De l’école au lycée, donner du temps au temps

@azam Source de l’image

Le temps à l’école

Le nouveau ministre de l’Education Nationale a annoncé, le 17 mai dernier, son intention de revenir à la semaine de 5 jours à l’école primaire, selon les incessantes recommandations des chronobiologistes. Deux semaines entières de vacances à la Toussaint, fin de la semaine de quatre jours à l’école primaire. Les choses changent et l’élève est enfin pris en compte dans les deux dimensions de santé et de réussite scolaire. Même si une telle volonté va nécessairement se confronter aux contraintes économiques et sociales (ne serait-ce qu’au niveau des collectivités locales) , on peut espérer la recevoir comme une volonté plus large de la refondation de l’école dans son ensemble.

Le temps nié du lycée

Si la question des capacités d’attention et celle de la fatigue des élèves est largement posée, et depuis longtemps pour l’école, elle n’est guère, voire jamais, abordée en ce qui concerne le lycée. Si on peut être d’accord que, dans la situation de déliquescence actuelle de l’institution, il est impossible de penser une refondation de l’ensemble du système sans commencer par l’école, il serait pourtant aussi utile de poser la question du temps au collège et, surtout, au lycée.

Au collège, les élèves subissent entre 25 et 28 heures 30 de cours et le problème de la refondation du collège se pose sous des aspects bien plus globaux et massifs que celui de l’aménagement du temps.

Au lycée, selon les textes réglementaires, le durée hebdomadaire de travail doit, selon les options et les sections, être comprise entre 30 et 40 heures, pour une durée annuelle de 36 semaines. Il est quand même remarquable de trouver un chiffre de 40 heures de cours dans les textes officiels à l’heure des 35 heures de travail pour les adultes  !!! Si on ajoute le travail personnel demandé, nos élèves devraient alors faire plus de 50 heures, voire 60 heures par semaine ?

Par ailleurs, en se penchant sur la répartition annuelle, on compte 14 semaines réelles de septembre à Noël, 12 au 2ème trimestre et 6 au plus au troisième trimestre, hors examen, les conseils de classe ayant lieu la première semaine de juin. Cela donne donc 32 semaines effectives, sans compter les traditionnels jours de congé, voire ponts, du mois de mai. On voit donc qu’à la fin du premier trimestre l’année scolaire a déjà été effectuée pratiquement pour moitié.

La répartition dans la journée vaut elle aussi son pesant d’or. Les cas qui suivent sont loin d’être rares : 8 heures de cours dans une journée se terminant parfois par la discipline la plus difficile, 5 heures d’affilée, présence au lycée pouvant aller jusqu’à 10 heures dans une même journée, parfois plusieurs heures dites de trou, organisation de l’emploi du temps obligeant. Mais comment un élève de 15 ou 17 ans peut-il être encore intellectuellement mobilisé à 17h00 après plus de 7 heures assis à une table ?

Constatation découragée d’une élève de première en section scientifique, musicienne par ailleurs : « quand j’ai suivi 8 heures de cours dans la journée et que j’ai passé une heure et demie à ficher mes cours, sans compter les devoirs, je n’ai vraiment plus le courage de me mettre à mon instrument ».

Mais qu’en est-il alors, dans d’autres milieux autrement défavorisés, lorsque certaines élèves, filles bien sûr, passent de 1 à 4 heures par jour aux courses et aux travaux ménagers (travail sur la gestion du temps auprès d’élèves de seconde dans un lycée de la banlieue parisienne en accompagnement personnalisé) ? Et qu’en sera-t-il des heures de transport à rajouter si le nouveau gouvernement maintient l’objectif, encore officiellement inavoué, de créer des pôles d’enseignement (deux ou trois par département ?) dans l’optique des Lycées des Métiers actuellement déjà en œuvre ?

Non, la fracture scolaire actuelle, qui s’appuie sur et renforce tellement les inégalités sociales, n’est pas prête d’être comblée !

Temps nié,  temps perdu.

En même temps que l’approche « fun » des programmes (en quoi consiste la pédagogie-marketing actuellement très pratiquée)  règne l’immédiateté, et ce depuis nombre d’années. Immédiateté de la compréhension, par exemple. C’est la grande demande des élèves, soutenue par le discours souvent pervers de l’institution : on ne peut apprendre sans comprendre. Comme si comprendre, c’est-à-dire devenir plus intelligent, pouvait éluder la question étymologique du lien (comment faire des liens entre rien et rien ?). Ne faut-il pas, au contraire, apprendre pour comprendre ? La pédagogie marketing détruit ce temps de la compréhension en détruisant le temps de l’apprentissage.  La structure même de certains programmes inverse totalement toute démarche intellectuelle. Il suffit pour s’en rendre compte de jeter un coup d’œil sur ceux de Sciences de la Vie et de la Terre de la seconde à la terminale  ou, a fortiori, ceux de biologie humaine des classes de première Sciences et Techniques Sanitaires et Sociales qui sont ce qu’il y a de plus caricatural et de plus pervers en la matière. « On fait tout à l’envers, cela n’a aucun sens,  je n’y comprends rien » disait très récemment une élève de terminale S à propos de son cours d’immunologie. Un quart d’heure pour tout remettre à l’endroit et « Ah oui, bien sûr, là je comprends ! ».

