Tout enseignant possède une adresse mail professionnelle qu’il est censé ouvrir très régulièrement (fonctionnement du type “nul n’est censé ignorer la loi”). Cette adresse peut d’ailleurs être renvoyée sur une adresse personnelle. Or il s’avère que la hiérarchie, ministère ou autres inspecteurs pédagogiques l’utilisent de plus en plus, au point d’ailleurs où la réception de courriel de ce type n’est pas loin d’être quotidienne ou biquotidienne, week-end compris. Comme dans les entreprises, le nouvel enseignant n’échappe plus à son travail. Qui a dit que l’école n’était pas encore entrée dans l’ère du numérique ? C’est comme cela que, dernièrement, a été envoyé un courriel sur l’utilisation des boitiers de vote numériques. Et, ouvrant les liens donnés, quelle n’est pas la surprise de découvrir que nombre d’entreprises fournissent déjà des boitiers de vote avec logiciels adaptés à une utilisation pédagogique, et que ces boitiers sont déjà utilisés finalement depuis plusieurs années (les extraits de vidéos ou d’études présentés ici datent déjà de 2012 ou 2013).
De l’utilisation de tels boitiers
“l’utilisation des boitiers rentre dans leur processus de compréhension et de mémorisation du cours” (un enseignant chercheur)
Tout le monde connait leur utilisation dans différents jeux ou émissions télévisés. A priori donc leur utilisation en cours pourrait paraître débilitante puisque transmettant souvent un élément de sous-culture numérique. Or, si les outils peuvent faire la culture, la culture peut aussi non seulement résister à l’outil mais aussi s’en saisir pour du mieux. Le cas des boitiers de vote est particulièrement intéressant dans une telle réflexion. L’université Pierre et Marie Curie en propose un bilan d’expérience très intéressant bien qu’elle ne soit pas tout à fait récente. Durant des cours magistraux de physique, des boitiers réponses ont été mis à disposition des étudiants afin de mesurer en direct la bonne compréhension de concepts fondamentaux. Lorsqu’un concept difficile, ou qui peut ne pas apparaître comme important aux étudiants, une question leur est posée sous forme de QCM. Ils répondent en cliquant sur le numéro qui leur semble correspondre à la bonne réponse. L’analyse se fait en direct, les statistiques étant projetées sur l’écran. Si un désaccord apparait comme trop marqué, des échanges entre étudiants peuvent avoir lieu dans la foulée, entraînant un débat sur la question et donc l’élaboration d’une réflexion collégiale.
Apparemment, étudiants comme enseignants y trouvent largement leur compte, notamment en terme de dynamisme de cours. Il est d’ailleurs intéressant de comparer à ce niveau, sans en tirer jugement de valeur, deux extraits de cours magistral en physique, le premier de la présentation citée, le deuxième d’un cours sur l’électromagnétisme proposé en ligne par Richard Tallet de l’Université de Savoie avec également un certain niveau d’interactivité et un certain charisme.
De l’intérêt des boitiers
Un des intérêts est donc de rendre les étudiants plus actifs et donc de dynamiser un cours magistral. C’est ce qui ressort d’ailleurs dans l’expérimentation de l’UPMC tant du discours des étudiants que du discours des enseignants.
Outre la dynamisation, il ressort que le fait de poser telle ou telle question porte en soi une valeur qui, dans un autre cadre, n’aurait pas la même portée. Il semble que les étudiants, s’ils ont à appuyer sur un bouton, perçoivent mieux l’intérêt d’un concept à côté duquel ils seraient passés en cours magistral classique, l’importance lui étant conférée par le simple fait qu’on leur demande de le faire. A cela s’ajoute une pression sociale non négligeable. En effet les résultats étant directement projetés à l’écran, les réponses de chacun apparaissent. Si cela permet à l’enseignant d’analyser en direct la perception des notions et leur compréhension, donc de s’adapter immédiatement (mais d’autres le font aussi sans boitier !), cela oblige l’étudiant à répondre, sauf à se démarquer manifestement et, éventuellement, à se sentir exclu de la démarche. En même temps, l’obligation de réponse implique aussi une obligation de réflexion, et d’autant plus positive que la question est pertinente. Dans le cadre d’un questionnement de cours ou d’une évaluation formative, lâchons les grands mots, les boitiers sembleraient donc d’un apport positif. La question se posera avec beaucoup plus de réserve en ce qui concerne une évaluation dite sommative, avec l’utilisation systématique des QCM.
