A propos du décret du 7 mai sur l ‘évaluation des enseignants.
Source de l’illustration
Le 7 mai, le lendemain donc d’une élection présidentielle voyant un changement de Président, paraissait au journal officiel le décret n° 2012-702 portant « dispositions statutaires relatives à l’appréciation et à la reconnaissance de la valeur professionnelle de certains personnels enseignants, d’éducation et d’orientation relevant du ministre chargé de l’Education Nationale ». Ils n’ont pas pu s’en empêcher ! Malgré une opposition généralisée ! On en trouvera le texte intégral ici.
Cela friserait le ridicule. Comme ce dernier ne tue pas, Luc Chatel survivra ! Mais quel déni de démocratie, comme le souligne avec juste raison Jean-Louis Auduc, ancien directeur d’IUFM sur le site du Café Pédagogique : « Quelle singulière conception de la démocratie que de publier durant la période de transition et de passation de pouvoir entre le président sortant battu et le président nouvellement élu, un décret qui a été repoussé par toutes les instances de l’Education nationale auxquelles il a été soumis ! »
Heureusement, Vincent Peillon assure que ce décret sera immédiatement abrogé.
Pourquoi faut-il effectivement l’abroger ?
Contrairement à ce que certains pourraient penser a priori ce n’est pas seulement pour une approche corporatiste (baisse consécutive de fait du pouvoir d’achat, devoir de soumission, gestion managériale avec objectifs (voir la chronique du 4 février 2012 Le véritable enjeu de l’autonomie des établissements scolaires). En effet, derrière une mesure qui pourrait paraître ne concerner que les personnels en interne, apparaissent des enjeux de société considérables. Et c’est de cela dont il faut prendre conscience.
Ce qui est en jeu, c’est toute la conception d’un métier d’enseignant dont beaucoup s’accordent à dire qu’il en est à sa mort en tant que tel. Ce qui est en jeu c’est le grand renforcement de fait des inégalités sociales dont on sait qu’elles n’ont fait que croître de manière extrêmement importante ces dernières décennies et plus particulièrement ces dernières années. C’est institutionnaliser cet état de fait en laissant libre-court à la démagogie locale la plus délétère dans les établissements les plus sensibles, sauf à ce que des équipes particulières s’y refusent. Mais il faudra certainement les compter sur les doigts d’une main au regard de ce qui se fait actuellement, sauf nouvelles directives ministérielles à vraiment souhaiter.
Le grand risque, qui n’est déjà plus tout à fait un risque mais déjà une réalité, c’est d’adapter contenus et méthodes au niveau extrêmement problématique des jeunes des établissements défavorisés, voire moyens, plutôt que de se donner des objectifs clairs, intellectuellement et socialement exigeants et, donc, les moyens d’y parvenir. Actuellement, dans les établissements dits difficiles, la problématique principale, clairement exprimée, est de garder les élèves en classe quel que soit ce qui s’y passe, dans un déni absolu, ce qui rend maintenant le métier insupportable à beaucoup. Les jeunes ne doivent pas être dans la rue (police et Education Nationale, là, se rejoignent dans la nécessité de scolarisation), et comme il n’y a pas de personnel de surveillance, ils ne doivent pas traîner dans les couloirs !
Le système d’évaluation proposé dans le décret du 7 mai ne permettra pas à une personne de s’opposer par sa pratique à un tel niveau de dégradation, sauf à y perdre salaire voire sa situation, puisqu’il pourrait, selon le système ECLAIR, être poussé à la démission. Une évaluation de ce type là est déjà pratiquée au baccalauréat dans certaines sections, où les inspecteurs demandent à chaque correcteur de remplir nommément un tableau préalablement établi par eux, où les notes sont reportées candidat par candidat et sous-question par sous-question. L’évaluation du niveau des élèves (qui permet quand même de fixer les notes à remonter pour atteindre le pourcentage de réussite fixé au préalable) n’est bien sûr qu’un prétexte.
Il ne s’agit pas bien sûr pour les enseignants de se soustraire à l’évaluation, mais de refuser une évaluation qui ne sert qu’à repérer et à favoriser les éléments les plus dociles dans un contexte général de dégradation intellectuelle !
Quelques éléments de décryptage du décret.
La base, toujours l’idéologie d’une approche managériale :
« Le décret modifie chaque statut particulier pour mettre fin au système de notation, au profit d’un dispositif d’appréciation de la valeur professionnelle fondé sur un entretien professionnel triennal. Cet entretien est conduit par le supérieur hiérarchique direct et donne lieu à un compte rendu qui peut faire l’objet d’une demande de révision.
