Gaza et l’économie néolibérale de la violence en Israël

“(…) Gaza est ainsi devenu un véritable laboratoire d’expérimentation sur la misère humaine et sur le contrôle des populations « non désirables ». Laboratoire qui sert également à tester les techniques et armes développées par le complexe militaro-industriel. C’est ainsi que le gouvernement israélien relança l’économie propulsée par son secteur des technologies liées à la sécurité et à l’industrie de l’armement. Les Israéliens ont pris conscience de la « valeur » de leur expérience et savoir-faire en matière d’opérations militaires et policières dans un contexte post-9/11. Il en va de même pour l’armement testé sur des cibles humaines. Ainsi, à la question par le journaliste israélien M. Feldman « pourquoi une telle demande pour les armes israéliennes ? », le ministre de l’industrie israélien, M. Ben-Eliezer, affirmait « Si Israël vend des armes, les acheteurs savent qu’elles ont été testées. » Le journaliste demande alors si cette expérience avec la violence est liée à la croissance économique et le ministre répond : « cela génère des milliards de dollars ».

Cette économie de la violence retenue est basée sur un principe de modulation qui vise à éviter les débordements : des seuils à ne pas franchir sont déterminés pour maintenir un contrôle politique et économique efficace. Les dirigeants israéliens nomment « zone élastique de discrétion » cet équilibre dynamique. Des journalistes israéliens ont révélé l’existence d’un document appelé « Lignes rouges » qui établit une liste de ces seuils. Par exemple, le minimum de calories requises pour soutenir une population de 1.8 million de Gazaouis est réglé juste au-dessus de la définition du seuil de famine de l’ONU et la « zone de discrétion » est constamment réévaluée grâce à la surveillance permanente.(…)”

François-Xavier Plasse-Couture (Doctorant en Science Politique à l’Université d’Hawaii à Manoa, chargé de cours à l’université du Québec à Montréal et à l’Université de Sherbrooke)

Pour lire l’intégralité de l’article paru dans Le Monde du 8/08/2014

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Télésurveillance et servitude volontaire

La Boetie  Servitude volontaire ES

Vive la sérendipité ! La sérendipité , vous connaissez ? Cela consiste à trouver au bon moment quelque chose que l’on ne cherche pas mais qu’il y avait là à portée de soi. La sérendipité, j’adore. C’est ainsi que récemment en cherchant un livre dans ma bibliothèque je suis tombé sur une vieille édition du Discours de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie.

En la feuilletant je suis arrêté sur l’extrait ci-dessous.

«Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps et n’a autre chose que ce qu’a le moindre homme du grand nombre infini de vos villes, sinon qu’il a plus que vous tous, c’est l’avantage que vous lui faites pour vous détruire. D’où il a pris tant d’yeux dont vous épie-t-il, si vous ne les lui donnez? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les prend de vous? Les pieds dont il foule vos cités, d’où les a-t-il, s’ils ne sont les vôtres? Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous, que par vous autres mêmes? Comment vous oserait-il courir sus, s’il n’avait intelligence avec vous ? .. vous pouvez vous en délivrer, si vous essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire. Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou le branliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé la base, de son poids même fondre en bas et se rompre.»

La Boétie Discours sur la servitude volontaire

On peut trouver le texte en accès libre dans une trasposition en français moderne l’égèrement différente à l’adresse suivante ( au format word c’est page 17).

450 années plus tard, on peut lire ceci dans un livre paru récemment sur laffaire Snowden

… à mesure que nous déléguons nos responsabilités citoyennes et notre libre arbitre à des machines et à leurs opérateurs indiscrets agissant au nom de la sacro-sainte sécurité intérieure, à mesure que nous donnons notre blanc-seing aux services de renseignement pour fouiller nos petits secrets et que nous restons silencieux face à ces évolutions démocratiquement inacceptables, le pouvoir (politique, militaire, technologique, etc.) prend le pas sur le droit, la capacité d’agir sur la légitimité et la légalité de l’acte, la realpolitik sur la justice internationale.

L’affaire Snowden. Comment les États-Unis espionnent le monde par Antoine Lefébure, La Découverte, février 2014

Au regard de cela, on peut dire que ceux qui en ce moment poussent des cris d’orfraie sur quelques écoutes téléphoniques se contrefichent de nos libertés. Ils défendent celles des puissants et leur insolence.
Bien sûr derrière la mécanique de servitude se profile une industrie qui avec des complicités politiques fortes possèdent de puissants appâts notamment celui d’une illusoire sécurité.
Mais cela n’efface pas la responsabilité de chacun. D‘où il a pris tant d’yeux dont vous épie-t-il, si vous ne les lui donnez? Demain la caméra de surveillance de votre bureau de tabac sera connecté à celles des rues et des places que vous traverserez. Et un robot déterminera, en fonction du journal que vous achetez et la vitesse à laquelle vous vous déplacez, votre degré de “dangerosité”.
Cela ne se fait pas malgré vous
Qui échange sa liberté contre de la sécurité perdra au final et les unes et l’autre.

