Prochain rendez-vous à Fessenheim

Même si le mot résistance ne nous paraît pas approprié car ce dont il s'agit ici c'est de commencer à inventer un monde différent, le wagges sera de tout cœur avec eux.

« La censure du Conseil Constitutionnel sanctionne ainsi moins une mesure qu’une politique de faux-semblants et d’amateurisme »

J’aime bien cette idée de Jacques Sapir à propos de la décision du Conseil constitutionnel sur l’imposition à 75 % des plus hauts revenus qu’il interprète comme la sanction d’une volonté peu affirmée et claire ayant présidé à l’élaboration de la proposition de loi. Une taxation, dont on se plaisait en outre à répéter et souligner du côté du gouvernement le caractère « provisoire ». La taxation des plus aisés est provisoire, celles des moins aisés, elle, est durable. Et puis les promesses ne s’usent que si l’on s’en sert. La preuve d’ailleurs, celle dont il est question resservira pour 2014.
J’aime bien l’idée pour sa portée générale. Au-delà de l’économie et du social, on peut en effet craindre aussi les atermoiements ou la confusion dans le domaine de la transition énergétique et bien sûr en ce qui concerne la fermeture de la Centrale nucléaire de Fessenheim où, contrairement à ce qu’il pourrait paraître, le temps est compté si l’on veut qu’elle soit effective au terme du quinquennat. Le gouvernement peut s’appuyer sur les syndicats pour l’aider à faire traîner les choses. Ces derniers ont récemment interdit l’entrée du site au représentant désigné par l’Etat pour examiner les conditions de la fermeture alors qu’Edf a eu le feu vert pour entamer des travaux de maintien en activité.
Y aura-t-il donc, comme pour la finance, une capitulation masquée devant le lobby nucléaire qui n’arrête pas de nous seriner avec le chœur des syndicats : « Les centrales nucléaires sont sûres » « Les centrales nucléaires sont sûres » ?
Allelujah, les centrales nucléaires sont sûres. C’est vrai. Jusqu’à l’accident. Après l’accident, elles redeviennent sûres, alors même qu’on n’en a pas mesuré toutes les conséquences. Sûres jusqu’à l’accident suivant. Et ainsi de suite …. Les trains sont toujours à l’heure jusqu’au moment où ils commencent à être en retard.

Le contexte a un peu changé tout de même. Le consensus autour du nucléaire est en crise.

« Ni Three Mile Island en 1979 ni Tchernobyl en 1986 n’avaient délié les langues à ce point-là. Il a fallu attendre la catastrophe nucléaire de Fukushima du 11 mars 2011 pour que les défenseurs de l’atome, même parmi les plus acharnés, se mettent à douter de l'”excellence” d’une énergie qu’ils ont longtemps défendue les yeux fermés », écrivait récemment le journal Le Monde dans un éditorial.(28.12.2012).

La rédaction du quotidien ajoutait :

«  Dernier en date à s’interroger : le directeur de l’agence belge de sûreté nucléaire, Willy De Roovere. “Nous devons nous demander si le risque nucléaire est encore acceptable. En toute honnêteté, si je considère ce risque, je choisirais d’autres formes d’énergie…”, a-t-il déclaré la veille de Noël, alors qu’il quitte ses fonctions à la fin de l’année. »

Dommage qu’il faille attendre que ces gens-là partent à la retraite pour qu’ils le disent. Mais mieux vaut tard que jamais. Enfin, toujours dans l’éditorial du Monde :

« En France, où le nucléaire fait encore l’objet d’un large consensus, le dogme de l’infaillibilité de l’atome n’est plus de mise. Y compris chez certains X-Mines, artisans de son développement. “Malgré les précautions prises, un accident nucléaire ne peut jamais être exclu”, convenait en janvier 2012 André-Claude Lacoste, président de l’Autorité de sûreté. L’un de ses pairs, Jacques Repussard, directeur de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, indiquait que Fukushima obligeait “à imaginer l’inimaginable”. »

Alors pourquoi jouer avec le feu, alors que le consensus s’effrite et  que le maintien sous perfusion permanente de la plus vieille centrale finit par coûter inutilement fort cher. Certes elle nous manquera un peu car elle nous fait bien rire parfois. Elle a du être arrêtée récemment une nouvelle fois parce que la température de l’air était trop …clémente.

