle fermera. Le plus tôt sera le mieux.

L’industrie nucléaire est celle du secret et du mensonge. Ne serait-ce que pour cette raison, elle est d’un autre temps.

Un an après la catastrophe de Fukushima, la page n’est pas tournée et il reste encore beaucoup de questions. D’abord sur son origine. On a essayé de la faire passer pour une catastrophe naturelle en raison de la présence d’un tsunami dont l’importance a été majorée au détriment de la cause première : un  tremblement de terre auquel la centrale n’a pas résisté et elle ne l’aurait pas fait indépendamment du tsunami. C’est la conclusion de laquelle se rapproche une récente étude présentée, il y a quelques jours, à Berlin par l’Association allemande des Médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (IPPNW). Il s’agit bel et bien d’une catastrophe technologique au pays de la technologie. C’est là que se situe la rupture et en ce sens il y a un avant et un après Fukushima. Rappelons-nous que Tchernobyl nous avait été expliqué par l’incompétence qui régnait au pays de la bureaucratie soviétique. On nous avait déjà chanté la chanson de « ça n’arrivera pas chez nous »

Questions sur l’origine mais aussi questions sur les conséquences. On n’en a pas mesuré toute l’ampleur mais on sait qu’elles seront durables.

Un état de contamination chronique et pérenne de l’environnement

Voici ce qu’en dit  Didier Champion, directeur de la crise à l’IRSN (Institut de radio-protection et de sûreté nucléaire) : «La contamination initiale liée à l’accident a fortement décru. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a plus, loin s’en faut. Aujourd’hui, et pour de nombreuses années, nous sommes dans un état de contamination chronique et pérenne de l’environnement ». « Il y a des risques d’exposition chronique, à des faibles doses, certes, mais qui peuvent s’accumuler au cours du temps si l’on n’y prend pas garde”, ajoute-t-il, insistant sur la nécessité de suivre la contamination d’un certain nombre de denrées alimentaires (fruits, lait, champignons, gibiers, poissons) ».

Questions sur l’origine,  questions sur les conséquences mais aussi sur les leçons à en tirer.

« La catastrophe de Fukushima Daiichi a démontré que la théorie de sûreté nucléaire avancée par le secteur nucléaire est fausse. Les preuves historiques, Fukushima Daiichi, Tchernobyl et Three Mile Island, montrent qu’un accident nucléaire de grande ampleur peut se produire n’importe où dans le monde environ tous les dix ans. Cette succession d’accidents de réacteurs contredit l’assertion du secteur nucléaire selon laquelle de tels événements ne se produiraient qu’une fois tous les 250 ans.
Nous pouvons tirer encore et encore le même enseignement des accidents nucléaires : l’évaluation des risques du secteur nucléaire n’a pas pris en compte les failles institutionnelles, alors que le comportement de l’homme et des institutions est le facteur principal des accidents dans un réacteur. Une série de failles institutionnelles ont préparé le terrain de la catastrophe de Fukushima Daiichi, notamment un système d’autoréglementation du secteur industriel, sa suffisance et son attitude dédaigneuse envers les risques nucléaires ainsi que sa négligence des preuves scientifiques.
Le modèle d’autoréglementation par le secteur nucléaire est observé dans de nombreux pays dans le monde. De plus, la catastrophe de Fukushima Daiichi a montré que les allégations de sûreté du secteur nucléaire et de ses organes de régulation nationaux et internationaux sont fausses ».
Conclusion du rapport commandé par Greenpeace  à trois experts indépendants.

Ajoutons quelques autres mensonges

Le mensonge de l’indépendance énergétique de la France

Les tenants du nucléaire avancent toujours  trois types d’arguments : l’« indépendance énergétique » de la France, la performance française en termes d’émissions de CO2, le très faible coût du kWh nucléaire.

« Celui de l’indépendance énergétique est tout simplement faux : la France est tout aussi dépendante pour son approvisionnement d’uranium qu’elle l’est pour le pétrole, le charbon et le gaz. Loin d’atteindre 50%, notre indépendance énergétique réelle n’est que de 8,9%.

