Extrait d’un diaporama “futuriste”
Sous le slogan «Mulhouse c’est vous !», la ville accueillait «Libé» pour 2 jours de forum consacrés aux nouvelles formes de démocratie et de participation citoyenne. Je laisse de côté la question de savoir comment l’affaire s’est faite. Libération Événements était là en tant que prestataire de service, d’autres à la recherche de futurs marché. Quant au maire, depuis qu’il a été élu légitimement (il avait été nommé maire parce que l’ancien JM Bockel avait retourné sa veste et rejoint l’ancien président de la république après avoir fait partie du Comité de soutien de Ségolène Royal), il veut marquer un changement. Le jour même de la conférence de presse sur la tenue du débat était annoncée la venue prochaine à Mulhouse du bling bling en chef. Jean Rottner fait partie de son staff. Nous sommes néanmoins prié de croire au sérieux de l’opération. A qui d’ailleurs est destiné le laboratoire mulhousien ? Au bling bling en manque d’idées ou aux mulhousiens ? Ces interrogations ont d’abord pesé sur l’envie même d’y aller. Bien qu’ils aient été mis là pour servir de tête d’affiche, la présence de tous ces jeunes Cohn-Bendit et Finkelkraut n’était guère plus encourageante ni l’intitulé de certains débats franchement désopilants du genre la démocratie d’interpellation surtourt quand c’est surtitré Hep Mulhouse ! ou encore l’atelier Préparons la journée citoyenne. La journée citoyenne est chez nous l’équivalent des samedis communistes.
J’ai relevé bien sûr dans le programme du forum l’absence totale de Mulhousiens, ces brêles dont la notoriété n’est même pas parvenue jusqu’à Libération. A moins que…. Peut-être, sans doute aussi, ne fallait-il pas de concurrence à la seule présence mulhousienne qui vaille, le Maire lui-même, très occupé à se faire selfier avec tout ce beau monde.
«Mulhouse c’est vous !» voulait dire vous qui êtes dans la salle, les candides, nous nous sommes sur la scène.
On cherchait en vain de la culture dans le forum ainsi que de la profondeur historique comme s’il n’y avait pas quelque chose à refonder. A Mulhouse, en Alsace en général et bien au-delà sévit une grave crise symbolique. Comment comprendre autrement que l’on transforme une ville au passé industriel aussi riche que celui de Mulhouse en village pour cigognes ? La spécialiste de l’histoire mulhousienne, présente, a été réduite au rang de candide.
Je dis cela pour montrer qu’il y avait des choses à dire pour l’opposition socialiste au Conseil municipal plutôt que de centrer ses réactions uniquement sur la question du coût d’une telle opération. La question n’est pas tant combien ça coûte mais est-ce que c’est utile pour nous. Je crains bien que non. Accessoirement aussi, en filigrane, se dessine une autre interrogation : pourquoi le PS n’a t-il pas pendant les municipales – et avant – montré sa volonté participative ? Et où était-il pendant les deux jours de débats ?
Tout cela et d’autres choses pèsent sur la perception que l’on peut, que j’ai pu avoir de ces journées.
On aura compris que j’y suis allé tout de même, juste pour la séance d’ouverture et à celles consacrées aux potentialités du numérique.
En rentrant chez moi j’ai jeté un coup d’oeil sur twitter et je suis tombé sur ceci
J’avais bien fait de ne pas aller à ce débat-là. A propos, je trouve très démagogique cette façon de dire que les jeunes ont un problème avec la politique, avec la démocratie en faisant comme si les autres générations n’en avaient pas !
Première journée.
D’emblée, pour moi les choses étaient mal parties, Laurent Joffrin tentait pour les besoins du spectacle de construire une fausse alternative.
Résultat, l’opération a été déjouée et Finkelkraut a fait un numéro de charme à Taubira qui n’en revenait pas. Elle l’a tout de même renvoyé à son Platon à propos du mariage pour tous.
Joffrin en a sorti une autre pas piquée des vers : le problème de cette crise de la démocratie est que les gens ne veulent pas changer de système. Après cela, il venait nous prêcher la « révolution démocratique »(sic). Il me fournissait du coup le leitmotiv de ma propre interrogation. J’aurais voulu poser une question mais impossible. Bien évidemment cela n’avait pas été organisé pour et Finkelkraut était entre deux trains. Abrégeons.
La démocratie participative pour quoi faire ?
Ma question était la suivante : d’où vient ce qu’ils appellent une crise de la démocratie ? Nous est-elle tombée dessus comme un coup de tonnerre dans un ciel serein ? Qu’est-ce qui mine la politique ? Et j’aurais rappelé que pèse sur l’idée de participation un lourd passé. A Finkelkraut qui évoquait la nécessaire tenue de débat de haut-niveau, j’aurais pu dire que nous avions eu au moment de Maastrich un débat de haut niveau. Quel en a été le résultat ? La réponse au vote non a été d’imposer un vote oui. Il en va de même en Alsace où la population a rejeté la fusion des départements qui revient soudain par la petite porte. Quant à ceux qui ont voté Jean Marie Bockel soutien de Ségolène Royal, ils se sont retrouvé avec un retournement de veste et un secrétaire d’état de la pire droite. Je pourrais ajouter le Parc Steinbach, le blamage du Conseil consultatif du patrimoine mulhousien , etc…, bref un lourd passif qui n’incite pas à la confiance.
