La rentrée 2013 a été largement médiatisée, notamment du fait de la bien marketée refondation de l’école. Une rentrée heureuse et pleine d’espoir comme le fait penser le dossier de rentrée produit par le ministère à l’attention de l’ensemble des enseignants, ce que la page de garde veut mettre en évidence de manière assez caricaturale.
Le texte, lui, outre l’insistance sur l’école primaire, les rythmes scolaires ou la formation des enseignants, reprend comme nouveautés de la rentrée 2013-2014 les grands thèmes mobilisateurs : école de la République censée refonder la République (« Une Ecole qui porte haut les valeurs de la République »), égalité des chances, promotion (seulement ?) de l’égalité entre filles et garçons, réussite pour tous, violence scolaire, etc. On peut le trouver dans son intégralité ici.
Les doutes
Sous le titre « La refondation de l’école n’aura pas lieu », Bruno Mattéi, Professeur honoraire à l’IUFM de Lille, affirme plutôt que le « renouveau éducatif relève, à l’examen, de la croyance aux vertus peu probables d’une pensée magique . » Et il ajoute :
« Car il aurait fallu pour être conséquent et crédible que l’aveu de notre persistante impasse socio-éducative soit fait. En lieu et place, on a une loi d’orientation de plus, précédée par une “concertation-vite-fait” qui livre un bréviaire de constats et de propositions pour la plupart déjà ressassés. Si on avait voulu refonder la chose éducative, il aurait dû être décidé de se donner le temps voulu d’un débat national où la société civile n’aurait pas seulement servi de faire-valoir. Soit le débat d’une communauté nationale qui aurait osé ouvrir au grand jour toutes les questions susceptibles de donner à comprendre pourquoi et comment une société et ses gouvernements républicains se sont dégagés de son école, ce lieu où devrait se constituer ce que Jaurès appelait ses oeuvres d’humanité première. » (Source)
Compétence, innovation et savoirs
Un point ressort clairement dans le dossier qui a souvent été soulevé dans cette chronique : le dogme imposant à l’école la nécessité de rentrer dans le moule de l’économie de croissance et donc de la compétitivité avec son très dangereux avatar qu’est l’évaluation par compétences. Là apparaît très clairement la fonction actuelle de l’école, qui est de fournir de « bons » consommateurs et des ressources humaines à l’économie plutôt que de développer des individus pensants.
Ce dogme est exprimé de manière très explicite dans le texte de loi :
« La France avec la refondation de son école se donne les moyens de répondre aux grands défis auxquels elle est confrontée : élever le niveau de connaissances, de compétences, accorder son niveau de croissance auprès de jeunes mieux formés… inscrire le pays sur les trajectoires de croissance structurelle forte pour une économie de la connaissance internationale. »
Il est beaucoup plus implicite dans le dossier de rentrée où on ne trouve que 8 fois le mot « connaissance » – et encore est-il lié aux connaissances liées à l’information ou à celles attendues par les professionnels – et deux fois seulement le terme de « savoirs » – et encore ne concerne-t-il pas ceux qu’on pourrait imaginer devoir être acquis par les élèves -. Il est à rappeler que le document fait 85 pages et plus de 26000 mots !
La formation même des futurs professeurs comme les niveaux actuels de fait de leur recrutement pose problème en ce sens. Les acquis disciplinaires sont certes soulignés mais ne sont plus prioritaires :
« L’objectif sera d’évaluer aussi bien les savoirs théoriques des candidats que leurs compétences professionnelles et de sélectionner ceux répondant à la fois aux critères de l’excellence disciplinaire et aux exigences en termes de préparation à l’exercice concret du métier. »
C’est louable. Mais qu’en sera-t-il de l’évaluation des savoirs si un étudiant peut passer le concours en première année de master ? Surtout compte-tenu du niveau des étudiants entrant en première année universitaire, possesseurs d’un bac qu’on connaît et soumis aux objectifs purement quantitatifs de 50% d’une classe d’âge au niveau de la licence ! Dans quel cadre de tels objectifs, légitimes par ailleurs, mais qui ont aussi amenés au second cycle et au baccalauréat qu’on connait, seront-ils poursuivis ? Auquel cas tout le discours sur la qualité tombera de fait.
