Un appel du ministère pour une école bienveillante !

Un point d’actualité en attendant d’aborder très prochainement le -3+3.

Le 28 mars ont été signés les accords quant au décret portant modification du statut des enseignants. Cette modification a été abordée dans un chronique précédente (Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la refondation de l’école sans oser le demander !). Il est donc inutile de revenir sur les détails. Rappelons simplement que les missions d’enseignement sont, de fait comme dans le discours, devenues minoritaires par rapport aux autres missions en même temps qu’augmente la charge de travail ; de telle sorte que le métier n’est plus vraiment un métier d’enseignement mais bien plus un métier d’éducateur. C’est dans ce cadre que prend un sens tout à fait particulier le courriel envoyé aux personnels enseignants par Jean-Paul Delahaye, Directeur général de l’enseignement scolaire, dont texte ci-dessous :

Madame,
Monsieur,
Vous trouverez sur éduscol le guide “Une école bienveillante face aux situations de mal-être des élèves
Destiné aux équipes éducatives des collèges et des lycées, ce guide a pour objectif de vous aider à mieux connaître  et repérer les signes de mal-être des élèves, à savoir réagir et à prévenir ces situations.
Réalisé par des experts et des professionnels de terrain, il est  pragmatique et adapté aux réalités quotidiennes des établissements.
Je vous remercie de l’attention que vous porterez à ce guide qui, je le souhaite, constituera une aide précieuse pour votre action au plus près des élèves.
Avec toute ma confiance

Le courriel reprend les termes de présentation du guide lui-même :

Une école bienveillante face aux situations de mal-être des élèves

Un outil destiné aux équipes éducatives pour les aider à mieux connaître et repérer les signes de mal-être chez les élèves et y répondre au mieux.

La qualité du climat scolaire de l’établissement joue en effet un rôle essentiel pour créer un environnement favorable aux apprentissages et au bien-être des élèves. Pour ces derniers, se sentir soutenus par leurs enseignants est un facteur particulièrement important qui favorise le sentiment d’aimer l’École.

Or, lorsqu’on lit ce guide, après une très guillerette page de garde, on trouve une somme de recommandations et de savoir-faire qui portent sur les caractéristiques du mal être des adolescents, et non des élèves, en excluant totalement toute analyse quant à la responsabilité du système lui-même dans ce mal-être. Or c’est bien là que le bât blesse. Une telle présentation des causes du mal-être des élèves a quelque chose de vraiment indécent quand on connait la réalité des choses. Omerta, toujours l’omerta !

Il est impossible dans ce cadre de ne pas se poser quelques questions : le premier mal-être ne tient-il pas dans le vécu permanent d’un échec scolaire profond, entretenu sur des bases fallacieuses notamment par des programmes et un système d’évaluation noté qui ont perdu tout sens, entraînant pour beaucoup des sentiments de dévalorisation de soi, d’injustice, d’inégalités et d’abandon (abandon de soi et abandon par l’institution) ? Comment ne pas se sentir mal lorsque la langue même n’est pas maîtrisée, empêchant un niveau de lecture et d’écriture nécessaire à toute compréhension et expression (« Finalement nous ne savons pas écrire », constatent très récemment avec lucidité plusieurs élèves de terminale) ? Quelle portée cela a-t-il lorsque les élèves, sortant du système, désirent continuer des études, entrer en apprentissage ou dans le monde du travail ? N’y aurait-il pas intérêt à écouter ce que disent les professionnels (même encore jeunes) de différents secteurs sur les difficultés rencontrées avec ces nouveaux entrants dans le monde du travail ? De ce fait ne doit-on pas se poser comme première question que la bienveillance fondamentale à l’égard des élèves est quand même de leur apprendre à lire, à écrire et à compter (plus aucun élève – oui plus aucun aujourd’hui- dans certaines classes de première ou de terminale, n’est capable de calculer un pourcentage ou d’effectuer une opération simple) ? Si le phénomène n’est pas nouveau (une chronique de 2011 Des mots pour ne pas pouvoir le dire le soulignait déjà), sa mise en place est beaucoup plus ancienne et date de plusieurs décennies.

Comment alors ne pas mettre en rapport cet envoi du ministère aux enseignants et ce qui pouvait être écouté sur les ondes dans le même temps :

Quelque mots de Jack Lang, invité de Pascale Clark dans l’émission « Comme on en parle » du 22 avril :

« Aujourd’hui, il y a besoin d’une véritable révolution éducative. Si l’on veut que les résultats de notre système progressent, alors il faut s’attaquer aux programmes trop lourds, trop incohérents, trop redondants. Il faut s’attaquer à la pédagogie, qui n’est pas nécessairement en harmonie avec ce qu’est devenu l’imaginaire des jeunes et des enfants. Il faut mieux former les maîtres. On a choisi aujourd’hui une voie qui n’est pas la bonne …

… Si on veut assurer une meilleure égalité entre les enfants de ce pays, si on veut établir une paix sociale, si on veut préparer l’avenir économique et social des jeunes d’aujourd’hui, une réforme éducative est vitale. »

(Rappelons que, pendant un an, Jack Lang a été ministre d’un grand ministère de la culture et de l’éducation ! Où donc est passée maintenant la culture dans l’éducation ?)

Extrait :

En résonance également l’interview de Jean-Pierre Crouzet, président de l’Union Professionnelle Artisanale, dans l’émission d’Alexandra Bensaïd « On arrête pas l’éco » du 5 avril (reportage de Catherine Boullay) :

« Vous savez que nous sommes ouverts aux jeunes de toute classe sociale et de la diversité. Mais il faut aussi comprendre que, dans l’entreprise, on a besoin de gens performants. Or, malheureusement, on a trop souvent des jeunes qui sont en échec scolaire…

… je ne veux pas rejeter les fautes sur l’un ou sur l’autre. Je dis simplement qu’aujourd’hui il nous faut au moins des jeunes qui sachent écrire et compter ! …

… Les entreprises sont prêtes à former des jeunes, mais on n’a pas le public en face. »

Et que dire de la rupture du contrat d’apprentissage lorsque tout devient impossible ? « Le prud’homme, un bon début dans la vie ! » souligne J.P. Crouzet avec ce qu’on peut percevoir comme une pointe de désolation.

Extrait :

Non, il ne faut pas ramener le métier d’enseignant au seul métier d’éducateur.

Où donc est la bienveillance, dans tout cela comme dans la réforme à venir ? La vraie bienveillance commencerait certainement par un regard sur la part du système scolaire lui-même dans le mal-être des élèves, sur une réelle autocritique de sa fonction dans la société et de son rôle, depuis trop d’années, dans la création des inégalités.

Le gypaète barbu

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