Les économies de CO2 de 40% en France qui seraient réalisées grâce au nucléaire sont très surestimées, puisqu’elles supposent que toute notre électricité non nucléaire serait produite à partir du charbon, ce qui n’est guère vraisemblable. C’est plutôt autour de 20% que se situe l’économie.

Le coût imbattable du nucléaire ? Oui, si l’on se contente de l’évaluation actuelle d’un nucléaire largement amorti (les réacteurs du parc français ont en moyenne 26 ans pour une durée de vie prévue de trente) en oubliant soigneusement de prendre en compte la réhabilitation indispensable de ce parc vieillissant, sa mise aux normes post-Fukushima et les frais de démantèlement des réacteurs mis au rebut, qui risquent de doubler ce coût. Même chose si l’on décide de passer à l’EPR, dont les coûts d’investissement atteignent chaque jour de nouveaux sommets ».

Tribune de Benjamin Dessus et Bernard Laponche, publiée par Le Monde mercredi 4 janvier 2012.

La dernière mine d’uranium située sur le territoire français a fermé en 2001. Actuellement, tout l’uranium utilisé en France provient de l’étranger. L’uranium qu’a produit le groupe AREVA NC en 2005 (plus de 6000 tonnes d’uranium soit 10 % de plus qu’en 2003) provient de sites situés à l’étranger, principalement au Canada, au Niger et au Kazakhstan.

« Grâce à une hausse de 36 % de sa production sur l’année, Areva est devenu en 2009, avec 8 623 t soit 17 % de la production mondiale (50 327 t), le premier producteur mondial d’uranium. Son objectif est d’atteindre une production de 12 000 t par an d’ici 2012. Sa production vient essentiellement de trois pays :

• le Canada, autour de deux gisements en exploitation et un en attente, tous situés dans le bassin de l’Athabasca, province de la Saskatchewan. Areva détient 70 % du site de McClean Lake, d’une capacité de 4 600 t par an, et 30,2 % de McArthur River, d’une capacité de 7 200 t par an environ. Areva détient également 37,1 % du gisement de Cigar Lake, d’une capacité estimée à 6 900 t par an, dont la mise en exploitation a été retardée suite à des effondrements et des inondations en 2006 et 2008, et n’est désormais pas envisagée avant 2013 ;

• le Kazakhstan, où Areva détient 51 % d’une société commune avec l’opérateur public national, Kazatomprom, qui exploite deux sites. Leur production dépasse 3 100 t en 2009 et pourrait selon Areva être portée à 4 000 t à compter de 2012 ;

• le Niger, où Areva détient 63,4 % de la société Somaïr, qui exploite les sites de la région d’Arlit, d’une capacité de 2 000 t et prochainement 3 000 t, et 34 % de la société Cominak, qui exploite les gisement de la région d’Akokan, d’une capacité de 2 000 t par an. Areva détient également 56,65 % de la société Imouraren SA destinée à exploiter le gisement du même nom, dont la capacité est estimée à 5 000 t et dont Areva vise de démarrer la production en 2013.

Hors de ces trois pays, les principaux projets d’Areva se concentrent sur l’Afrique, et plus précisément en Namibie, en République centrafricaine en en Afrique du Sud. Le groupe discute également un partenariat important en Mongolie.

Le développement des activités d’extraction d’uranium est d’une manière générale soumis à une pression croissante liée à l’opposition des populations et aux préoccupations de plus en plus fortes que suscitent ses impacts sur l’environnement (…). Areva est notamment confronté à ce problème au Niger. Mais la liste des pays dans lesquels la France construit sa stratégie dans le domaine de l’extraction d’uranium soulève également des interrogations sur les risques géopolitiques associés. Le Kazakhstan ou la Mongolie, où la Russie et la Chine se disputent l’influence, et les pays d’Afrique n’offrent pas les garanties de stabilité censées apporter, dans la stratégie énergétique nationale, une sécurité beaucoup plus grande aux importations d’uranium que de produits pétroliers ou gaziers. Ce risque est illustré par les attaques dont Areva est régulièrement victime au Niger qui relevaient jusqu’ici plutôt de mouvements Touaregs opposés au pouvoir central nigérien, mais qui constituent, avec la prise d’otage de plusieurs ressortissants français en septembre 2010 par un mouvement islamiste, une menace beaucoup plus directe sur les intérêts français dans la région. »

Nucléaire : le déclin de l’empire français
Les Cahiers de Global Chance, n°29, avril 2011, 112 page

Faut-il encore allonger la liste des mensonges ? On en arrive à se demander où donc sont les idéologues ?

