Des recettes et des textes

Giuseppe Arcimboldo "Corbeille de fruits"

Le fruit du mois a déjà un an. La figue de Mademoiselle Eve nous emmenait déjà plus vers le champ de la symbolique et vers celui de l’imaginaire. Nous vous proposons, pour l’année à venir, de rêver en cuisine sur des textes littéraires. Il ne s’agira pas de recopier des textes qui reprennent simplement des recettes culinaires ou parlent de plats ou d’aliments, même si cela peut aussi être le cas. La cuisine dans la littérature est déjà fréquemment et largement explorée et mise en exergue. Non, il s’agit plutôt de se laisser porter par un texte, de laisser vagabonder son cœur et son esprit pour essayer de traduire les émotions ou les évocations suscitées dans une recette créée spécialement à l’occasion, comme ce pouvait déjà être le cas pour certains fruits du mois.

Mais comme pour le légume du mois, vous pourrez retrouver le fruit du mois, dont la série figurera, comme celle du légume du mois, dans une page à part que vous retrouverez à tout moment sous le bandeau du site. Vous trouverez aussi ci-dessous la liste des fruits et de leurs recettes associées. Cliquer sur le fruit vous amènera au texte et à la recette choisie.

Septembre : La figue de Mademoiselle Eve

dessert : Le déjeuner sur l’herbe
plat : cuisse de lapin à la sauge, au romarin et aux figues

Août : La pêche, un péché mignon

dessert : Salade pêche-mangue à la rose et au safran
plat : magret de canard aux pêches et à la réglisse

Juillet : La cerise sur le cake

dessert : Cake aux griottes et au pavot
plat : Palette de porc à la broche, aubergines à l’origan frais et cerises au vinaigre

Juin : Les fraises, au vin ou à la crème

dessert : Soupe de fraises au viognier
entrée : roquette aux fraises, écrevisses et vinaigre balsamique

Mai : Défense de l’avocat

dessert : Mousse à l’avocat, aux poires et aux amandes
plat : Potage à l’avocat, au gingembre et au cerfeuil

Mars : la pomme ou le mystère oublié

dessert : Tartelettes de pommes à l’anis et cardamone, sorbet au citron
entrée : Tranche de foie gras sur lit de pomme et de céleri

Février : Le citron, l’exotisme dans la banalité

dessert : Sorbet au citron
plat : Carré de veau aux olives et au citron, gnocchis de Pompadour au safran, endives braisées au citron

Janvier : La grenade, fruit mystique, mythique, mythologique

dessert : Larmes de panna cotta à la fleur d’oranger et à la gelée de grenade
plat : Fricassée de cailles au miel et à la grenade

Décembre : Clémentines, mandarines et consorts

dessert : gâteau à la mandarine
dessert : Crêpe au beurre de mandarine

Novembre : Le coing, bonne pâte

desserts : Tartelettes aux coings miellés. Coings miellés au jus d’hibiscus et glace à la verveine.
plat : Echine de porc confite aux coings et au cumin

Octobre : La poire sous toutes ses formes

dessert : Tarte aux poires, anis, cédrat et pistaches
dessert : Poires au vin, sorbet noix, basilic et brioche grillée

A bientôt

La grenade, fruit mystique, mythique, mythologique

Grenade, mythologie et religions

Il existe un certain désaccord sur  l’origine du grenadier. Certains affirment qu’il vient d’Inde, d’autres en situent l’origine plutôt en Perse. Toujours est-il qu’il s’agit d’un fruit dont la signification symbolique a parcouru siècles et religions.

La grenade n’a-t-elle été pas désignée comme le fruit de l’arbre de la connaissance ? De même, la pomme que Pâris remit à Aphrodite était en fait une grenade, dit-on. D’ailleurs la légende ne dit-elle pas aussi que le grenadier est né à Chypre sous le pied d’Aphrodite ? Et ne sont-ce pas grâce à des grains de grenade (ingérés de force ?) qu’Hadès a gardé aux enfers six mois de l’année sur douze  Perséphone, alors devenue femme et épouse ?

En tout cas, la grenade a toujours été un symbole de fécondité, de richesse et de puissance, sans doute du fait de son grand nombre de grains, les fleurs étant, elles, symbole d’un amour brûlant. La couleur rouge sang des graines et des fleurs est bien sûr la porteuse essentielle de telles symboliques. Si elle est sans doute déjà apparue 4000 ans avant notre ère, on la trouve en Inde dès 2000 avant JC. Et dès 1550 on en trouve de nombreuses représentations en Égypte, qui consommait d’ailleurs déjà un vin de grenade assez lourd et épais pour certains, assez léger pour d’autres. Pour les Hébreux, elle était, avec la figue, un symbole de fertilité, caractéristique notamment de la Palestine, et avait une grande importance dans le décor des bas-reliefs et piliers du temple de Salomon. La grenade est d’ailleurs le fruit le plus cité dans la bible. Dans la chrétienté, elle représente antre autres l’Eglise en tant que communauté de croyants et est représentée dans de nombreux tableaux, notamment des XVe et XVIe siècles. Elle est souvent associée à la vierge et à l’Enfant Jésus. L’importance est la même aussi bien dans l’Islam (fruit du paradis, Jardin de l’Essence, symbole comme dans la religion chrétienne de la multiplicité dans l’unité). Pour Bouddha également, la grenade était le fruit le plus précieux (celui notamment que lui offrit une femme pauvre).

