La dure vie du professeur plombier !

Dessin paru dans le journal L'alsace du 5 novembre 2011

L’évaluation des professeurs, avec la notation au mérite, est depuis longtemps un sujet sensible. La tentative de ne les faire évaluer que par le chef d’établissement, et non plus doublement par le chef d’établissement et par un inspecteur pédagogique, relance le débat de manière vive. On pourrait penser que ce dernier n’intéresse que les enseignants et que parents et citoyens ne sont en rien concernés. Que nenni !

Avec les nouvelles méthodes managériales, la fièvre du coaching scolaire sur Internet et l’orientation vers la privatisation, il semble qu’on passe de l’image du professeur inamovible, quel qu’il soit et quoi qu’il fasse, à celle du professeur produit de consommation courante (voir chronique “Prof, moi ? Et puis quoi encore ?”). C’est ainsi que cette parente d’élèves du privé trouve tout à fait normal que des parents refusent un enseignant et en changent si les élèves qu’il a en charge ont de mauvaises notes aux contrôles !

Mais non, Madame, le professeur n’est pas un plombier ! L’élève n’est pas un tuyau ! S’il présente éventuellement des fuites, ce ne sont pas les mêmes ! On n’évalue pas le travail d’un enseignant comme celui d’un artisan fournissant telle ou telle marchandise. C’est là toute la difficulté ! Un discours tel que le vôtre dénote, si l’on peut dire, à la fois une totale méconnaissance de ce qu’est l’évaluation et la négation de la manière dont une approche purement quantitative pourrit tout un système et, surtout, n’a strictement aucun sens. Oui, Madame, une note n’a aucun sens en tant que telle et je pourrais à tout moment, en m’asseyant sur mon éthique professionnelle avec la douleur qu’un tel pal représente, être pour vous un bon professeur ! La question n’est que technique et vous n’y verriez que du feu.

La réalité du non-sens actuel de l’évaluation dans nombre de sections et nombre d’établissements sera renforcée avec la notation des professeurs par le chef d’établissement. Le classement des établissements, largement publié dans les media et bien lu par les parents, se fait sur les résultats. Il est alors évident que la qualité du professeur risquera fort de n’être liée qu’à une approche quantitative, les notes des élèves, et non à une approche qualitative, dont la formation d’être humains, de citoyens, libres et pensant, approche aujourd’hui volontairement éludée. Déjà au baccalauréat, les pourcentages de réussite d’académies faibles sont remontés artificiellement par un changement a posteriori des barèmes ou une remontée directe des notes.

Certes la double notation, par des inspecteurs pédagogiques et par un chef d’établissement a ses inconvénients. Un professeur doit donc se plier, au moins le temps d’une inspection, au discours ministériel et technocratique d’inspecteurs élevés dans le sérail, voire en batterie dans certaines disciplines plus confidentielles, parfois même totalement incompétents dans la discipline du professeur qu’ils doivent évaluer. C’est ainsi qu’il peut arriver que soient enseignées des notions totalement fausses, ces inspecteurs n’ayant rien appris d’autre que le discours officiel ou ce qui leur a été transmis lors de leurs propres études. Et comme les auteurs de programmes sont choisis selon le principe non de compétence mais de cooptation et, surtout, de docilité… Ah ! La fragilité des races pures ! Qu’on connaît si bien en élevage bovin !

La notation par le chef d’établissement qui lui, normalement, connait “ses” enseignants et “ses” élèves, peut alors compenser la notation éventuellement purement bureaucratique de l’inspecteur.

Par contre la notation par le seul chef d’établissement ouvre bien évidemment la porte à toutes les dérives : abus de pouvoir, déplacement des conflits, harcèlement, délégation à des sous-chefs (préfet des études du programme ECLAIR par exemple), soumission et infantilisation des enseignants,…Il est d’ailleurs explicitement conseillé, dans les textes du programme ECLAIR, de pousser à la démission tout enseignant qui ne serait pas d’accord avec la politique d’établissement mise en place. Il est donc fortement à craindre que le principal critère d’évaluation sera la docilité et l’obéissance au système, comme cela était il n’y a pas tant de décennies que cela.
Le témoignage de cette enseignante en collège est on ne peut plus marquant. Extrait :

« Je suis professeure, depuis 22 ans. Aujourd’hui, j’ai vu la faiblesse et la couardise à l’œuvre, mais pas dans le camp que vous devineriez, c’est dans notre camp. Aujourd’hui, j’ai vu le désespoir et le découragement à l’œuvre, rampant des couches des populations de nos chers élèves jusque vers nous professeurs et nous prendre à la gorge. Aujourd’hui j’ai vu vaciller sur ses pieds un professeur émérite de 55 ans, et ma confiance dans l’institution vaciller avec elle.” (Texte intégral ici)

Il en rejoint beaucoup d’autres, de professeurs qui ont démissionné, et montre bien l’impact totalement délétère des directives managériales à la France Télécom que les chefs d’établissement sont amenés progressivement à pratiquer.

Mais le plus grave sera la grande différence entre les établissements, lorsque leur autonomie sera définitivement mise en place. Le vrai risque sera celui cité plus haut, le bon établissement étant celui dont les élèves auront de bons résultats. Le bon professeur sera donc celui qui met des bonnes notes. L’évaluation des élèves par bilan de compétences, hors de tout savoir, le lui permettra sans que personne ne puisse le critiquer. Lui même se trouvera, se trouve déjà d’ailleurs, dans une totale et désespérante impuissance, sauf à ne plus penser ! Une approche purement quantitative est déjà dans l’esprit de beaucoup d’élèves et de parents. Ce sera pire lorsque le rôle du chef d’établissement sera réduit à celui de Directeur Général et de Directeur des Ressources Humaines. La ségrégation scolaire ainsi que la fracture intellectuelle déjà largement en place se verra alors définitivement objectivée et les jeunes n’auront alors définitivement plus les mêmes chances.
La carrière d’un enseignant ne sera donc plus fonction de sa compétence mais de sa capacité à obéir et à ne pas penser. Et pourquoi pas, dans une approche consumériste consommée, de notes mises par les élèves eux-mêmes, comme cela est déjà apparu, il y a peu, sur Internet ?
Et on s’étonne, après cela, que plus personne ne veuille faire ce métier !

Le gypaète barbu

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