Mais ce n’est pas tout. Le nucléaire est une lourde machine qui manque de souplesse. En période de pointe comme la poussée de froid que nous avons connue, c’est à d’autres modes de production d’électricité qu’il faut faire appel. Rappelons au passage que nous en avons importé cet hiver d’Allemagne.

L’écrasante domination du nucléaire empêche le développement d’alternatives qui engagent l’avenir, celui d’une troisième révolution industrielle, celui de la transformation aussi du pur consommateur d’électricité en producteur également.

« L’atome est une énergie centralisée par essence alors que le futur appartient à la production partagée («peer to peer»). Aujourd’hui, 400 centrales nucléaires produisent 6% de l’énergie produite dans le monde. Pour passer à 20% en l’espace de vingt ans, il faudrait construire trois centrales par semaines d’ici à 2031! C’est impossible. Le groupe allemand Siemens a d’ailleurs abandonné le secteur. C’est aussi un mauvais choix pour la France, car vous n’avez pas suffisamment d’eau pour refroidir les centrales: il faudrait 40 à 50% des ressources hydrauliques du pays pour refroidir les réacteurs. Sans compter que les périodes de sécheresse -comme en 2003- mettent ce système sous pression »

 Jeremy Rifkin : «Le futur appartient à la production partagée»

« Fukushima a changé la donne et révélé qu’un accident grave était possible, même dans un pays considéré comme sûr. Nous devons accepter que l’impossible puisse se produire et il faut pouvoir y remédier. Depuis 2003, nous mettons en garde sur les risques liés aux séismes, sans être vraiment écoutés. J’espère que nous le serons cette fois. Sinon, ils devront s’en expliquer. Il ne faut plus laisser croire que le nucléaire est une technologie parfaite. Le gouvernement et EDF ont sous-estimé le risque d’un accident et du rejet du nucléaire par la société. ».

Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) : “EDF sous-estime le risque d’un accident nucléaire

On a bien entendu : Un accident grave est possible même dans un pays considéré comme sûr. Quand il se produira, il aura été considéré comme totalement impossible. Edf fait la sourde oreille sur les risques sismiques.

Un accident grave aura lieu, on ne sait quand ni où mais il surprendra tout le monde. Un tremblement de terre grave aura lieu, on le sait aussi, dans la région de la centrale de Fessenheim dont le radier est 5 fois moins épais que celui de Fukushima. Le risque en vaut-il la chandelle ?

Je ne suis pas pour la fermeture de Fessenheim en fonction d’une équation simpliste  mais parce qu’elle remplit les conditions d’une mise à la retraite et que l’on peut se passer d’un tel risque. Ne pas le faire équivaudrait à un acharnement thérapeutique à un coût exorbitant. L’argent qu’il nous coûtera serait bien mieux investi dans le vaste chantier d’une nécessaire transformation énergétique. C’est pourquoi d’ailleurs, on peut regretter que du côté de François Hollande on semble se contenter de la fermeture d’une seule centrale, en ne l’inscrivant pas plus résolument dans la transformation énergétique, en restant, pour le reste, dans le flou.

Le risque sismique sur l’échelle de Richert (sic) et le séisme de Bâle (1356)

1. Le risque sismique sur l’échelle de (Philippe) Richert

Quant au risque sismique, l’énergie (?) dégagée à Fukushima (?) a été
300 fois ( ?) supérieure à celle (?) qui a détruit Bâle au Moyen-âge.
Et la centrale a été détruite (?) par le tsunami.
Il est peu probable qu’il se produise un tsunami en Alsace

Philippe Richert,
Président de la Région Alsace et ministre
L’Alsace du 29 janvier 2012

Quand l’à peu près approximatif tourne au charabia de la part d’un responsable (?) politique, on ne peut qu’y voir une raison supplémentaire de ne pas avoir confiance et de demander la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Ce que c’est que de n’avoir pas écouté à l’école quand on y apprenait qu’il faut comparer ce qui est comparable, à moins bien sûr que cela ne vienne de l’habitude de ne jamais être contredit. La dernière phrase,  en tout cas, montre qu’il prend ses interlocuteurs pour des gogos. Mais cela tombe bien. Comme nous n’apprécions pas du tout que l’on se paye notre tête, c’est pour nous l’occasion de republier un travail qui était paru sur l’ancien site du wagges qui a malheureusement disparu.