La grenade est donc un symbole universel.

De l’Egypte, la grenade a envahi l’Afrique du Nord, et était très prisée notamment à Carthage dont elle était le symbole de la déesse tutélaire. De nombreuses terres cuites en avaient la forme. Le nom romain de la grenade était d’ailleurs la malum punicum (Pline l’ancien). De là, et à travers les siècles, elle a conquis Rome, l’ensemble du Maghreb puis, par l’influence culinaire arabe, la Sicile, l’Espagne et la France, notamment à partir du XVIe siècle dans la littérature culinaire.

Les grandes régions actuelles de production, outre la Turquie et les pays du Moyen-Orient, sont le Maghreb (Tunisie et Maroc surtout), la Grèce, l’Espagne et l’Italie. Quelques grenadiers ont été plantés dans le sud de la France mais la production reste comparativement limitée. Il existe plusieurs dizaines de variétés de grenades, variables suivant ces régions, variétés proprement inconnues du consommateur.

L’histoire de la grenade est très riche. Plusieurs sites lui sont consacrées où sont développés avec intérêt toute son aventure. Et la symbolique n’a jamais quitté ce fruit qu’on retrouve même chez Dali :

 

 

 

Salvador Dalí. « Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une pomme-grenade une seconde avant l’éveil ». Musée Thyssen-Bornemisza. Madrid

 

 

 

Choix et conservation de la grenade

Une grenade est à bonne maturité lorsque l’écorce vire nettement au rouge. Elle doit être lisse et brillante, sans taches brunes. La jutosité du fruit se mesure à son poids : un fruit juteux est lourd.

La grenade est un fruit d’hiver. On la trouve d’octobre à février. Elle peut être stockée pendant 4 mois dans un local frais dont la température se maintiendra aux alentours de 5°C, mais alors seule : du fait d’un éventuel dégagement d’éthylène, elle peut en effet accélérer le mûrissement de fruits qui seraient conservés à ses côtés. A température ambiante elle peut se conserve une à deux semaines, dans le bac du réfrigérateur un mois. La grenade ne supporte ni congélation ni conserve.

Par contre il est toujours possible d’essayer l’une des méthodes proposées par Columelle :

« En effet, on peut creuser à la maison de petites fosses de trois pieds dans un terrain très sec. Après y avoir déposé un peu de terre bien divisée, on y enfonce de jeunes branches de sureau; ensuite, par un beau temps, on cueille les grenades avec leurs queues que l’on insère dans le sureau, parce que cet arbre est pourvu d’une moelle accessible et d’une substance assez lâche pour admettre facilement la queue des fruits.
Toutefois, il faudra veiller à ce que ces fruits soient éloignés de la terre d’un intervalle de quatre doigts, et qu’ils ne se touchent pas entre eux. Alors on place sur la fosse que l’on a faite un couvercle que l’on enduit tout autour avec du mortier paillé, et on amoncèle par-dessus la terre provenant de l’excavation. On peut faire la même chose dans un tonneau que l’on remplit à moitié, soit de terre bien divisée, soit, comme quelques personnes le préfèrent, de sable de rivière, en terminant l’opération ainsi que nous l’avons enseigné. »

Columelle : de Re Rustica (Economie rurale – trad. nouvelle par M. Louis Du Bois – C. L. F. Panckoucke, 1846. Bibliothèque latine-française. Seconde série)

Grenade et santé

La grenade est un fruit connu pour ses propriétés antioxydantes. Elle fait actuellement l’objet de recherches concernant des pathologies aussi éloignées qu’arthrite, maladies cardiovasculaires (influence sur le rapport HDL/LDL), leucémie, cancer du sein ou cancer de la prostate du fait de sa grande richesse en polyphénols et en phyto-oestrogènes. On peut renvoyer là à l’intéressante thèse en pharmacie soutenue en 2009 à l’Université Henri Poincaré de Nancy 1 par Elodie Wald : Le grenadier (Punica granatum) : plante historique et évolutions thérapeutiques récentes.
Mais, on a de tout temps trouvé un intérêt majeur à la grenade en termes de santé. C’est ainsi que des applications de graines de grenades sur les parties génitales étaient censées guérir les femmes malheureusement atteintes de stérilité ! L’histoire ne dit pas si le taux de réussite était meilleur ou plus faible que celui de la fécondation in vitro !
Pline l’ancien, pour ne cesser de le citer, écrit :

« LVIII. 1. Avec les grenades acerbes on fait une composition appelée stomatice, très bonne pour les affections de la bouche, des narines, des oreilles, pour l’obscurcissement de la vue, pour les ptérygions, pour les maladies des parties génitales, pour les ulcères rongeants, pour les fongosités des plaies, contre le venin du lièvre marin. Elle se fait ainsi : Après avoir dépouillé la grenade de son écorce, on pile les grains et on fait cuire le jus jusqu’à réduction du tiers, avec safran, alun de roche, myrrhe, miel attique, de chaque, demi-livre.