On retrouve l’articulation autour des compétences dans les différents rôles assignés au nouveau Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative (Cnire) officiellement installé le 19 avril denier. On y retrouve les poncifs qui traînent depuis quelques décennies dans notre monde économique : compétence et innovation :
« 3. La fabrique de la compétence : comment développer la compétence ?
Les acquis de la recherche internationale montrent le lien étroit entre l’amélioration de la réussite de tous les élèves et l’investissement durable dans le développement professionnel continu des enseignants. Le groupe de travail « compétence », à partir d’études de cas repérés et d’analyses documentées par la recherche, s’attachera à identifier les conditions, environnements et dispositifs les plus propices, les pratiques les plus efficientes en matière de formation reconceptualisée, rénovée, refondée. Les réflexions se structureront autour de plusieurs questions suivantes : la place de l’innovation dans la formation initiale et continue des enseignants et des autres acteurs de l’innovation, les modalités d’accompagnement des équipes, ou encore l’articulation entre pratiques pédagogiques (notamment en matière d’évaluation des acquis des élèves) et autoévaluation des unités éducatives. »
Et la définition faite de l’innovation vaut aussi son pesant d’or quant à la négation des savoirs :
« À l’issue de son installation, le conseil s’est doté d’une définition collective de l’innovation.
Une pratique innovante est ainsi une action pédagogique caractérisée par l’attention soutenue portée aux élèves, au développement de leur bien-être, et à la qualité des apprentissages. En cela, elle promeut et porte les valeurs de la démocratisation scolaire. »
Là encore, s’il est absolument nécessaire de trouver des méthodes pédagogiques en accord avec l’évolution des élèves et l’évolution des savoirs et des techniques du numérique, il y a quand même lieu de s’interroger sur l’orientation donnée à ce nouveau conseil, en résonance avec les priorités établies tout le long du dossier.
Certes, il n’est pas question de sacraliser l’école en un lieu à part de la société. Et l’humanisme est d’ailleurs sans doute mort. Mais la refondation de l’école n’a-t-elle pas une vraie chance de revalorisation de l’humain et des savoirs plutôt que de risquer de continuer à perdre son âme ? La refondation, n’est-ce pas l’occasion d’une vraie réflexion ?
Les grandes affirmations du type « Notre ambition : refonder l’École de la République – La loi du 8 juillet a été votée et promulguée. C’est à présent dans les classes que se joue la refondation. – Ses objectifs : permettre aux élèves de mieux apprendre, pour qu’ils puissent tous réussir, et former les citoyens de demain. » ne changent rien quant à ce que donne à voir la refondation quant à la continuité de l’approche économique de l’Ecole, dans l’omerta de certaines de ses réalités.
La chanson de la réussite
En réponse aux différents constats affirmés de l’échec du système éducatif (attention cependant aux critères utilisés dans les systèmes internationaux de classification), le dossier de rentrée est empli du discours sur la réussite. Celui-ci, tout en incluant quand même encore la réussite scolaire, présente comme grand objectif la réussite éducative. On peut d’ailleurs se demander où est l’échec tant cité du système si on regarde les taux affichés de réussite au bac : 86,8% !!! La réponse a été en grande partie dévoilée dans les chroniques précédentes. Une autre réponse se trouve dans la lecture des copies d’examen (et pas seulement du bac). Mais là où règne la loi du silence, pas question d’aborder la réalité. N’y-a-t-il tout de même pas là un évident tissu de contradiction dont il serait impératif de sortir, quitte à délaisser les pages et les pages de discours plus ou moins technocratiques ?
La palme d’or de la rentrée
La palme d’or de l’analyse la plus inepte de la rentrée est attribuée à … Luc Ferry pour son : « Pour que l’enseignement fonctionne, il faut que l’éducation l’ait précédé. »
S’il est vrai qu’il est insupportable pour un enseignant de s’entendre dire « Je ne vous ai pas parlé, alors pourquoi vous me parlez, vous ? » et autres banalités du même genre, de vivre au milieu de l’agitation, des rires, du déni de l’autre et de la remise en cause des compétences et du travail, il n’en reste pas moins que de vraies analyses doivent être menées si on veut résoudre tant soit peu les problèmes. Et ce n’est pas en se contentant de mettre Bourdieu à la poubelle que cela se fera.
L’Education Nationale a besoin avant tout de vraie parole.
Le gypaète barbu