La ministre de l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet, à propos de la situation de Fessenheim sur une faille sismique, avait déclaré l’an dernier que la centrale avait été conçue pour résister à un séisme d’une puissance de 6,7, supérieur donc à celui de 1356 à Bâle, estimé à 6,2 sur l’échelle de Richter. La centrale a été dimensionnée, a-t-elle expliqué, pour résister à un séisme “d’une puissance cinq fois supérieure” au tremblement de terre de Bâle. Nous nous étions même étonné de cette étrange formule qui permet d’expliquer qu’en multipliant par 5 on passe de 6,2 à 6,7. Cela provient du fait que l’échelle de Richter est en effet une échelle logarithmique.

Rappel historique.

2. Le séisme de Bâle (1356)

Tout à coup, je voyais devant moi des montagnes de pierres, le silence et l’horreur de qui fixait ce spectacle avec les yeux et l’esprit”.

Ces mots sont du poète Pétrarque, témoin du tremblement de terre de Bâle en 1356

L’écroulement de Bâle extrait de la "Cosmographia" (1544) du savant humaniste Sebastian Münsters, mort à Bâle en 1552. Une “manga” de l’époque en quelque sorte

Que s’est-il passé à Bâle qui explique le spectacle que Pétrarque découvre en revenant de Prague le 18 octobre 1356 ? Un tremblement de terre qui a fortement marqué les esprits par son amplitude et son contexte. Le site officiel de la Ville de Bâle le situe entre 6,2 et 6,7 sur l’échelle de Richter. Les experts suisses et allemands (voir plus loin) sont proches de 6,9.

L’évaluation des dégâts causés à l’époque par ce séisme est basée sur deux livres Le Livre Rouge de Bâle (Das Rothe Buch von Basel) et Alphabetum Narrationum de K. von Waltenkofen qui sont deux livres écrits en 1356 ou 1357, donc peu de temps après le séisme.

L’Alphabetum Narrationum décrit les événements ainsi:

En l’an de grâce 1356, le jour de la Saint-Luc, avant vêpres, il y eut à Bâle et dans ses environs jusqu’à une distance de deux milles un tremblement de terre qui provoqua la chute de nombreux bâtiments, églises et châteaux et la mort de nombreuses personnes. Les secousses se poursuivent dans la même journée et la nuit suivante avec une violence telle que les habitants fuirent la ville, s’installèrent dans les champs, dans les cabanes et les fermes pour de nombreux jours. Même les soeurs cloîtrées se rendirent dans un jardin appelé Vögelisgarten et restèrent là de nombreux jours, sous des cabanes avec de nombreuses autres personnes des deux sexes et, une fois retournées chez elles, vécurent encore longtemps dans la grange avant de réintégrer leur cloître. Au cours de cette même nuit, vers une heure, se déclara un incendie qui dura plusieurs jours et consuma presque toute la ville à l’intérieur des remparts. Les faubourgs furent épargnés. Le feu, propagé jusqu’à la cathédrale, fit s’embraser le clocher dans lequel se trouvait la grosse cloche et la détruisit, ainsi que les précieuses orgues, de cette maison de Dieu. Les tremblements de terre avaient été si violents que pas un seul bâtiment, notamment ceux construits en pierre, n’échappa à une destruction partielle ou totale. Là-dessus survint une troisième calamité: le lit de la Birs fut obstrué par les bâtiments détruits et l’eau s’infiltra dans les caves où la population avait stocké ses provisions et les gâta. Parmi les premières secousses, certaines avaient été si fortes que les cloches avaient sonné. Ainsi entendit-on sonner trois fois la cloche du cloître des frères prêcheurs sans que quiconque la remue ni ne la tire. Pendant une année, presque chaque mois, la terre trembla. On peut voir qu’est arrivé ce que le Seigneur disait dans l’évangile de Saint-Luc [21-11]: un peuple supplantera un autre peuple, un royaume un autre royaume et il y aura çà et là de grands tremblements de terre.

