Prof ? Moi ? Et puis quoi encore ?

A l’heure actuelle, face à la pénurie, associations de parents et chefs d’établissements recrutent des enseignants sur des sites marchands bien connus, voire à Pôle Emploi selon les recommandations des instances supérieures de l’Education Nationale (ministère, rectorats). 65000 postes supprimés ces quatre dernières années, baisse dramatique du nombre de candidats au concours, à ne pas couvrir parfois le nombre de postes offerts, sont à l’origine de cette pénurie.

Satisfait ou remboursé !

Mais, par contre, on trouve sur internet nombre de sites spécialisés dans le coaching scolaire, voire le coaching de jeunes professeurs en mal de formation, ce pour des tarifs de 600 à 800 euros la semaine de stage. A charge pour ces professeurs des écoles débutants de déduire cette somme de leur maigre salaire de 1350€ net, soit 1,3 fois le SMIC !!!

Voilà le type d’annonce qu’on peut trouver sur internet. Le professeur est donc devenu une marchandise comme une autre, proposé sur des sites marchands parmi les lave-linge, appareils multimedia et autres casseroles. “Qui veut son enseignant ? Propre sur lui (certains sites garantissent effectivement l’hygiène des professeurs qu’ils proposent !) ! Beau ! Compétent ! Remboursés et retourné sans frais s’il ne vous convient pas !” Eh oui ! On en est réellement là ! Ce n’est pas du tout une fiction. Pour un professeur qui sera rémunéré, lui, environ 15€ de l’heure de cours (combien donc pour l’heure de travail ?), temps et coût du transport de plus à sa charge.

La pénurie de candidats au concours

En 2011, le nombre de candidats présents au concours des écoles était la moitié de celui des candidats présents en 2010 et le tiers de ceux présents en 2009. Au CAPES (Certificat d’Aptitude à l’Enseignement Secondaire qui, suite à l’obtention du concours permet d’enseigner en collège et au lycée) de lettres modernes, le nombre de candidats est tombé de 6094 en 2000 à 1525 en 2011 ; et seulement 645 candidats ont été reçus alors que 800 postes étaient offerts ! Pour le CAPES de mathématiques les résultats sont encore pires : 1319 candidats présents en 2011 contre 6270 en 2000 et seulement 574 reçus pour 900 postes offerts ! Niveau oblige ! La constante et grave dévalorisation du métier et la constante et grave destruction pédagogique et intellectuelle menée depuis deux décennies, aurait donc ainsi un réel et grave effet pervers sur le recrutement. (source : Portail des IUFM : Statistiques des résultats aux concours externes de l’enseignement public)

Les démissions

1,6% chez les jeunes professeurs stagiaires selon la police le rectorat, 25% à 30% selon d’autres sources plus officieuses, parfois parues dans la presse. Impossible de connaître la réalité des chiffres. 50% des enseignants désireraient quitter l’institution, la plupart sachant qu’y étant entrés il est pratiquement impossible d’en sortir tant est grande la méfiance des entreprises face à ces personnes supposées incompétentes, feignantes et plutôt insoumises. Ces 50% sont tout à fait reconnus en ce qui concerne les agrégés (Figaro du 24/05/2010).    

D’ailleurs la société des agrégés a publié une enquête intéressante sur le malaise des enseignants. La première phrase de leur synthèse est la suivante : “Depuis plusieurs mois, la Société des agrégés de l’Université reçoit un nombre d’appels anormalement élevé de collègues qui ne voient à leur situation aucune autre issue que la démission. “
On trouve ensuite un constat qui ferait frémir n’importe quelle entreprise :
“45,6% des personnes que nous avons interrogées ont été tentées, une ou plusieurs fois, de démissionner et 73,6% d’entre elles envisagent, à plus ou moins court terme, une reconversion…
…Pourtant, les professeurs sont dynamiques, prêts à se former, à progresser et à profiter des opportunités de carrière quand elles leur sont offertes. Parmi les personnes interrogées dans le cadre de cette enquête :près d’un tiers ont mentionné être en thèse ou avoir obtenu leur doctorat ; 54,7% ont décidé, en cours de carrière, de repasser un concours ; 46,0% sont prêtes à reprendre des études en cas de reconversion.”

On est loin là de l’extrême caricature du professeur déprimé et fragile.

Les causes du malaise

Là encore l’enquête de la société des agrégés est très explicite. Les enseignants supportent très difficilement d’être traités avec mépris d’intellectuels alors que ce devrait être, mais n’est effectivement plus, le cœur de leur métier. Leur charge de travail ne cesse d’augmenter pour des activités qui ne sont absolument pas de leur ressort. Ils se sentent abandonnés alors même qu’ils vivent des situations de plus en plus difficiles.  Ils vivent assez mal la contradiction entre la réalité et le niveau de dévalorisation dont ils sont l’objet (salaire allant de 1.25 fois le SMIC à 2,3 fois le SMIC en toute fin de carrière pour un professeur des écoles ou un professeur certifié, image du professeur peu prompt à travailler là où il ne compte pas ses heures notamment).