Temps des fondamentaux et projection dans l’avenir

Apprendre des fondamentaux (savoir ce qu’est un ADN avant de savoir faire un séquençage protéique par exemple), c’est accepter de projeter dans l’avenir une compréhension qui d’ailleurs n’arrivera jamais en totalité, puisque toute connaissance amène avec elle son lot de questions. C’est donc, finalement, savoir attendre c’est-à-dire fondamentalement désirer. C’est donc ce désir même que l’institution concourt à détruire, sur le modèle du marketing et des industries de programme dont a parlé Bernard Stiegler.

Un apprenti musicien ne peut pas interpréter un morceau, s’il commence par le jouer vite en le déchiffrant. L’approche d’une œuvre demande le temps du travail lent, mesure par mesure. Vient ensuite le temps de la vitesse, si nécessaire, et celui de l’interprétation, c’est-à-dire de l’âme.

Un certain type d’enseignement, éludant le temps réel du travail, détruit donc l’âme, c’est-à-dire la construction critique d’une pensée individuelle. En ce sens là il impose de fait la passivité au même titre que la télévision. Éluder ce temps, c’est donc remplir des têtes d’un magma confusionnel plutôt que de produire des têtes bien faites.

Démocratie, où cours-tu donc ?

Le temps à retrouver

Que nous montre l’exemple finlandais si cité en référence actuellement ? Tout d’abord que la pression de la performance semble ne pas y exister comme en France, où tout est basé sur une note autonomisée et dépourvue de sens et non sur ce qui a été appris, sur le gain d’intelligence. Ce n’est pas que de l’énergie qui est libérée ainsi. C’est aussi du temps, temps donné aux plus lents à un moment donné, temps de décontraction pour les plus rapides. Mais, apparemment, ce n’est pas seulement le temps qui importe, c’est surtout ce qu’on en fait. Les modules semblent ne pas sacrifier une approche fondamentale. Les relations élèves-professeurs sont totalement différentes et la bonne distance n’y est pas évaluée à l’aune de l’autorité, du tutoiement de l’élève et du vouvoiement du professeur, ni de l’heure de colle. Par ailleurs de vrais conseillers, bien formés, sont six fois plus nombreux qu’en France. Là encore, du temps est donné. Mais, en fin de compte, la vraie différence est dans la place de l’enfant dans le système comme dans la société.

Par contre, poursuivre dans une voie demande d’avoir des acquis, chose très largement oubliée ou déniée chez nous. En France, un redoublant, par exemple, peut passer systématiquement dans la classe supérieure, quel que soit son niveau. Continuer une scolarité sans avoir acquis les notions nécessaires pour la suite n’est pas un gain de temps, mais une perte de temps. Or ce peut être, parfois, le cas de classes entières. Et pourtant il serait bon de redonner ce temps de l’acquisition, d’une manière ou d’une autre. Supprimer bêtement les redoublements élude les vraies questions, fausse complètement le débat et rend malheureux des jeunes qui ne peuvent qu’éprouver une sentiment de dévalorisation à ne rien comprendre à ce qui est dit et à passer jusqu’à cinq années dans un lycée (deux classes de seconde, une classe de première et deux classes de terminale) en encaissant constamment des moyennes générales de 4 ou 5 pour les cas les plus marquants.

On pourrait donc penser non pas à augmenter le temps de cours mais au contraire le diminuer. Cela impliquerait par contre de refondre complètement les programmes et d’arrêter de servir une soupe destructrice en notions et en langage (il n’est pas rare que des classes entières disent ne pas comprendre les mots utilisés dans leur manuel et soient incapables d’en saisir les notions, sans que ce soit là de leur faute).

Bref, il faut redonner aux élèves le temps de la construction, de l’élaboration de la pensée. Cela implique donc aussi de ne pas leur en refuser les moyens intellectuels.

Le temps du traitement, le temps de la convalescence

Mais ne nous leurrons pas. Réparer, en l’état actuel des choses, pour une grande majorité de la population scolaire, les dégâts causés par au moins deux décennies d’activité institutionnelle prendra du temps. Comme en nutrition on ne répare pas des carences protéiques lourdes en deux jours,  la remise en œuvre de connections synaptiques, dans un cadre sociétal défavorable, ne peut pas être un projet à court terme. Les entraîneurs sportifs savent très bien combien il est difficile de désapprendre les mauvais gestes pour réapprendre les bons. La réalité d’un temps ne doit pas bloquer l’action et rendez-vous dans dix ans.

Le Gypaète barbu

Quelques liens :
Rapport d’orientation sur les rythmes scolaires

Hubert MONTAGNER ancien Directeur de Recherche à l’INSERM sur la semaine de quatre jours (2008)
L’enquête Emploi du temps 2010 réalisée par l’Insee

.

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Protected by WP Anti Spam