La culture du numérique à l’école. Pour faire quoi ?

« L’Ecole de la République a la mission de permettre à tous les élèves d’acquérir les savoirs fondamentaux. Elle le fait dans un univers de connaissances en transformation rapide, alors que la société elle-même est en mutation sous l’effet des technologies de réseau. Parler d’éducation numérique, c’est évoquer la formation au numérique et par le numérique, mais aussi la condition actuelle de l’accès à la connaissance et des savoirs qu’elle demande comme des possibilités qu’elle offre. Sous cet aspect, l’éducation est un thème très présent dans les travaux du Conseil National du Numérique (CNNum). Lors de la rédaction du rapport Citoyens d’une société numérique (2013), nous avions rencontré de nombreuses associations, des entrepreneurs sociaux, des éducateurs d’espaces publics numériques. Tous racontaient des insertions sociales par le numérique (et non malgré ou sans), des reprises de confiance, des autonomies gagnées par la technique, des métiers choisis, des projets nouveaux. » Sophie Pène, membre pilote de l’auto saisine du Conseil National du Numérique sur l’Education et le Numérique

 Garde rapport CNNum

Le numérique est déjà entré à l’Ecole. Et ce par de nombreuses petites portes, et en deçà ou au delà de toutes les diverses recommandations, colloques, injonctions hiérarchiques, etc. Mais faut-il le penser en tant que discipline nouvelle, en tant qu’outil, en tant que mode de pensée ou en tant que culture à acquérir ?

Le numérique en tant que culture.

Le défi n’est plus celui de la place du numérique à l’Ecole, mais bel et bien de la place de l’Ecole dans le numérique, autrement dit de sa capacité à reconsidérer et reconstruire, à l’aune des mutations en cours, ses finalités, ses méthodes, son fonctionnement. Cela suppose une prise de conscience, et peut-être un difficile travail de deuil” explique-t-on au Café pédagogique où l’on trouvera également un entretien avec l’auteur de l’appel.
D’autres façons d’être au monde, de lire, d’écrire ou de se relier aux autres sont actuellement en train de s’inventer ; il s’en suit que d’autres façons d’apprendre sont à l’ordre du jour….
… “Être libre et agir ne font qu’un” dit Hanna Arendt. Le réseau des réseaux est libre – du moins y-a-t-il là un combat – et libres sont ses arts et manières de faire. Nous voulons sans entrave et dans le même mouvement : écrire – penser – coopérer – expérimenter – résister – lire – apprendre – devenir – construire

Ces extraits de l’article publié par le Wagges à propos de CE PAS QUI NOUS ELEVE : pour des écritures numériques créatives, un manifeste rejoignent les propos du très récent Rapport du Conseil National du Numérique cité en exergue ainsi que ceux du rapport de 2013 de l’Académie des Sciences L’enseignement de l’informatique en France Il est urgent de ne plus attendre.

La très grande majorité, pour ne pas dire la totalité, des enseignants sont équipés chez eux de divers outils informatiques, de l’ordinateur de bureau au Smartphone en passant par ordinateur portable et autres tablettes.

Le problème n’est donc pas dans l’utilisation de l’outil mais bien dans ce que ces outils, ces nouveaux moyens de communiquer et d’apprendre, apportent comme capacités destructrices lorsqu’ils sont utilisés dans la droite ligne de ce que le marketing a toujours pratiqué en matière de blocage du développement psychique, mais aussi dans le formidable enjeu et les multiples possibilités en matière de réparation de la pensée, de nouveau relationnel, donc de remise en œuvre du social, de nouvelles possibilités d’apprentissage ou de collaboratif. La vraie problématique est donc bien celle d’élever l’intelligence collective, ainsi que le souligne Bernard Stiegler, à propos de la création du web, dans un récent colloque intitulé à juste titre Le Massacre des Innocents “Les enfants face aux écrans”.

 

 

« La transition numérique concerne toutes les dimensions de la formation : les contenus d’apprentissage, la façon d’apprendre, les compétences visées, comme la capacité à innover et l’esprit de projet. L’introduction du numérique à l’école doit sortir de sa phase expérimentale et passer à grande échelle. Encore faut-il ne pas se tromper : si les équipements et les classes connectées sont centraux pour la pédagogie et également pour l’industrie, ils ne sont qu’un angle de changement : seuls, ils ne produisent rien, quand ils n’accentuent pas les tensions de notre système éducatif. C’est toute la vie scolaire, la classe, le temps scolaire hors école qui sont impactés. Le système scolaire ne peut pas réussir seul. Il doit s’aider de liens plus constants avec son environnement, les collectivités locales, les associations, les entreprises. Le système scolaire français est d’une très grande richesse qui le rend à même de réussir cette transition. »   Rapport cité du Conseil National du Numérique

Si l’Ecole ne peut rien faire seule, comme le souligne le rapport de CNNum, elle ne peut pas non plus continuer dans la fausse innocence qui la met à part du monde réel. Elle ne peut être non plus dans le déni de ce qui l’a fondée. Elle ne peut continuer à se laver les mains des enjeux fondamentaux du monde comme elle ne peut se laver les mains de ce « Massacre des innocents ». Il s’agit donc non seulement de maîtriser des outils, comme l’utilisation de tablettes en EPS mais bien d’investir une nouvelle culture pour éviter que cette révolution numérique ne reste entre des mains dont les intérêts sont à l’inverse du développement de l’intelligence collective, que ce soit en terme de prise totale du pouvoir et/ou de profit maximum comme le mettent en oeuvre les neuropouvoirs actuels.
 
