Or, donc, nous avons eu deux jours de débat à Mulhouse….

Extrait d'un diaporama "futuriste"

Extrait d’un diaporama “futuriste”

Sous le slogan «Mulhouse c’est vous !», la ville accueillait «Libé» pour 2 jours de forum consacrés aux nouvelles formes de démocratie et de participation citoyenne. Je laisse de côté la question de savoir comment l’affaire s’est faite. Libération Événements était là en tant que prestataire de service, d’autres à la recherche de futurs marché. Quant au maire, depuis qu’il a été élu légitimement (il avait été nommé maire parce que l’ancien JM Bockel avait retourné sa veste et rejoint l’ancien président de la république après avoir fait partie du Comité de soutien de Ségolène Royal), il veut marquer un changement. Le jour même de la conférence de presse sur la tenue du débat était annoncée la venue prochaine à Mulhouse du bling bling en chef. Jean Rottner fait partie de son staff. Nous sommes néanmoins prié de croire au sérieux de l’opération. A qui d’ailleurs est destiné le laboratoire mulhousien ? Au bling bling en manque d’idées ou aux mulhousiens ? Ces interrogations ont d’abord pesé sur l’envie même d’y aller. Bien qu’ils aient été mis là pour servir de tête d’affiche, la présence de tous ces jeunes Cohn-Bendit et Finkelkraut n’était guère plus encourageante ni l’intitulé de certains débats franchement désopilants du genre la démocratie d’interpellation surtourt quand c’est surtitré Hep Mulhouse ! ou encore l’atelier Préparons la journée citoyenne. La journée citoyenne est chez nous l’équivalent des samedis communistes.
J’ai relevé bien sûr dans le programme du forum l’absence totale de Mulhousiens, ces brêles dont la notoriété n’est même pas parvenue jusqu’à Libération. A moins que…. Peut-être, sans doute aussi, ne fallait-il pas de concurrence à la seule présence mulhousienne qui vaille, le Maire lui-même, très occupé à se faire selfier avec tout ce beau monde.
«Mulhouse c’est vous !» voulait dire vous qui êtes dans la salle, les candides, nous nous sommes sur la scène.
On cherchait en vain de la culture dans le forum ainsi que de la profondeur historique comme s’il n’y avait pas quelque chose à refonder. A Mulhouse, en Alsace en général et bien au-delà sévit une grave crise symbolique. Comment comprendre autrement que l’on transforme une ville au passé industriel aussi riche que celui de Mulhouse en village pour cigognes ? La spécialiste de l’histoire mulhousienne, présente, a été réduite au rang de candide.
Je dis cela pour montrer qu’il y avait des choses à dire pour l’opposition socialiste au Conseil municipal plutôt que de centrer ses réactions uniquement sur la question du coût d’une telle opération. La question n’est pas tant combien ça coûte mais est-ce que c’est utile pour nous. Je crains bien que non. Accessoirement aussi, en filigrane, se dessine  une autre interrogation : pourquoi le PS n’a t-il pas pendant les municipales – et avant – montré sa volonté participative ? Et où était-il pendant les deux jours de débats ?
Tout cela et d’autres choses pèsent sur la perception que l’on peut, que j’ai pu avoir de ces journées.

On aura compris que j’y suis allé tout de même, juste pour la séance d’ouverture et à celles consacrées aux potentialités du numérique.
En rentrant chez moi j’ai jeté un coup d’oeil sur twitter et je suis tombé sur ceci

J’avais bien fait de ne pas aller à ce débat-là. A propos, je trouve très démagogique cette façon de dire que les jeunes ont un problème avec la politique, avec la démocratie en faisant comme si les autres générations n’en avaient pas !

Première journée.

D’emblée, pour moi les choses étaient mal parties, Laurent Joffrin tentait pour les besoins du spectacle de construire une fausse alternative.

Résultat, l’opération a été déjouée et Finkelkraut a fait un numéro de charme à Taubira qui n’en revenait pas. Elle l’a tout de même renvoyé à son Platon à propos du mariage pour tous.
Joffrin en a sorti une autre pas piquée des vers : le problème de cette crise de la démocratie est que les gens ne veulent pas changer de système. Après cela, il venait nous prêcher la « révolution démocratique »(sic). Il me fournissait du coup le leitmotiv de ma propre interrogation. J’aurais voulu poser une question mais impossible. Bien évidemment cela n’avait pas été organisé pour et Finkelkraut était entre deux trains. Abrégeons.