Plusieurs expérimentations ont déjà eu lieu en collège, dans des disciplines scientifiques, dont on peut trouver un bilan intéressant ici (bilan d’une expérimentation de boîtiers de vote en physique-chimie au collège _ Julien TRESARRIEU-BESINCQ – Collège Saint Exupéry – Alençon – Christophe LEPRINCE – Collège Monod – Caen) Ce bilan recouvre d’ailleurs en partie les analyses faites à l’UPMC. – Une étude datant de 2012 du STICEF (Sciences et Technologies de l´Information et de la Communication pour l´Éducation et la Formation) permet aussi d’avoir une approche assez exhaustive de la question.
De l’intelligence ou de l’effet délétère
Ce qui se fait à l’université pour un amphi de 150 personnes n’est pas porteur de la même problématique que ce qui peut se faire dans un lycée avec 20 élèves, a fortiori en école primaire. Il est, de ce point de vue, intéressant de visionner successivement le document réalisé par l’UMPC et un document de présentation de leur boitier par une entreprise spécialisée dans les différents outils numériques (tableaux numériques, boitiers de vote, etc.) Cette dernière utilise un extrait d’un JT d’ailleurs non cité montrant l’intérêt de l’utilisation de leurs boitiers en école primaire.
Le contraste est frappant : dans le premier cas les étudiants ont leur boitier dans une main, un stylo dans l’autre et des feuilles de cours sur leur table, dans l’autre les élèves n’ont plus en main que les boitiers, assis devant des tables vides, et répondant à des questions de type QCM. Dans un tel cas, l’élève n’aurait plus à écrire ni à produire. Il reste une activité ludique qui, apparemment, semble satisfaire tout le monde. Par ailleurs l’utilisation exclusive de QCM liée à beaucoup de boitiers porte en elle également l’effet très délétère de l’absence de production intellectuelle par l’élève. Comme pour l’utilisation des réseaux sociaux pour apprendre le français, on est très loin de la pédagogie Freinet ! Trois très courts extraits des documents cités ici montrent bien où doit se situer la réflexion : “je vous invite à faire cet effort là” (UMPC) alors que “on n’a pas à se faire mal au poignet en écrivant” (école primaire) ou “Je vais réduire ce que je demande” (Chambéry). Le problème reste donc bien toujours du niveau de production, de la capacité de mémorisation, de la perte de l’écrit ou de la nécessité de l’effort intellectuel.
L’environnement électro-magnétique des classes
Les premiers boitiers de vote utilisaient une technique infra-rouge. Or une telle technique ne permet pas de traiter la quantité d’information nécessaire pour une utilisation pédagogique minimale. Les nouveaux boitiers utilisent donc des ondes de radiofréquences dont la fréquence support est de 2,4 gigahertz (boitiers RF). On est là dans la gamme de fréquence du WIFI. Or il est bon de rappeler que vient d’être votée la «loi Abeille», qui encadre l’exposition aux ondes électromagnétiques. Le texte compte parmi ses dispositions l’interdiction du wifi dans les crèches et la limitation de son usage dans les écoles aux activités pédagogiques, dans l’objectif d’une modération de l’exposition aux ondes des plus jeunes. Qu’en est-il alors des écoliers comme des étudiants (150 à 300 dans un amphi !) exposés à un environnement de plus en plus pollué ? (Pour une approche exhaustive des effets de cet environnement aussi bien sur la santé que sur les fonctions cognitives, voir le site http://robindestoits.org).
Mais là où le numérique est d’ores et déjà une révolution actée, un fait culturel irréversible, apparait dans le discours des chercheurs enseignants de l’UMPC qui affirment que “l’utilisation des boitiers rentre dans leur processus de compréhension et de mémorisation du cours”. Reste à savoir si l’utilisation des boitiers de vote sera réellement au service d’une pédagogie nouvelle ou si la pédagogie nouvelle se réduira à un semblant de jeu télévisé. La réponse institutionnelle est déjà là puisque prônant l’utilisation des boitiers. Mais elle ne tient aucun compte ni de la formation ni du temps passé par les enseignants à mettre au point des cours utilisant ces nouvelles techniques. Et, comme toujours, l’intérêt sera celui qu’en feront concrètement les enseignants qui les utiliseront.
Le gypaète barbu
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