Pour les personnels exerçant des fonctions d’enseignement, d’éducation ou d’orientation relevant de l’enseignement scolaire, l’entretien est réalisé sur la base d’une autoévaluation…»
Apprécier la valeur professionnelle ! Sur la base d’objectifs décidés par un chef d’établissement libre de fixer la lettre de mission de l’enseignant et qui aura enfin les moyens de se comporter comme un vrai patron, comme certains le souhaitent. C’est ce que sous-tend le témoignage de ce chef d’établissement :
« Comme enseignante, j’avais pu voir combien le devenir d’un établissement, le quotidien des professeurs, le parcours des élèves étaient liés au projet d’établissement. A l’impulsion donnée par le proviseur, à la confiance qu’il sait – ou non – instaurer. Cela m’a attirée, et l’évolution du système, qui donne de plus en plus d’autonomie aux établissements, a accru ma motivation.
Les dernières réformes, comme celle du lycée, donnent de très grandes responsabilités aux chefs d’établissement sur le plan de l’ingénierie pédagogique – l’organisation des enseignements, l’accompagnement personnalisé -, comme sur celui de l’accompagnement des personnels – la fameuse responsabilité dite managériale. » in Le Monde du 10 mai 2012
Autoévaluation ! Ai-je ou non rempli les objectifs qui m’étaient fixés ? Mais quels objectifs ? Cela montre une totale méconnaissance ou, pire et c’est bien le problème, un total déni de la fonction d’enseignant. Et cela marque bien la transformation radicale de ce métier si soulignée parce que si désirée depuis si longtemps.
L’argent, toujours l’argent !
« Par ailleurs, les grilles d’avancement d’échelon du premier grade des différents corps concernés sont modifiées en profondeur : le système d’avancement « multi cadencé » actuel (au grand choix, au choix, à l’ancienneté) est remplacé par un dispositif d’attribution de réductions ou de majorations d’ancienneté, par rapport à l’ancienneté exigée pour accéder d’un échelon à l’échelon supérieur. L’allocation des réductions d’ancienneté est établie en fonction des résultats de l’appréciation de la valeur professionnelle. »
Les calculs faits montrent que, outre qu’il ouvre la porte à toutes les petites compromissions (l’avancement dépend donc maintenant en partie du seul chef d’établissement), ce nouveau système d’avancement permet à l’Etat un gain financier non négligeable en rallongeant en fait les avancements de carrière, contrairement à ce qui paraît au vu d’une lecture trop rapide. Outre l’idéologie néolibérale de base, le motif budgétaire n’est donc pas absent. Il impliquerait pour les enseignants une nouvelle baisse de pouvoir d’achat, pourtant déjà plus que considérable sur les dernières décennies.
Une auto évaluation qui semble cacher beaucoup de choses !
En fait pas tant que cela pour qui sait lire et sait ce qui est déjà depuis quelques années en germe dans les établissements. C’est la réalisation du vieux désir de pouvoir mettre éventuellement au pas les indociles (si vous n’êtes pas content, vous n’avez qu’à partir entend-on d’ailleurs depuis 3 ou 4 ans). Soulignons quelques éléments de ce en quoi cette auto-évaluation consiste. Ils parlent par eux-mêmes.
« Celle-ci consiste pour l’enseignant à analyser et expliciter :
1° Sa capacité, en termes disciplinaires et didactiques, à faire réussir les élèves, dans le respect des programmes et des politiques éducatives ; (souligné par moi)
2° Son apport à l’amélioration de l’enseignement de la discipline dans l’établissement et à la diffusion des méthodes d’enseignement ;
...<
4° Sa participation à la qualité du climat scolaire dans l’établissement ; (sic ! et sur quelles bases ?)
... Pour chacun des critères d’autoévaluation énumérés aux 1° à 4°, l’enseignant précise les résultats obtenus au regard des objectifs qui lui ont été assignés. (également souligné par moi)
Il est question également de :
« … La manière de servir de l’enseignant ;
ainsi que des :
… «objectifs assignés pour les trois années à venir au regard de chacun des critères intéressés et les perspectives d’amélioration des résultats obtenus ; »
La manière se servir ! Un tel item résume à lui seul l’idéologie dominante ! Il s’agit bel et bien de marcher au pas ! Qui peut accepter en en sachant, en plus, toutes les conséquences ?
Le Gypaète barbu