La démocratie participative pour quoi faire ?

Ma question était la suivante : d’où vient ce qu’ils appellent une crise de la démocratie ? Nous est-elle tombée dessus comme un coup de tonnerre dans un ciel serein ? Qu’est-ce qui mine la politique ? Et j’aurais rappelé que pèse sur l’idée de participation un lourd passé. A Finkelkraut qui évoquait la nécessaire tenue de débat de haut-niveau, j’aurais pu dire que nous avions eu au moment de Maastrich un débat de haut niveau. Quel en a été le résultat ? La réponse au vote non a été d’imposer un vote oui. Il en va de même en Alsace où la population a rejeté la fusion des départements qui revient soudain par la petite porte. Quant à ceux qui ont voté Jean Marie Bockel soutien de Ségolène Royal, ils se sont retrouvé avec un retournement de veste et un secrétaire d’état de la pire droite. Je pourrais ajouter le Parc Steinbach,  le blamage du Conseil consultatif du patrimoine mulhousien , etc…, bref un lourd passif qui n’incite pas à la confiance.
La séance suivante portait sur Open government, la démocratie du futur. Evoquant la notion de post-démocratie au sens où selon Wolfgang Streeck, ce sont les marché qui contrôlent et disciplinent les Etats et non l’inverse, j’ai posé la question du sens et des limites de la participation, quand on se retrouve devant de fausses alternatives où l’absence d’alternative. La démocratie participative pour quoi faire, choisir la couleur du tramway ? Quel est le sens du mot citoyen ? Et là il s’est passé quelque chose d’intéressant : tout en reconnaissant dans mon propos l’arrière plan dans lequel s’inscrit son discours, j’ai vu Benoît Thieulin du Conseil national du numérique rejoint par la représentante de la Commission nationale du débat public se métamorphoser quasi physiquement en détenteurs de pouvoir et à vouloir faire la leçon. Je dois sans doute les en remercier mais je n’ai rien retenu de ce qu’ils ont dit. Ils avaient cassé le fil. Derrière le numérique pointent les vieilles relations de pouvoir. C’est au moins une chose qui ne changera pas, me suis-je dit sur le moment. En fait, ce n’est pas tout à fait exact. Ce qui change, c’est la réponse que je suis entrain de faire et en mesure de publier. Ma question je le répète est : à quoi participe-t-on quand on sait qu’au bout il n’y a aucune influence sur les pouvoirs de décisions.
L’intérêt de prendre la parole est qu’évidemment des gens viennent vous voir après .Et c’est là que je me suis rendu compte que le présupposé qu’il y ait encore un désir de participation est peut-être une idée fausse. Ce désir a existé mais il a été cassé.

Samedi matin, à la Une du cahier Mulhouse du journal l’Alsace, je lis  :« Jeunes cons et vieux cons, même combat ». Je me suis dit, tiens, ils parlent de Cohn-Bendit. Mais, non. Il s’agissait d’une initiative de Théâtre Forum dans un Centre socioculturel de Mulhouse. Une façon de faire un pied de nez confraternel à Libération ?