Un exemple de volonté de travail collaboratif, Travailler à plusieurs mains : utiliser l’intelligence collective pour personnaliser les apprentissages, a été proposé au cours d’un séminaire intitulé “Enseigner les SVT par et pour le numérique : comment ?” Certes cela révolutionne la pensée pédagogique actuelle. Certes cela pose encore beaucoup de questions : celle du strict respect des programmes, celle des contenus, de leur éventuelle pauvreté, de l’acceptation d’un autre comportement des élèves, d’une autre vision de ce qu’est la discipline ou de ce que sont les disciplines, de l’illettrisme auquel un nombre certain d’enseignants peut être confronté. Mais la situation ne pouvant être pire que celle d’aujourd’hui, l’ensemble des actions allant dans le sens de l’intelligence doit être prise en compte. C’est toute l’institution et toute la société, certes, qui doit être investie. Mais ce n’est que par la reprise de la territorialisation, l’ancrage sur un terrain donné, donc par une véritable dynamique de soutien vertical (institutionnel) et non par des injonctions verticales, que les avancées pourront se faire.
 
Les outils
 
Les différentes techniques sont largement utilisées par un certain nombre d’enseignants : TICE, tableaux numériques, utilisation des tablettes en EPS , utilisation des smartphones en Activités interdisciplinaires ou en Travaux Personnels Encadrés pour aller sur internet, voire en cours pour prendre des photos de schémas faits au tableau, relations par mail ou autres entre enseignants et élèves, expérimentation assistée par ordinateur,  MOOC (massive open online course, c’est-à-dire cours en ligne ouverts à tous) ou
autres pédagogies inversées
(et la liste est loin d’être exhaustive).
 
Beaucoup de ces initiatives sont largement positives. Mais l’utilisation d’outils ne change pas les problèmes de fond qui restent la fragilité, parfois extrême, des enseignements fondamentaux, donc le problème des contenus, malgré une complexité apparente ou réelle bien visibles dans les disciplines scientifiques et, surtout, celui de  l’illettrisme. Pour se servir d’outils, il faut au moins savoir lire. Ce n’est pas le cas, bien souvent, de nombre d’élèves dans des lycées ou des académies défavorisés. Dans ce sens, la généralisation de l’enseignement par scénario (qu’on peut facilement trouver sur les sites académiques) comme la multiplication des QCM ne facilitent pas l’augmentation de l’intelligence collective, pas plus que les évaluations par compétences qui leur sont associées.
 
La formation

A chaque enseignant de se réapproprier, voire de s’approprier, une pensée dans le cadre de cette révolution numérique, et d’en comprendre les enjeux. Mais c’est bien là que l’institution doit jouer pleinement son rôle, en termes de recrutement et de formation. La qualité, voire un renouveau de la qualité, du recrutement ne doit pas seulement jouer pour les enseignants mais aussi, et peut-être surtout, pour la hiérarchie. Les enjeux sont trop importants pour se permettre une autre vision des choses. Or si on en croit ce reportage de France Inter de ce dimanche 12 octobre, on en est à recruter des enseignants sur Pôle Emploi, ces nouveaux recrutés sur annonce étant mis en situation immédiatement, sans vérification des diplômes, sans aucune expérience et, surtout, sans aucune formation, même d’une heure. Il sera pourtant impossible de faire jouer à l’Education Nationale son vrai rôle et lui donner sa vraie place dans la révolution numérique sans une intense campagne de formation des enseignants déjà en fonction et sans une formation de base qui intègre réellement les techniques mais aussi culture et enjeux.

« Au cours de chaque étude du CNNum, nous butons souvent sur l’incompréhension des questions numériques par nos interlocuteurs extérieurs, et leurs conséquences sur les décisions prises. Ces sujets numériques sont absents ou quasi absents des formations, initiales, continues, y compris dans les cursus les plus brillants. La compétence et les savoirs sont confiés à la curiosité et à l’expérience de chacun, créant des écarts problématiques et une sous-évaluation générale des dimensions critiques.
C’est pourquoi en tant qu’instance consultative indépendante, le CNNum s’est engagé dans le sujet de l’éducation, avec l’idée de confirmer l’école dans sa responsabilité d’une éducation numérique pour tous, permettant une initiation à des savoirs qui sont partie intégrante des savoirs fondamentaux, et ce, quelles que soient les trajectoires. Ce n’était du reste que répondre à la voie ouverte par la Loi de Refondation de l’Ecole de la République, qui a traité du numérique comme un des problèmes et une des réponses majeures. Cela nous a amenés à dégager les lignes de force d’une école juste, solidaire et créative, répondant aux caractéristiques du monde » Rapport sur L’Education et le Numérique – dossier de presse.

« S’il suffisait d’équiper les établissements et d’utiliser le numérique en classe, la question serait réglée depuis longtemps. Ainsi, les enseignants se sont-ils équipés en informatique et connectés depuis une quinzaine d’années, chez eux et par leurs propres moyens, en dehors de toute consigne ministérielle ; presque tous utilisent l’informatique pour préparer leurs cours, la grande majorité participe à des communautés d’enseignants en ligne, une bonne moitié échange avec les élèves en ligne. Les initiatives innovantes appuyées sur le numérique à l’Ecole se comptent par milliers. Le « conservatisme » des professionnels de l’éducation relève largement du mythe. Mais justement, ça ne suffit pas. Tout le système est concerné : l’équipement bien sûr, mais aussi le contenu des disciplines et des programmes, les méthodes d’enseignement, l’évaluation des enseignants, l’évaluation des élèves3, le fonctionnement des établissements, les relations entre acteurs de la « communauté éducative »… C’est toute la communauté nationale qui doit prendre la responsabilité de l’école de ce 21e siècle. » Rapport du Conseil National du Numérique sur l’Education et le Numérique

 Le Gypaète barbu.

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