“Se dessine donc l’image d’un professeur aimant son métier mais malheureux des conditions d’exercice qu’il subit. Sans illusions sur une profession qu’il n’a pas embrassée pour faire carrière mais choisie par goût pour l’enseignement et intérêt pour sa matière, il est dérouté par le manque de considération qui s’y attache.”

La réalité est qu’il est devenu totalement impossible pour beaucoup d’enseignants, surtout dans les lycées difficiles, d’exercer ce qui est fondamentalement leur métier : transmettre des savoirs et former des citoyens, c’est-à-dire des êtres libres et pensant. D’ailleurs on leur interdit clairement de le faire. Le métier d’enseignant devrait être au cœur de la démocratie. Etre plus ou moins conscient pour cet enseignant qu’on lui demande de faire l’inverse, et ce dans des conditions difficiles, lui est d’une manière ou d’une autre insupportable.

On demande en fait aux professeurs de n’être souvent que des éducateurs (voire éducateurs spécialisés) alors même qu’ils n’en ont pas la formation et qu’on leur en enlève tous les moyens. C’est ainsi que, dans ces lycées les plus difficiles, et ils sont de plus en plus nombreux, il est impossible de transmettre quelque connaissance que ce soit au vu de l’absence de maîtrise vraiment effrayante de la langue (la totale confusion au niveau du vocabulaire de base étant la plus caricaturale). Ajoutons qu’un professeur n’a en pratique plus aucun droit (cf. les nouveaux textes sur les sanctions). Il peut dans certains cas se faire insulter en permanence sans qu’il puisse vraiment réagir.  Il voit son propre savoir constamment remis en cause par les élèves malgré leur niveau. Il est livré au mépris parfois caricatural de sa hiérarchie, voire poussé à la démission par cette même hiérarchie (et c’est maintenant recommandé dans les textes réglementaires  eux-mêmes (système ECLAIR). Il est aussi livré de plus en plus souvent à la violence des parents et peut même se retrouver en correctionnelle pour une faute commise en fait par l’un de ses élèves. Alors il ne faut plus s’étonner !

Le mépris de la part de la hiérarchie ? Une simple historiette : celle de ce professeur plus qu’expérimenté cordialement invité par deux inspecteurs rencontrés par hasard dans un couloir à faire part de son avis sur les réformes qui venaient d’être mises en oeuvre ; dès le premier mot, “Excusez-moi je dois aller aux toilettes” dit la première ; “Excusez-moi, moi aussi” dit la seconde et de faire demi-tour sans autre forme de procès et sans aucune autre forme de politesse. “Fils de p…, fait ch… !” peut dire un élève à son professeur. “Je vais aux toilettes” disent les inspectrices !

Il est aussi par ailleurs très difficile pour un professeur d’entendre une personnalité politique, Madame Ségolène Royal en l’occurrence, affirmer clairement sur une chaîne radiophonique publique qu’il y en a assez que les professeurs ne travaillent que 17 heures par semaine et qu’il faudrait quand même les mettre enfin aux 35 heures ! Oubliez-vous vraiment, Madame, que le contrat d’un professeur prévoit 2,5 heures de travail pour une heure de cours ? Que son salaire est annualisé (payé 10 mois répartis sur 12) ? Que les vacances, de plus en plus nécessaires au vu des réelles difficultés du métier, sont prises en compte dans ce contrat ? Ou jouez-vous de la même démagogie malhonnête que vos collègues de l’autre bord ? N’avez-vous vraiment pas conscience des conséquences de votre discours ?

Pendant ce temps les Recteurs d’académie touchent des primes au mérite (jusqu’à 22000 euros) s’ils réalisent leurs objectifs, notamment de réduction de postes et de réduction budgétaire. (Libération société 20 décembre 2010 )

Suicides : la population la plus touchée, devant la police

Le 19 mars 2011, l’Express titrait sur l’un de ses blogs : Suicides : l’Education Nationale plus fort que France Telecom !

L’immolation récente d’une enseignante de Béziers n’a pourtant pas troublé plus que cela l’opinion publique, très vite rassurée par les affirmations mensongères de la hiérarchie, toujours bien sûr sur le thème de la personne fragile, malade pour tout dire, et suivie médicalement. Le geste d’une folle quoi ! Et pourtant…

Fou aussi, par exemple, ce directeur d’école retrouvé pendu dans sa classe et qui, dans une lettre à ses proches, fait part de son ras-le-bol et de son désespoir ?

39 cas de suicide pour 100 000 enseignants en 2002 selon une étude de l’INSERM ! Plus que dans la police elle-même ? Pourquoi, même si en France la première cause de mortalité des 15-45 ans est le suicide, pourquoi n’accorderait-on pas à l’Education Nationale ce qui a été accordé à France Télécom et ce qui est accordé à la police ?

L’omerta finit toujours par tuer.

De plus en plus de blogs, de collectifs, d’articles dans la presse (comme le Record du “sans maîtres” pour la France dans le Canard Enchaîné daté du 19 octobre 2011) ne suffisent pas au pays pour prendre conscience de la gravité du problème. Or les choses se paient déjà très cher, de par l’accentuation jamais connue de la ségrégation sociale et de par toute une jeunesse abîmée. Elle se paie et se paiera encore plus cher par la fin doucereuse, inodore et donc inconsciente de la démocratie.

Le Gypaète barbu

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