Deuxième journée

La deuxième journée a été différente. Moins de monde aussi. Normal :les agents municipaux très nombreux la veille ne bossent pas le samedi. Le forum avait attiré de nombreuses personnes intéressées par le monde associatif.
J’ai participé au débat sur La démocratie en réseau. Il y avait là le sociologue Dominique Cardon et le hacker Ohkin. Il y a été surtout question de l’Internet. Un certain vent mauvais souffle actuellement sur Internet où règne une nostalgie de ses utopies d’origine. Il y a aussi une tentative de reprise en main par ceux qui bénéficient de rentes de situation du monde analogique et qui voient leurs intérêts contestés par le numérique. Mais, affirme Dominique Cardon, cela reste une démocratisation de l’accès à la parole et il ne faudrait pas après l’affaire Snowden jeter le bébé avec l’eau du bain. Quand on parle de l’Internet comme outil ou des outils de l’Internet, il faut toujours aussi se demander s’il n’y a pas d’outils qui manquent ou qui seraient à créer, par exemple des outils de désautomatisation, de sérendipité, de possibilité de choisir une option poétique au lieu d’un option purement fonctionnelle… C’est ce que j’ai été amené à dire mais deux choses m’ont frappé dans les réponses faites à mes question sur les possibilité de reterritorialisation c’est que l’on ne croit pas ou très peu à une reterritorialisation et à la création d’un espace public numérique. Ohkin a été le plus catégorique : « La seule chose institutionnalisable, c’est permettre l’accès aux données pour les citoyens, a-t-il déclaré, ajoutant : « Je ne crois pas aux débats institutionnalisés sur Internet ».
Il me semblait nécessaire de contester cette idée qu’il n’y a rien à faire avec les institution car sans institution comment organiser un vivre ensemble par et avec le numérique. J’en était là jusqu’à ce que j’assiste à l’atelier sur la ville numérique et ses possibles qui s’est acharné à montrer que oui décidément il n’y avait rien à faire avec ce qui se concocte au sein de la municipalité. Entre un adjoint qui croit encore qu’Internet est un media et celui qui porte un T-shirt Facebook, au milieu un DSI-qui-ne-fait-pas-de-politique, il y avait de quoi flipper.
Car pour être cohérent je suis aussi allé à un atelier. Un comédien nous a lu un texte à se taper le cul par terre, une sorte de projection dans une ville qu’à la fin on ne pouvait qu’avoir envie de fuir, une ville du tout automatique sans problèmes sociaux, recentralisée, hiérarchisée, sans la moindre problématisation. Affligeant. D’un côté, on débat gentiment pendant que, de l’autre, la ville met en place des dispositifs sans la moindre discussion et participation des citoyens : smart grids pour le comptage de l’eau, dispositifs d’optimisation du trafic, accès wifi répandus dans la ville, dispositif IRI itinéraires et repères intelligents. Débattre de cela ? Pas besoin puisque c’est technique. « Tout ce qui est métier ne relève pas du débat public » a déclaré l’Adjoint au numérique. Le refus de considérer que les algorithmes ont aussi une dimension sociale et que c’est à leur niveau que devrait se faire la participation est riche de déconvenues. J’ai néanmoins fait deux propositions. La première consistait à demander la neutralité des élus politiques qui n’ont pas à aborder la marque Facebook sur leurs vêtements fussent-ils fabriqués en Alsace (C’est l’argument que l’on m’a retourné). J’ai également repris une suggestion déjà faite lors du débat précédent : imaginer une façon de rendre visible la collecte de données et de traces produites par les habitants lorsqu’ils circulent dans la ville.
En conclusion, je dirais que, avec ou sans numérique, le problème de Mulhouse reste le manque d’un peu plus de courage civique et d’ouverture à la critique de la part de ses habitants.

PS
On trouvera ici et d’autres réactions.

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CE PAS QUI NOUS ELEVE : pour des écritures numériques créatives, un manifeste

CE PAS QUI NOUS ELEVE : pour des écritures numériques créatives, est un manifeste que l’on pourra juger radical et/ou utopique. Il prend acte de la métamorphose numérique en ce qu’elle n’est pas simplement une nouvelle technique qu’il faudrait apprendre à maîtriser mais une véritable “bifurcation dans la trajectoire humaine” (Francis Jutand).
Le défi n’est plus celui de la place du numérique à l’Ecole, mais bel et bien de la place de l’Ecole dans le numérique, autrement dit de sa capacité à reconsidérer et reconstruire, à l’aune des mutations en cours, ses finalités, ses méthodes, son fonctionnement. Cela suppose une prise de conscience, et peut-être un difficile travail de deuil” explique-t-on au Café pédagogique où l’on trouvera également un entretien avec l’auteur de l’appel.
D’autres façons d’être au monde, de lire, d’écrire ou de se relier aux autres sont actuellement en train de s’inventer ; il s’en suit que d’autres façons d’apprendre sont à à l’ordre du jour.
C’est le sens du Manifeste Ce pas qui nous élève, de l’appel au sursaut lancé par Luc Dall’Armellina et ses coauteurs. Le texte de Luc Dall’Armellina, docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant en ESPE, à l’Université de Cergy-Pontoise, mais aussi artiste, auteur de poésie numérique, a été mis en ligne, annoté et augmenté par Philippe Aigrain, Jean-Michel Lebaut, Annie Abrahams, Emmanuel Guez, Antoine Moreau, Jacques Rodet, Julien Longhi, Pierre Fourny, Stephan Hyronde. Ce texte contributif reste ouvert aux annotations sur http://lucdall.free.fr/co_ment.html. 