L’Autorité de sûreté nucléaire a donné le 18 décembre son feu vert pour le renforcement du radier envisagé par EDF. Le radier du réacteur 1 de Fessenheim ne fait que 1,5 mètre d’épaisseur, contre 2,5 à 3 mètres pour les autres réacteurs du parc français. Aussi, l’ASN a-t-elle demandé de renforcer le radier du réacteur avant le 30 juin 2013, afin d’augmenter sa résistance au corium en cas d’accident grave avec percement de la cuve. EDF envisage d’épaissir de 50 cm le radier dans le local “puits de cuve” et de “permettre en cas d’accident grave avec percement de la cuve, via un tunnel ménagé à cet effet, un étalement du corium sur le radier du réacteur dans une zone de collecte [elle-même épaissie]”

Le coût annoncé est de 15 à 20 millions d’euros, chiffres à manier avec précaution.

Encore ne s’agit-il là que des questions que pose le réacteur n°1. La question du n°2 est en suspend. Et il y a d’autres questions. Physicien nucléaire, professeur à Polytechnique pendant 35 ans, Jean-Louis Basdevant rappelle :

La centrale de Fessenheim est située sur une faille en zone sismique (l’implantation la plus dangereuse de France à cet égard).
Elle s’alimente en eau froide dans le grand canal d’Alsace, qui la surplombe de 9 mètres, toute perturbation grave de ce canal (chute d’avion) risquerait de noyer la centrale. Elle est, tout comme une autre, exposée au risque d’un « accident normal des systèmes complexes ». Dans un système complexe, un accident grave peut provenir de la conjonction inattendue et imprévisible de défaillances élémentaires, anodines en elles-mêmes.
Un accident nucléaire à Fessenheim aurait des conséquences plus que dramatiques. Elle est située à l’aplomb de la plus grande nappe phréatique de France, d’une capacité de 35 milliards de mètres cubes sur sa partie alsacienne, qui se prolonge en Allemagne. Et, pour corser le tout, elle est également à l’aplomb de la vallée du Rhin qui, entre Bâle et Rotterdam, est la région la plus peuplée, active, industrielle de l’Europe. Cela signifie qu’en cas d’accident avec fusion partielle du cœur, une fois la dalle percée, le Rhin serait contaminé, jusqu’à Rotterdam. Un accident nucléaire grave y serait une catastrophe dramatique pour toute l’Europe, un coup de poignard qui anéantirait la vie dans cette région pendant plus de 300 ans.
Arrêter Fessenheim est, pour moi, une application du principe de précaution, tant évoqué, qui relève d’un devoir moral vis-à-vis des habitants de l’Europe.

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Alors pourquoi jouer avec le feu ? Pourquoi continuer à expérimenter en prolongeant sa durée de vie alors qu’elle pourrait si bien servir pour expérimenter une mise à l’arrêt.

S’il faut bien sûr là aussi se préoccuper du sort des salariés directs les moins menacés et indirects les plus menacés sans compter bien sûr les problèmes posés aux villages alentour qui vivent de la manne nucléaire, il n’est pas acceptable de mettre le risque nucléaire comme alternative à la préservation des emplois.

En pistes pour la fermeture de Fessenheim ?

Chaîne humaine autour de la centrale de Fessenheim en juin 2011

Si l’on comprend bien, tous les éléments sont réunis pour que la décision de fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim puisse être prise car bien évidemment, la décision est politique. Curieux la propension de certains hommes politiques à préconiser le dessaisissement de la politique par elle-même aussi bien sur les questions du nucléaire que sur celles de la finance, deux domaines de même opacité où se pratiquent des stress tests. Si la politique ne veut rien savoir de la sécurité nucléaire, à quoi sert-elle ?

Commençons par quelques extraits du rapport d’évaluations complémentaires de l’ASN (Agence de Sûreté Nucléaire)

( …)vis-à-vis du risque de séisme, l’ASN va imposer à EDF :
  • De faire en sorte que les équipements permettant de maîtriser les fonctions fondamentales de sûreté soient protégés contre l’incendie en cas de séisme. En effet, les principales dispositions de protection des installations contre l’incendie ne sont pas aujourd’hui dimensionnées pour résister au séisme du référentiel de l’installation;
  • (….)Pour les sites de Tricastin, Fessenheim et Bugey, de fournir une étude analysant le niveau de robustesse au séisme des digues et autres ouvrages de protection des installations contre l’inondation et de présenter les conséquences d’une défaillance de ces ouvrages.

