La Parisienne libérée face à Vincent Peillon
Présentation du rapport sur la refondation de l’école, discours du Président, débat avec le ministre de l’Education Nationale sur Mediapart etc., le paquet médiatique est assez conséquent. « Refonder l’école pour refonder la république » affirme le ministre.
Refonder : donner de nouvelles fondations ou réformer ? Une énième réforme changera-t-elle les choses ou faut-il tout reconsidérer, c’est-à-dire construire avec ambition un tout nouveau système après tant d’années de destruction systématique du système scolaire ? Apparemment le nouveau gouvernement est attaché à reprendre les choses aux deux extrémités : école maternelle et primaire d’un côté, formation des enseignants de l’autre. Et on ne peut qu’être d’accord avec le nouveau ministre lorsqu’il affirme que tout prendra du temps.
L’hyperactivité n’est effectivement plus de mise au vu de la gravité de la situation et si on peut éviter la prescription de ritaline c’est aussi bien.
Mais beaucoup de questions restent en suspens : qu’en est-il de la question des savoirs ? de la survie de l’enseignement technologique, lié à celui de l’enseignement professionnel, notamment avec la notion de pôles et de lycée des métiers ? du système ECLAIR, ou de pratiques apparentées, dans un non-dit bien managérial (des proviseurs se voyant chefs d’entreprise se réclamant même de pouvoir embaucher et licencier à leur aise) ? donc de l’organisation générale du système ? Il ne faudrait pas que, si elle prend tout son sens en parlant de l’école primaire, c’est-à-dire des fondations, cette refondation cache une absence d’ambition, voire une absence de transparence. Gardera-t-on les 3 étages (primaire, collège, lycée) ? Ou aura-t-on enfin le courage d’un projet de modification essentielle avec un tronc commun en continuité jusqu’au lycée et une vraie sélection basée sur une vraie orientation, de vraies compétences et de vrais désirs, correctement estimés et réellement pris en compte, pour la continuité des études ? Qu’en sera-t-il de l’e-école dont on entend tout juste parler ? Qu’en sera-t-il des 50% d’une classe d’âge au niveau licence ? Fera-t-on comme pour le baccalauréat, avec des enseignements à plusieurs vitesses, un examen à deux ou trois vitesses avec mensonges sur la réalité des résultats et omerta sur la manière de les obtenir ? Et que faire de cette génération actuellement en lycée, dont on sait pertinemment qu’une grande partie est en grande difficulté et en grande souffrance ? Doit-on la sacrifier sur l’autel de l’avenir ? Les vraies questions sont-elles réellement posées ? Evaluation, écoles de formation des enseignants, redoublement etc., s’ils constituent des thèmes réels et qui doivent être résolus, ne sont-ils pas par ailleurs des arbres qui cachent la forêt ? Peut-on rompre enfin l’omerta ?
Vous dites, Monsieur le Ministre : « Rien ne sera oublié. » Fin du néolibéralisme à l’école ? Fin des labellisations ? Chiche !
Quelques réflexions sur les différents discours
La question du savoir et de sa marchandisation à travers l’école
Si le terme de savoir est glorieusement mis en avant, la question n’est pas pour autant réellement soulevée. Les dernières réformes concernant le lycée, apparemment conservées, ne sont pas obligatoirement remises en cause sur certains points. Pourtant elles portent aujourd’hui essentiellement en elles la destruction des savoirs, notamment par l’incohérence totale des programmes, le poids donné à la forme et au divertissement contre le fond et la démarche intellectuelle (pédagogie marketing destinée à « intéresser les élèves » !). Mais par qui sont fait ces programmes aujourd’hui ? Même le ministre ne le sait pas. On comprend mieux alors. Quelle cooptation, pour quelle idéologie ?
Il ne s’agit pas là de dénigrer de nouvelles approches pédagogiques (Travaux Personnels Encadrés ou Activités Interdisciplinaires par exemple) mais, au contraire, de vouloir en faire des éléments d’une nouvelle intelligence et d’une nouvelle acquisition de savoirs. L’outil n’est pas mauvais ; c’est son utilisation qui est délétère. L’évaluation qui en est faite notamment, par ses objectifs mêmes, parfois essentiellement formaliste et dénuée de réel fond, pervertit gravement tout le système.