Le texte n’intéresse pas seulement l’école mais aussi tous ceux, par exemple, qui font métier d’écrire.

Nous en publions le début que l’on peut télécharger dans son intégralité et diffuser librement.

 

” L’école comme l’université ont trop longtemps asservi l’écriture au seul dogme de l’accès aux savoirs et à l’injonction de la communication.
Elles l’ont cantonnée à un rôle instrumental, en marge du sillage du capitalisme cognitif (Yann Moulier Boutang), à travers des modes de production industrielle des connaissances, la vidant peu à peu de ses dimensions artistiques, esthétiques et politiques (Luc Dall’Armellina).
La situation est telle aujourd’hui qu’écrire n’est plus pour la plupart des élèves et étudiants qu’un passage obligé, une compétence parmi d’autres, une technique qu’il faut bien manipuler puisqu’elle est nécessaire pour réussir à l’école, quelle que soit sa discipline.
Le drame de l’écriture ainsi (s)abordée est qu’elle soit envisagée au singulier, sans alliés, pas même la lecture, dont la pratique collective relève de l’exception. C’est une grande perte car c’est autour d’elle que se dessine, se forme et se révèle la qualité d’une attention (Alain Giffard), terreau d’une culture commune, par delà les langues, au cœur des pratiques de lecture, d’annotation, d’invention.
L’écriture contemporaine est devenue numérique : elle ne porte plus uniquement sur le texte du langage inter-humain mais aussi sur celui du langage humains-machines intégrant les boucles complexes et interactives qui nous lient tous. Il était prévisible que lecture et écriture en soient profondément transformées, altérées. L’écriture numérique agit de plus sur la nature même de la connaissance et en re-configure les modes d’existence (Stéphane Crozat, Bruno Bachimont, Isabelle Cailleau, Serge Bouchardon, Ludovic Gaillard).
L’écriture est devenue autre : fluide, fragmentaire, multiple. Sous nos yeux, sous nos doigts, elle est devenue hybride, trans-disciplinaire, avec plus ou moins de bonheur ou d’inquiétude pour toutes celles et ceux qui s’y livrent sur les réseaux, dans les jeux, sur les tablettes ou les ordinateurs. Les couches de langages superposés, constituantes des écritures numériques, induisent et co-produisent nos récits. Si techniques et écritures ont depuis toujours des destins mêlés (Friedrich A. Kittler), leurs codes comme leurs inter-relations sont aujourd’hui universellement partageables.
L’école reste encore en marge des pratiques d’écritures sur les réseaux, largement considérés comme sources de danger. Quel accompagnement à la culture numérique pour les élèves, les étudiants, les enseignants aujourd’hui ? Ces derniers ont pour mission d’initier les enfants du 21è siècle à des pratiques qu’ils ignorent souvent eux-mêmes, ce qui n’est pas un problème en soi, certains nous ont superbement montré (Joseph Jacotot) qu’on pouvait innover à partir d’une ignorance. Ce qui fait problème, c’est que nos institutions en charge de l’éducation cherchent encore à former à des “outils”. Cette vision réductrice empêche de mesurer que la révolution numérique est essentiellement culturelle, anthropologique. La question éducative portait jusqu’ici sur des compétences, des savoirs techniques et cognitifs mesurables quantitativement. Elle repose aujourd’hui sur une capacité à entrer en relation avec ses pairs, renouvelée par la curiosité, la créativité et la coopération, évaluables qualitativement. Le changement de paradigme est complet (Ken Robinson).
Après la révolution des logiciels libres puis celle des données open, c’est au tour de la pédagogie de devenir ouverte, coopérative, conviviale, et partageable (François Taddéi). Il ne s’agit plus aujourd’hui d’empiler des savoirs, d’ailleurs souvent accessibles sur les réseaux, mais de les articuler à nos expériences sensibles pour en faire des connaissances, puis des nouveaux savoirs. C’est cette boucle d’interactions qu’il nous faut construire ensemble.
Artistes, enseignants, formateurs, chercheurs, designers, auteurs, citoyens, nous déclarons la naissance des écritures numériques créatives, augmentées des pratiques d’ateliers d’écritures créatives en littérature, métissées des pratiques de workshop en art et design, pollénisées de celles des hacklab en développement de logiciel libre.
Nous déclarons révolu le temps des ntic et des tices qui ont découpé, chosifié, didactisé – assez doctement il faut le dire, à coups de stratégies d’usages et de procédures opérationnelles, dans des ENT (espaces numériques de travail) protégés comme des camps retranchés – des pratiques qu’il convenait surtout de découvrir avec attention et d’expérimenter avec curiosité.
« Un signe majeur de la déconnexion des élites est l’usage de l’expression « nouvelles technologies ». Ils parlent de « plan numérique » comme on planifiait la récolte de blé en URSS, cherchant à contrôler des choses qui ne sont pas contrôlables. » déclare Adrienne Alix de Wikimédia (Laure Belot).
Pourquoi dans les écoles, les salles de ntic sont-elles des endroits dont on veut sortir à peine entré ? Des ordinateurs et des étudiants alignés en rang d’oignon et l’enseignant faisant face au groupe, contrôlant les écrans de ses élèves : excellente recette pour décourager toute créativité !
Bougeons les tables, changeons les câblages arborescents au profit de grappes en étoiles. La table ronde permettra à chacun de se voir, de se sourire, de se parler, elle favorisera la convivialité, elle appellera la coopération, une pédagogie ouverte pourra naître. Avec une variété d’assises confortables, d’espaces modulaires, retrouvons les possibilités de notre corps discipliné par trois siècles de dispositifs contraignants (Michel Foucault). Créons des espaces dans l’espace, des temps dans le temps, des singularités dans le collectif.