Vous avez bien lu, il manque dans le rapport que l’ASN vient de rendre l’étude sur le niveau de résistance au séisme. La suite :

Cas particuliers des digues
A la suite de la réunion des groupes permanents de juillet 2011 qui a eu pour objet d’examiner la méthodologie proposée par les exploitants pour la réalisation des ECS, l’ASN a demandé à EDF d’examiner les conséquences de la rupture d’une part des digues du Grand Canal d’Alsace à proximité du site de Fessenheim et d’autre part des digues du canal de Donzère à proximité du site de Tricastin.
En ce qui concerne les conséquences d’une rupture de digue du canal de Donzère-Mondragon pour Tricastin et d’une rupture des digues du Grand Canal d’Alsace pour Fessenheim, EDF a apporté une réponse qui doit être considérée comme préliminaire en raison des délais associés aux ECS.
Concernant Tricastin, que ce soit dans le cas d’une rupture en rive gauche ou dans le cas de rupture en rive droite des digues du canal de Donzère-Mondragon, EDF estime que les protections périphériques existantes (batardeaux, écran étanche) permettraient d’éviter l’inondation de la plateforme du CNPE.
Concernant Fessenheim, les conséquences d’une rupture des digues du Grand Canal d’Alsace seraient la présence d’une lame d’eau sur le site, susceptible d’engendrer un scénario de perte totale des alimentations électriques externes et internes, ainsi que la perte potentielle d’autres matériels de l’îlot nucléaire.
Que ce soit pour Fessenheim ou Tricastin, EDF souligne l’absence d’éléments d’études précises disponibles à ce jour sur la hauteur de cette lame d’eau. (…)
L’ASN considère que l’engagement d’EDF répond partiellement à sa demande et qu’EDF devra mener des études indiquant de façon précise le niveau d’eau sur le site du Tricastin en cas de rupture des digues de Donzère-Mondragon et sur le site de Fessenheim en cas de rupture des digues du Grand Canal d’Alsace et évaluer les conséquences qui en découlent. L’ASN prendra une prescription à ce sujet.
Concernant le scénario de rupture de la digue, quelle qu’en soit l’origine, EDF propose :
« D’engager un examen détaillé de la tenue des digues à un niveau supérieur au SMS, et de déterminer un débit d’inondation à prendre en compte au-delà du dimensionnement (en écartant des niveaux de séisme complètement non plausibles, afin de définir les parades les plus adaptées). D’engager, au vu de ces résultats, un calcul des champs d’inondations correspondants.
De définir et de mettre en place, au vu de ces résultats, les parades matérielles et organisationnelles adaptées pour éviter les situations redoutées que sont, pour ce type d’analyse […], un rejet important dans l’environnement pour le réacteur et un
découvrement des assemblages pour le Bâtiment combustible. »
Concernant le risque d’effacement total de la digue, quelle qu’en soit l’origine, l’ASN considère satisfaisante la proposition figurant dans le rapport d’ECS et note la précision apportée lors de l’instruction :
« Les dispositions matérielles qui seraient mises en oeuvre dans ce cadre porteraient sur le renforcement de la robustesse des digues (prévention) et/ou sur le renforcement des protections des matériels nécessaires à la gestion d’une situation H1/H3 (mitigation), EDF n’étant pas en mesure, au stade actuel des études, de statuer sur les solutions techniques à privilégier ».
L’ASN considère nécessaire qu’EDF confirme ces éléments.
Dans le cadre des évaluations complémentaires de sûreté faisant suite à l’accident de Fukushima, EDF a décidé d’accélérer les études répondant aux demandes de l’ASN par rapport au planning initialement demandé par l’ASN à la suite du GP de 2009. Ces études, spécifiques à chaque site, comportent des études hydrogéologiques fondées sur des mesures in situ et des études de faisabilité de dispositions techniques, de type enceintes géotechniques ou équivalent, visant à retarder le transfert de contamination vers la nappe phréatique. EDF s’est engagée à fournir ces études en 2012 ou 2013 selon les sites. Compte tenu de leurs conditions défavorables en cas de pollution, l’ASN considère que les sites de Fessenheim, Bugey et Civaux sont prioritaires. L’ASN prescrira à EDF d’accélérer la remise des études hydrogéologiques. En outre, la possibilité d’installation de parades au percement des radiers et à la pollution des sols fait partie des thèmes en cours d’instruction dans le cadre plus général des réexamens décennaux. Dans ce cadre, l’ASN prescrira à EDF de transmettre à l’ASN une étude de faisabilité en vue de la mise en place de dispositifs techniques visant à s’opposer au transfert de contamination radioactive vers la nappe phréatique en cas d’accident grave ayant conduit au percement de la cuve par le corium.
Pour le cas particulier des réacteurs de Fessenheim, l’épaisseur du radier, égale à 1m50, est la plus faible du parc (contre 3 à 4 mètres pour la majorité des réacteurs du parc). Dans la situation actuelle, EDF estime que la durée de percement du radier à la suite d’un accident grave avec fusion du combustible et percement de la cuve pourrait être de l’ordre de la journée dans le pire des cas (dysfonctionnement de tous les systèmes de sauvegarde). En juillet 2011 dans le cadre de la poursuite d’exploitation au-delà de 30 ans du réacteur n°1 de Fessenheim et sans préjudice des conclusions des ECS, l’ASN a prescrit à EDF le renforcement du radier de Fessenheim, avant le 30 juin 2013 afin d’augmenter très fortement sa résistance au corium en cas d’accident grave. Le dossier a été remis par EDF le 9 décembre 2011 et sera examiné par l’ASN en 2012.