On utilise aussi la chronique latine de F. Faber écrite en 1488 dans laquelle l’auteur tente de reconstituer le déroulement des événements de Bâle. Il raconte les événements ainsi:

L’an 1356, le jour de Saint-Luc Evangéliste, il y eut un tremblement de terre dans toute l’Allemagne et la terre fut secouée non pas une fois mais plusieurs fois pendant trois mois. Ce jour là [le 18 Octobre], avant le soir, il y eut trois secousses et une quatrième plus importante avant la tombée de la nuit. La nuit suivante, de l’heure du coucher jusqu’à minuit, la terre trembla six fois, et la première fois si violemment que beaucoup de bâtiments s’écroulèrent. Le jour suivant [le 19 Octobre], il y eut deux secousses et d’autres ensuite… 

Les dégâts causés sont aussi décrit :

Dans un premier temps, les premiers tremblements de terre firent s’écrouler une partie de la ville. Une partie de l’église-cathédrale tomba sur les écoles, une autre dans le Rhin. Beaucoup de gens furent ensevelis; les autres fuirent à la campagne.

Peu après, un incendie se déclara au Monastère de Saint-Alban alors que la plupart des habitants avaient déjà fuit la ville. Puis survint le second choc destructeur:

A la nuit tombée, il y eut une énorme commotion [“praegrandis terraemotus”] et plusieurs personnes furent écrasées comme lors de la première secousse. Elle jeta à bas les maisons et les tours qui restaient, toutes les églises s’écroulèrent et leurs voutes tombèrent à l’exception des églises Saint-Jean et des Frères Prêcheurs qui, cependant, montrèrent de nombreuses lézardes…

Ce séisme est, avec celui de Lisbonne en 1755, celui qui a frappé le plus les imaginations, en Europe, surtout à cause de son contexte. En effet, un séisme assez destructeur s’était déjà produit dans les environs de Bâle en 1348 et a été violemment ressenti dans la ville. Mais surtout la peste dite “peste noire” frappe le pays depuis 1348 et a emporté un quart de la population bâloise. Les Juifs désignés comme boucs émissaires de la peste seront victimes de pogroms. Enfin, nous sommes au beau milieu de la guerre de 100 ans qui ravage l’Europe. Et c’est à ce moment que se produit le fameux séisme “de la Saint-Luc”. Selon les auteurs le nombre de victimes (100, 300 1000, 2000), de châteaux détruits (entre 60 et 80) varie.

Les effets ont été ressentis très loin de Bâle, à Berne, Zurich, Lucerne et jusqu’à Constance en Allemagne. En France, l’Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté, la Bourgogne, la Champagne et l’Ile-de France furent plus ou moins touchées.
Les témoignages proviennent de la documentation pédagogique de l’EOST (Ecole et Observatoire des Sciences de la terre) de Strasbourg.

Pour  Strasbourg, le chroniqueur Fritsche Closener (1362) écrit :

En 1356, le jour de la Saint-Luc, il arriva sur le soir un tremblement de terre assez sensible suivi de quelques autres avant la nuit qui le furent moins. Vers dix heures du soir, survint une commotion très violente: elle jeta à bas des maisons de nombreuses mitres des cheminées ainsi que des faîtières, et à la cathédrale, elle renversa les ciboires et les ornements. 

A Metz, Philippe de Vigneulles rapporte :

le jour de la Saint-Luc en hyveir, fut le tremblement en Mets, tel et si grant que tout crolloit en plusieurs lieux par la cité et sembloit que les maisons deussent cheoir, et heurtoient les tuppins [les vases, les pots] des maisons et cuisines où ilz estoient pendans l’ung près de l’autre ensemble, dont plusieurs gens avoient peur; et n’estoit mie de merveille car ilz n’avoient jamais eu tel temps, et crolla [trembla] la terre plusieurs fois.