A propos du socle commun de compétences : « Il faut dire ce que la nation souhaite pour tous ses enfants : en termes de connaissances, ce n’est pas honteux …. » (Vincent Peillon dans son débat à Médiapart). Voilà qu’un ministre se voit obligé de préciser qu’acquérir des connaissances n’est pas honteux. Voilà qui en dit long sur l’état de l’école et sur celui de la société !
Remédier aux inégalités.
« Avec les travaux de Bourdieu et de Passeron, on avait la connaissance d’un système scolaire qui reproduisait les inégalités. Aujourd’hui, non seulement il les reproduit … mais, ces dernières années, il les accroit…. Pour les enseignants c’est le début d’une crise morale et intellectuelle, pour les républicains aussi, profonde de voir que l’école n’arrive pas précisément à assurer cette égalité. » Vincent Peillon sur Médiapart. Monsieur le Ministre se trompe. Une telle crise ne touche pas, loin de là, tous les enseignants et encore moins les personnels de direction, fonctionnaires souvent trop obéissants, voire consciemment participants.
« L’école française ne progresse plus pour tous mais, de façon plus alarmante encore, elle laisse sur le bord du chemin un nombre grandissant de jeunes issus des milieux les plus fragiles socialement. Si la France a d’une certaine manière réussi la massification de l’éducation – c’est-à-dire l’ouverture de son école de la scolarité obligatoire à tous les jeunes d’une génération – elle n’est parvenue que partiellement à sa démocratisation. Les résultats scolaires restent encore trop corrélés aux milieux sociaux d’origine. La France est l’un des pays de l’OCDE où le facteur socio-économique est le plus déterminant dans la réussite des élèves. Cette prégnance du déterminisme social, plus marquée qu’ailleurs et qu’il y a dix ans, illustre l’écart croissant entre les grands principes républicains et les réalités du terrain.
Les inégalités scolaires se dessinent dès la maternelle et sont établies dès le CE2 par les enquêtes nationales. Ces inégalités précoces sont à la base des disparités scolaires que l’on observe dans toute la suite de la scolarité. En dix ans, notre École est devenue plus injuste socialement. » Rapport de concertation
Il est bien de l’affirmer. Mais a-t-on déjà oublié les analyses proposées il y a maintenant un certain nombre d’années ? Il est bien de relire ou de lire Stéphane Beaud : 80% au bac… et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire(Editions La Découverte – 2004) et la suite toujours aux Editions de la Découverte : « Pays de malheur ! » Un jeune de cité écrit à un sociologue Younes Amrani, Stéphane Beaud
Qu’en est-il aussi des inégalités créées au niveau des différentes filières ? Il n’y pas si longtemps, l’enseignement technologique permettait à beaucoup d’élèves de prendre en marche l’ascenseur social. Depuis quelques années, on a coupé les câbles de la machine. Rien n’est dit sur le sujet, ni analyse, ni propositions. Apparemment les réformes récentes ne sont pas mises en cause. Il est vrai que certaines filières en ont connues 2 en ces trois dernières années ! Mais ces filières jouent actuellement à plein leur rôle ségrégateur même si l’incohérence et l’organisation des programmes marketés se retrouvent aussi dans la filière S, de manière très caricaturale, par exemple, en SVT.
Mais la refondation de l’école ne touchera pas au lycée : « La majorité des participants à la concertation n’a pas souhaité remettre en cause la réforme en cours dans les voies technologiques et générales . » Refondons l’École de la République (Rapport cité).