On vous le disait, c’est comme pour les banques, tout va bien mais il faut les renflouer tous les 6 mois. Le président de l’ASN a évoqué la nécessité d’un effort financier “massif” pour améliorer la sûreté. Interrogé sur l’importance des investissements, Henri Proglio use de cette novlangue pour gogos dont ils ont le secret :

« Il est un peu illusoire de chercher à le savoir aujourd’hui, car on est dans un différentiel d’investissement. »

Vous comprenez du moment qu’on est dans un « différentiel d’investissement », ça change tout et son contraire. Du moment qu’elle peut gager nos factures, «la capacité d’investissement d’Edf sera au rendez-vous».

Jean-Marie Brom

 Tous ces éléments expliquent et confortent l’hypothèse de Jean-Marie Brom. Elle ne date pas d’aujourd’hui. J’en avais parlé avec lui en septembre dernier.
Pour le physicien, chercheur au CNRS et porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire :

« l’ASN a refilé le bébé au politique en demandant des travaux, qui n’ont toujours pas été lancés, et qui sont à la limite du faisable, comme le renforcement du radier, dont on se demande bien comment il va être réalisé. Selon moi, Fessenheim est condamné, je ne serais pas surpris que Sarkozy annonce bientôt sa fermeture en 2013. L’ASN va indiquer combien coûterait le renforcement du radier, Sarkozy va dire qu’on ne peut pas faire ça aux Français, qu’il faut être raisonnable. La centrale sera jetée en pâture aux antinucléaires, qui penseront qu’il s’agit d’une première fissure dans le mur, alors qu’il s’agit d’abandonner Fessenheim pour ne pas abandonner le reste. Fessenheim produit environ 2 % de l’énergie nucléaire française, on exporte six fois plus, il suffira donc de réduire les exportations pour ne pas voir la différence. Il faudrait fermer quatre ou cinq centrales pour que cela nous force à réfléchir. Le nucléaire a toujours été politique, la décision d’en sortir sera aussi politique ».

Difficile de savoir aujourd’hui si le coup sera jugé payant mais il est possible. Le recyclage de Claude Allègre ne plaide cependant pas dans ce sens.
Aux arguments techniques et financiers, on peut ajouter la demande politique des grandes villes environnantes que sont par exemple Bâle et Strasbourg qui ont demandé la fermeture de la centrale. Celle-ci constituerait un heureux signal pour dire qu’il y a un après Fukushima et que l’heure d’un changement d’époque a sonné. Pas besoin d’attendre une nouvelle catastrophe. L’Allemagne est entrain de prendre une sérieuse avance sur la France.

Sources : Le rapport de l’ASN ; la déclaration d’Henri Proglio et celle de Jean-Marie Brom. Et sur le wagges.