2. D’autres la font de la manière suivante : On pile plusieurs grenades aigres, on en fait cuire le jus dans une chaudière neuve, jusqu’à consistance de miel. On l’emploie pour les affections des parties génitales et du siège, et pour tout ce que le lycium (XIII, 15; XXIV, 77) guérit, écoulements purulents par l’oreille, fluxions commençantes des yeux, taches rouges. Une branche de grenadier tenue à la main met en fuite les serpents. L’écorce d’une grenade bouillie dans du vin, en topique, guérit les engelures. Une grenade pilée dans trois hémines (0 litr.,81) de vin, qu’on fait bouillir jusqu’à réduction des deux tiers, délivre des tranchées et des vers intestinaux. Une grenade mise dans un vase neuf et bien luté, brûlée dans un four, puis pulvérisée et bue dans du vin, arrête le cours de ventre et dissipe les tranchées. »
Pline l’Ancien : Histoire naturelle : livre XXIII (traduction)

Le vin de grenade

La grenade était employée comme additif aromatisant pour les vins de Grèce et de Rome. Mais les égyptiens élaboraient déjà un vin de grenade. En effet, le jus de grenade, du fait de sa teneur en sucre, fermente tout seul. Michel Bouvier, grand spécialiste des vins de l’antiquité, en a mené l’expérience en 1999. Il affirme : « Le résultat est tout-à-fait satisfaisant et même imprévu avec un vin rose clair de 16,38° d’alcool, présentant un goût un peu sec qui ne rappelle en rien celui de la grenade. Ce serait un beau piège pour les dégustateurs de rosé ! » Michel Bouvier – Les vins de l’Antiquité A la recherche des saveurs d’autrefois – Jean-Paul Rocher Ed.

Les recettes :

Recette dessert
Larmes de panna cotta à la fleur d’oranger et à la gelée de grenade.

Ce dessert est très facile et très rapide à réaliser.

Ingrédients (pour 4 personnes) :
40 cl de crème liquide épaisse
30 grammes de sucre
5 feuilles de gélatine
4 cl d’eau de fleur d’oranger
le jus de deux grenades

Mettre à tremper dans l’eau 3 feuilles de gélatine. Pendant ce temps, faire bouillir la crème 5 mn, rajouter l’eau de fleur d’oranger et bien mélanger. Laisser la température redescendre jusqu’à 65° environ. ajouter la gélatine et de nouveau bien mélanger. Laisser refroidir jusqu’à léger épaississement. Couler alors la panna cotta, jusqu’à un cm du bord, dans des cadres en forme de larmes préalablement bien graissés en vue du démoulage (avant remplissage, bien les refroidir ainsi que le support sur lequel ils seront posés). Laisser prendre.

Lorsque la panna cotta est prise, préparer la gelée de grenade en donnant un léger bouillon à 25 cl de jus de grenade (ne pas faire réduire pour garder le plus d’arôme et d’acidité). Laisser baisser légèrement la température et ajouter 2 feuilles de gélatine préalablement trempée et essorées. Laisser refroidir jusqu’à léger épaississement et couler sur la panna cotta jusqu’au bord des larmes. Décorer de trois grains de grenade.

Laisser prendre. Démouler avant de servir.

Sur assiette, on peut rajouter éventuellement un filet de jus de grenade réduit qui rappelle la gelée. Le dessert peut être servi avec des petits palets.

En cas de présentation en verrines, on peut légèrement diminuer la quantité de gélatine utilisée.

Recette salée :
Fricassée de cailles au miel et à la grenade

Ingrédients : une caille et demi par personne. 2 grenades, deux cuillérées à soupe de miel d’acacia.

Préparation :

Lever les cuisses et les suprêmes (blanc avec uniquement la partie la plus grosse de l’aile qui reste attachée au blanc) des cailles. Oter éventuellement la peau. Utiliser les carcasses pour un fond de volaille réutilisable pour une autre recette (le congeler éventuellement).

Presser le jus des grenades après en avoir prélevé quelques grains pour la décoration.

Dans une poêle verser un peu d’huile d’olive. Faire revenir les cailles en commençant par les cuisses puis en rajoutant les suprêmes. Cuire à feu pas trop vif une petite dizaine de minutes. Les réserver. Faire fondre le miel dans la poêle. Déglacer avec le jus de grenade. Réduire aux 2/3. Remettre les cailles dans la sauce obtenue. Réserver au chaud jusqu’au moment de servir.

Servir à l’assiette trois cuisses et trois filets par personne, un filet de sauce et 3 ou 5 grains de grenades sur les morceaux pour la décoration. On peut servir comme accompagnement de légumes des panais ou, mieux, des lamelles de chou blanc blanchies avec juste ce qu’il faut de croquant.

P.M. Théveniaud