La séance suivante portait sur Open government, la démocratie du futur. Evoquant la notion de post-démocratie au sens où selon Wolfgang Streeck, ce sont les marché qui contrôlent et disciplinent les Etats et non l’inverse, j’ai posé la question du sens et des limites de la participation, quand on se retrouve devant de fausses alternatives où l’absence d’alternative. La démocratie participative pour quoi faire, choisir la couleur du tramway ? Quel est le sens du mot citoyen ? Et là il s’est passé quelque chose d’intéressant : tout en reconnaissant dans mon propos l’arrière plan dans lequel s’inscrit son discours, j’ai vu Benoît Thieulin du Conseil national du numérique rejoint par la représentante de la Commission nationale du débat public se métamorphoser quasi physiquement en détenteurs de pouvoir et à vouloir faire la leçon. Je dois sans doute les en remercier mais je n’ai rien retenu de ce qu’ils ont dit. Ils avaient cassé le fil. Derrière le numérique pointent les vieilles relations de pouvoir. C’est au moins une chose qui ne changera pas, me suis-je dit sur le moment. En fait, ce n’est pas tout à fait exact. Ce qui change, c’est la réponse que je suis entrain de faire et en mesure de publier. Ma question je le répète est : à quoi participe-t-on quand on sait qu’au bout il n’y a aucune influence sur les pouvoirs de décisions.
L’intérêt de prendre la parole est qu’évidemment des gens viennent vous voir après .Et c’est là que je me suis rendu compte que le présupposé qu’il y ait encore un désir de participation est peut-être une idée fausse. Ce désir a existé mais il a été cassé.
Samedi matin, à la Une du cahier Mulhouse du journal l’Alsace, je lis :« Jeunes cons et vieux cons, même combat ». Je me suis dit, tiens, ils parlent de Cohn-Bendit. Mais, non. Il s’agissait d’une initiative de Théâtre Forum dans un Centre socioculturel de Mulhouse. Une façon de faire un pied de nez confraternel à Libération ?
Deuxième journée
La deuxième journée a été différente. Moins de monde aussi. Normal :les agents municipaux très nombreux la veille ne bossent pas le samedi. Le forum avait attiré de nombreuses personnes intéressées par le monde associatif.
J’ai participé au débat sur La démocratie en réseau. Il y avait là le sociologue Dominique Cardon et le hacker Ohkin. Il y a été surtout question de l’Internet. Un certain vent mauvais souffle actuellement sur Internet où règne une nostalgie de ses utopies d’origine. Il y a aussi une tentative de reprise en main par ceux qui bénéficient de rentes de situation du monde analogique et qui voient leurs intérêts contestés par le numérique. Mais, affirme Dominique Cardon, cela reste une démocratisation de l’accès à la parole et il ne faudrait pas après l’affaire Snowden jeter le bébé avec l’eau du bain. Quand on parle de l’Internet comme outil ou des outils de l’Internet, il faut toujours aussi se demander s’il n’y a pas d’outils qui manquent ou qui seraient à créer, par exemple des outils de désautomatisation, de sérendipité, de possibilité de choisir une option poétique au lieu d’un option purement fonctionnelle… C’est ce que j’ai été amené à dire mais deux choses m’ont frappé dans les réponses faites à mes question sur les possibilité de reterritorialisation c’est que l’on ne croit pas ou très peu à une reterritorialisation et à la création d’un espace public numérique. Ohkin a été le plus catégorique : « La seule chose institutionnalisable, c’est permettre l’accès aux données pour les citoyens, a-t-il déclaré, ajoutant : « Je ne crois pas aux débats institutionnalisés sur Internet ».
Il me semblait nécessaire de contester cette idée qu’il n’y a rien à faire avec les institution car sans institution comment organiser un vivre ensemble par et avec le numérique. J’en était là jusqu’à ce que j’assiste à l’atelier sur la ville numérique et ses possibles qui s’est acharné à montrer que oui décidément il n’y avait rien à faire avec ce qui se concocte au sein de la municipalité. Entre un adjoint qui croit encore qu’Internet est un media et celui qui porte un T-shirt Facebook, au milieu un DSI-qui-ne-fait-pas-de-politique, il y avait de quoi flipper.
Car pour être cohérent je suis aussi allé à un atelier. Un comédien nous a lu un texte à se taper le cul par terre, une sorte de projection dans une ville qu’à la fin on ne pouvait qu’avoir envie de fuir, une ville du tout automatique sans problèmes sociaux, recentralisée, hiérarchisée, sans la moindre problématisation. Affligeant. D’un côté, on débat gentiment pendant que, de l’autre, la ville met en place des dispositifs sans la moindre discussion et participation des citoyens : smart grids pour le comptage de l’eau, dispositifs d’optimisation du trafic, accès wifi répandus dans la ville, dispositif IRI itinéraires et repères intelligents. Débattre de cela ? Pas besoin puisque c’est technique. « Tout ce qui est métier ne relève pas du débat public » a déclaré l’Adjoint au numérique. Le refus de considérer que les algorithmes ont aussi une dimension sociale et que c’est à leur niveau que devrait se faire la participation est riche de déconvenues. J’ai néanmoins fait deux propositions. La première consistait à demander la neutralité des élus politiques qui n’ont pas à aborder la marque Facebook sur leurs vêtements fussent-ils fabriqués en Alsace (C’est l’argument que l’on m’a retourné). J’ai également repris une suggestion déjà faite lors du débat précédent : imaginer une façon de rendre visible la collecte de données et de traces produites par les habitants lorsqu’ils circulent dans la ville.
En conclusion, je dirais que, avec ou sans numérique, le problème de Mulhouse reste le manque d’un peu plus de courage civique et d’ouverture à la critique de la part de ses habitants.
PS
On trouvera ici et là d’autres réactions.