Les redoublements
Le redoublement serait une caractéristique du système français. L’est ou l’a été ? Dans quelles conditions ? Avec quelles inégalités ? Où ? A l’école primaire ? Au collège ? Au lycée ? La question n’est pas aussi simpliste que d’aucuns voudraient le dire. Comment, dans ce cas, des classes entières de terminale pourraient ne pas savoir la différence entre une addition et une multiplication, seraient incapables d’effectuer une division simple (60 divisé par 3 par exemple, cas malheureusement bien réel, mais ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres) ? Et n’a-t-on entendu qu’une seule fois en conseil de classe de seconde : « si vous ne les laissez pas passer, vous n’avez qu’à chercher un autre travail ! » (sous-entendu, et c’est aussi une réalité, on ferme et vous êtes à la porte). Comme le passage de première en terminale est de droit… D’où les problèmes cités plus haut. Cela rejoint aussi une autre injonction, parfois tout à fait explicite : « Un fonctionnaire ça se tait et ça obéit. Si vous n’êtes pas content, faites autre chose. » Comme il y a 70 ans ? Et les enseignants doivent accepter des élèves qui n’ont jamais eu à faire preuve d’acquis précédents et qui passent systématiquement, accumulent des lacunes telles qu’il est impossible de progresser, ce qui est particulièrement visible dans nos disciplines scientifiques, plus dissimulable dans les autres.
Ne pourrait-on pas, par contre, mettre en place des possibilités pour chaque élève d’aller à un rythme différent pour chaque discipline, par le biais d’unités capitalisables permettant à chaque élève d’aller à son rythme suivant ses propres difficultés ? Un examen de fin de collège, par contre exigeant, portant sur ces unités capitalisables non compensées permettrait sans aucun doute d’éviter échecs et souffrances liés à la perversion du système actuel. C’est ce que propose Philipe Meirieu (L’école, le numérique et la société qui vient – Denis Kambouchner, Philipe Meirieu, Bernard Stiegler, Julien Gautier et Guillaume Vergnes -Mille et Une Nuits ED. – janvier 2012 – p.85)
Formation et recrutement des enseignants
Le métier d’enseignant est avant tout un métier de soin. C’est cela qui a été détruit. C’est cela qu’il faut réhabiliter.
Cela dit, il est bien évident que, surtout actuellement, le métier d’enseignant doit s’apprendre différemment, loin des systèmes de cooptation intellectuelle ou idéologique (matérialisés par les concours) qui ont prévalus jusque là. Une vraie professionnalisation, intégrant bien d’autres aspects qu’un savoir purement académique qui a perdu sa primauté ou un discours technocratique autonomisé (le référent bondissant remplaçant le ballon -vrai !-, l’apprenant remplaçant l’élève comme le quatrième âge remplace le vieux ou le non-voyant l’aveugle), reste une obligation première. Il n’en reste pas moins que la crise du recrutement pose un problème dont les éléments, là encore, font l’objet d’un silence coupable. Une seule question : comment se fait-il que des jeunes ne se tournent pas vers le métier, en cette période de crise et de chômage accru, alors que ce même métier assure quand même un salaire et une sécurité de l’emploi ? Même s’il y faut ne pas penser et être obéissant. Comment se fait-il que, faute du niveau requis, il ne soit pas possible d’attribuer tous les postes mis au concours , dans des disciplines comme les mathématiques ou le français ? Réponse ?
Bien d’autres aspects pourraient être abordés, tellement la tâche est immense : notation des élèves et confusion des genres, mal-être surtout, des élèves comme d’un certain nombre d’enseignants, innovation individuelles et solutions individuelles souvent intéressantes, qui pourront faire l’objet de chroniques ultérieures.
L’école n’a pas besoin d’une réforme, elle a besoin de rompre totalement avec plus de vingt ans d’orientation voulue vers les inégalités et de destruction des savoirs et de l’intelligence. On attendrait dans ce sens que cesse l’omerta et que soit donné à tous un véritable espoir. C’est, finalement l’enjeu fondamental d’une démocratie à retrouver voire à refonder, au-delà d’une simpliste approche de remise en place d’un morale laïque dont, pourtant, la nécessité actuelle devrait être sérieusement analysée. Notamment en fonction des rancœurs qu’ont pu créer échec et inégalités organisés.