A Besançon, un témoin anonyme écrit :

L’an mil trois cens cinquante six, il fit groz tremblement de terre à Basle…Aussi fist-il en Bourgogne de fasson que la plus grosse tour du chastel de Montron [Montrond-le-Chateau] cheut bas. Et fust ce le jour de la Sainct-Luc environ l’heure du disner. Aussi sembloit-il proprement que les aysemens des rateliers [ustensiles sur les étagères] se batissent l’ung l’autre; enfin toutesfois cela s’appaisa, mais sur l’heure de coucher il recommença pis que devant de manière que le pauvre peuple comme tout esperdu s’en fuyoit hors des maisons. La tour de Vaitte de Besançon en plusieurs endroictz en fut toute rompue et tempestée. 

3. Le séisme de Bâle et Fessenheim

La perception du tremblement de terre de Bâle intervient dans la définition des risques sismiques auxquels peut être confrontée la centrale nucléaire de Fessenheim. Le problème est qu’il n’y a pas consensus. Selon qu’ils soient français suisses ou allemands, cette perception varie selon les experts qui ne sont d’accord ni sur la définition de la magnitude du séisme de Bâle ni surtout sur la distance à envisager entre la centrale et l’épicentre d’un futur tremblement de terre.

Selon les experts suisses la magnitude du séisme de Bâle varie de 6,2 à 6,9. Si le dernier chiffre est vrai, il n’y a pas de marge.  Tout cela est contenu dans une étude d’un cabinet d’ingénieurs conseils suisses où l’on peut lire ceci (CN signifie Centrale nucléaire) :

La plupart des experts sont convaincus qu’un séisme analogue à celui de 1356 est obligatoirement lié à une zone de faiblesse tectonique associée à l’interaction entre le graben du Rhin supérieur et le fossé permo-carbonifère. Certains d’entre eux, en particulier les experts français, en concluent qu’un tel séisme se situe automatiquement au sud de la ville de Bâle, à 30 km au minimum de la CN de Fessenheim. Cependant, de nombreux autres – deux groupes d’experts PEGASOS, les auteurs des études nationales allemandes et suisses les plus récentes – situent la frontière de la zone correspondante plus au nord, principalement entre 10 et 20 km au sud de la CN de Fessenheim.

Deux sur les quatre groupes d’experts de PEGASOS pensent qu’il n’est pas possible d’exclure qu’un séisme analogue à celui de 1356 puisse survenir dans les alentours immédiats ou proches de la CN, attribuant une probabilité de 0.3 à 0.4 pour que cette hypothèse soit correcte.

Il en ressort qu’une distance à la CN de Fessenheim de 34 km, et même de 29 km (…) se situe du côté optimiste des valeurs évoquées par les différents experts. Par conséquent, les distances de 34 ou 29 km doivent être jugées, dans le contexte d’une démarche sécuritaire déterministe, comme sur-évaluées. Au moins, des recherches tectoniques très poussées seraient nécessaires pour pouvoir – éventuellement – exclure des distances plus faibles.

Extrait de Centrale nucléaire de Fessenheim : appréciation du risque sismique. Rapport d’expertise Résonance.

Le bureau d’Etudes Résonance de Genève conclut à « une sous-estimation prononcée de l’aléa sismique ». Cette sous-estimation est due «une interprétation trop optimiste des caractéristiques clef du séisme de Bâle de 1356 servant comme séisme de référence : sous-estimation de sa magnitude et surévaluation de la distance minimale à la CN à laquelle un tel séisme pourrait survenir ».

Rappelons que dans son rapport d’évaluations complémentaires, vis-à-vis du risque de séisme, l’ASN (Agence de Sûreté Nucléaire) exige d’ EDF :

De faire en sorte que les équipements permettant de maîtriser les fonctions fondamentales de sûreté soient protégés contre l’incendie en cas de séisme. En effet, les principales dispositions de protection des installations contre l’incendie ne sont pas aujourd’hui dimensionnées pour résister au séisme du référentiel de l’installation;
(….) Pour les sites de Tricastin, Fessenheim et Bugey, de fournir une étude analysant le niveau de robustesse au séisme des digues et autres ouvrages de protection des installations contre l’inondation et de présenter les conséquences d’une défaillance de ces ouvrages.

 

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