Avec les écritures numériques créatives, nous entendons redonner au mot savoir son sens premier de saveur. Nous appelons créatives, les écritures numériques qui ne se contentent pas de produire des dispositifs, des œuvres ou des savoirs selon des modalités déjà connues, mais qui cherchent dans une co-élaboration émancipée, à mettre ceux-ci en question, en critique, en trouvant de nouvelles voies et formes, en fabriquant par percolation, hybridation, expérimentation. Il n’y pas de modèle pour qui cherche ce qu’il n’a jamais vu (Paul Eluard), aussi, si la littérature c’est ce qui change la littérature, alors pratiquons la sous toutes ses formes !
Pour ce faire, le temps des spécialisations disciplinaires doit cesser son dictat. Les pratiques sensibles doivent retrouver leur place avec les savoirs théoriques, avec les expériences techniques. Ecrire n’est pas seulement noter ce que l’on pense pour ne pas l’oublier, mais se constitue en soi-même – et plus que jamais – comme un mode de pensée, qui doit pouvoir se décliner dans le texte donné à lire comme dans le code présidant à son apparition. A quand des ateliers croisant arts visuels, littérature, musique, programmation ? A quand d’autres croisant géographie, sciences économiques, design et data-mining ?
Les écritures numériques créatives œuvrent bien sûr avec les arts et manières de faire de la littérature et de la poésie, mais aussi – c’est leur différence avec les ateliers d’écritures créatives – avec ceux du design et de la programmation car le texte numérique a une forme, réglée par des conditions d’apparition et d’interaction qu’il s’agit de penser et d’expérimenter avec la précision d’une science et l’exigence d’un art.
Ces écritures font appel aux singularités de celles et ceux qui, augmentés en collectifs mixtes de praticiens, théoriciens, artistes, techniciens, n’aspirent qu’à s’élever même s’ils ne savent pas encore très bien comment se nommer (Mc Kenzie Wark). Peu importe, ils sont la communauté qui vient (Giorgio Agamben) et leurs productions parleront pour eux.
Ce qui s’appelle ateliers d’écritures en littérature, workshops en arts, fablab en design, hacklab en ingénierie pourra constituer en alternance, autant de moments fondateurs dans une culture des écritures numériques créatives. Ces lieux ont émergés des pratiques du réseau, des pratiques de leurs écritures. Ils sont irrigués par une pédagogie du faire et de la coopération, de la créativité et de l’invention, du partage et de l’émancipation. Ensemble, ces cultures peuvent doter l’école des moyens de participer créativement aux transformations majeures qui s’annoncent. Saura-t-elle s’y engager ?
Ces temps et leurs approches trouveront avantageusement leur place – transversale – dans tous les lieux, avec tous les enseignements, de l’école à l’université et en formation (Philippe Aigrain).
Quelle politique pédagogique, incluant la formation des enseignants et des citoyens tout au long de la vie innovera en proposant d’accueillir et de faire fructifier ces pratiques ? Quel projet pour porter et valoriser l’interdisciplinarité en partenariat comme socle fondateur ? Si les initiatives heureuses ne manquent pas (Café Pédagogique), y compris dans les institutions, les centres de recherche (projet PRECIP, COSTECH-UTC), elles se font encore en marge, avec des énergies individuelles, et beaucoup trop souvent contre l’institution qui ne sait pas les reconnaître, les épauler, en favoriser la fédération, le marcottage, l’essaimage.
Redonner au mot savoir son sens premier de saveur est une question d’exigence esthétique et politique. C’est aujourd’hui une urgence. La restauration de la saveur sera le premier pas vers une démocratie renouvelée, car derrière ce qu’on appelle les écritures numériques, avec le code, les machines, opère une certaine manière de faire : une culture singulière.
Singulière, c’est-à-dire porteuse d’une façon inouïe d’envisager nos rapports les uns aux autres, à l’économie, au savoir, à la connaissance, aux arts et aux techniques, à la science, à l’amitié, au collectif, à l’esthétique, au politique (Jacques Rancière) : “L’homme est un animal politique parce qu’il est un animal littéraire qui se laisse détourner de sa destination “naturelle” par le pouvoir des mots.” Avec les écritures numériques en réseaux, est née la conscience d’habiter le même monde, et avec elle, celle de pouvoir créer, partager, coopérer en pleine conscience et en toute liberté (Olivier Blondeau).
Ensemble nous voulons concevoir l’acte d’écrire numérique créativement. Nous refusons les héritages idéologiques pesants qui maintiennent les pratiques d’écritures dans les corsets de l’utilitarisme ou de la spécialisation, mettant dos-à-dos les techniciens et les littéraires. Nous refusons les coupures disciplinaires, les clivages institutionnels, les protectionnismes administratifs, les oppositions stériles. Les arts contre les sciences, les humanités contre les techniques. Nous avons besoin de la liberté de les hybrider car nous sommes devenus des êtres hybrides (Bruno Latour) : arts, sciences, techniques, humanités.
“Être libre et agir ne font qu’un” dit Hanna Arendt. Le réseau des réseaux est libre – du moins y-a-t-il là un combat – et libres sont ses arts et manières de faire. Nous voulons sans entrave et dans le même mouvement :
écrire – penser – coopérer – expérimenter – résister – lire – apprendre – devenir – construire”