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La guerre 14-18 et la publicité vues par Didier Daeninckx

« Vendre ! Tel est le problème, parfois difficile à résoudre qui se présente journellement à l’attention du commerçant. Fabriquer des objets, accumuler des stocks de marchandise ne servirait à rien si, par un moyen quelconque, on ne trouvait la possibilité d’écouler le tout dans la consommation. Aujourd’hui ce problème est de plus en plus ardu. Il n’est plus permis d’attendre que l’acheteur vienne, il faut aller le chercher là où il se trouve. Parfois même il est nécessaire, pour des objets ou des produits nouveaux, de créer un acheteur qui n’existait pas hier …Lui suggérer des besoins. Inventer le désir : c’est en cela que consiste notre travail, mademoiselle Bonnier, vous comprenez ? Inventer le désir ! »

C’est par ce discours programmatique du Pdg de l’agence Siècle Publicité qui est aussi le discours d’embauche d’une jeune secrétaire fraichement sortie de l’école Pigier que commence le « docu-fiction » de Didier Daeninckx. Il a inventé le personnage de mademoiselle Bonnier embauchée pour remplacer le fils du PDG, parti à la guerre tout comme le fiancé de la secrétaire.
La pub est déclarée traite de la relation de la publicité et de la guerre de 1914-18. Le récit de Melle Bonnier est étayé par de multiples exemples concrets d’affiches ou d’encarts publicitaires réels formant eux-mêmes de mini récits, ce qui en fait un livre attrayant et instructif. Il permet de suivre les modifications  dans le temps des rapports entre guerre et publicité depuis les débuts quand les poilus « deviennent le premier vecteur de la consommation » jusqu’à la fin de la guerre quand commence le tourisme mémoriel.
Le livre et la publicité – c’était encore de la réclame – suivent les péripéties de la guerre. On commence donc par les articles pour le confort et la sécurité du soldat « Lip Lip L ip Hurra ! la montre de la victoire. L’urodonal est censé lutter contre « l’autre ennemi », l’acide urique. La publicité fait vendre aussi des uniformes. L’Etat-Major n’avait pas prévu que la guerre durerait et qu’il ferait froid l’hiver. On vante la Brassière Perrin « contre la piraterie allemande », etc. Ici et là une invention étonnante comme l’encre lyophilisée qui avec quelque gouttes d’eau de pluie permet de rédiger sa correspondance.
A l’arrière, le patriotisme sert à lever des fonds. Le « mort aux boches » sert aussi à éliminer la concurrence. Comme ce qui est arrivé au bouillon Kub. Tout ce qui commençait pas un K évoquait une sonorité allemande surtout quand des polémistes d’extrême droite façon Léon Daudet s’en mêlaient. Les plaques publicitaires pour le bouillon Kub de Maggi ont été accusées de servir d’indicateurs codés aux troupes d’invasion. Le Ministre de l’Intérieur les a fait détruire. En fait la société Maggi était suisse et les codes aux dos des plaques étaient imposés par l’administration française.
Si au début de la guerre, les corps sont élégants, ils finissent mutilés, mais dans tous les cas il y a quelque chose à vendre. Les prothèses aussi sont un marché.

« La publicité consistait à transformer le spectacle du quotidien en puissance de vente », dit notre témoin

La pub surfe sur la vague patriotique et nationaliste qu’elle renforce en même temps jusqu’au crétinisme intégral. Le produit sont vantés « purs de tout mélange allemand » comme l’aspirine Usines du Rhone : Rien d’allemand Rien des allemands. Consommer français !
On mesure à quel point la guerre a empoisonné les cerveaux à certaines tentatives décrites dans le livre, de pures arnaques auxquelles la publicité ne se prêtera pas telle que celle du Dr Bérillon inventeur d’un prétendu appareil à détecter la présence de l’ennemi à son odeur. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? La connerie a fait école
Les femmes occupent plusieurs fonctions, elles sont à la fois objets et cibles comme dans la pub vociférante ci-dessous les appelant à exiger la mention du pays d’origine sur les factures et objets.

On les voit tirer la charrue et palier à l’absence de chevaux, on la voit aussi l’arme (de la paix) dans la main. Pour le repos du guerrier ?

« Inventer le désir ». disait-il

Nous sommes à l’époque de la guerre, de la production et de la consommation de masse.
Je voudrais m’arrêter un instant sur l’image qui sert de couverture au livre et que voici en entier.

Elle est particulièrement intéressante à plus d’un titre. On notera d’abord que le poupon joufflu a fait école, si aujourd’hui il nage dans l’eau minérale, à cette époque il participait vaillamment à la tabagie dans cette publicité pour le papier à rouler.
L’expression Toutes les classes est intéressante. Dès le début la publicité pour le tabac se situe au-dessus des classes. Tous consommateurs. Pas de discrimination, nous sommes tous hommes, femmes, blancs, noirs, indiens égaux dans la consommation de clopes comme le montre le fim publicitaire de Thomas Edison pour les cigarettes Admiral en 1897

Si la guerre des soldats est terminée, celle de la publicité dure encore.

Mais le désir est émoussé.

“LA PUB EST DÉCLARÉE ! 1914-1918” de Didier Daeninckx (Hoëbeke, 110 p., 19,50 €).

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