 

Ces différents points sont détaillés dans la suite du texte dont la version .pdf est téléchargeable.

 

“Redonner au mot savoir son sens premier de saveur”, quel programme!

 

 

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Alerte ! Les eurodéputés doivent protéger l’Internet ouvert !

La Parisienne Libérée chante avec Jérémie Zimmermann “Genèse du Net”, un plaidoyer pour l’universalité et la neutralité du Net

Le 3 avril prochain, les eurodéputés statueront sur l’avenir de la neutralité du réseau et de l’Internet ouvert en Europe. Ce vote sera l’aboutissement d’une bataille menée depuis plus de cinq ans dans toute l’Union européenne et débouchera soit sur la mise en place de protections juridiques solides pour la liberté d’expression et l’innovation en ligne, soit sur un blanc-seing accordé aux opérateurs télécoms pour discriminer nos communications en ligne et mettre à mal la concurrence.

Pour en savoir plus sur l’action en cours voir sur le site de la Quadrature du Net

Postscriptum

Le 3 avril, le Parlement européen a fait un pas décisif en faveur de la neutralité du Net.

« Le parlement européen a clairement indiqué que le bien commun qu’est Internet doit échapper à l’emprise de l’industrie et rester un espace où la liberté de communication et d’innovation peuvent prospérer. Nous remercions vivement l’ensemble des organisations, des citoyens et des eurodéputés qui ont rendu ce résultat possible. Nous devons maintenant rester vigilants quant à la suite de la procédure, car le texte va désormais devant le Conseil de l’Union européenne, où de nombreux gouvernements nationaux vont chercher à démanteler les dispositions relatives à la neutralité du Net afin de satisfaire leurs oligopoles télécoms. Même si nous avons gagné aujourd’hui, le combat pour un Internet libre n’est pas terminé ! », déclare Félix Tréguer, cofondateur de La Quadrature du Net.

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