Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la refondation de l’école sans oser le demander !

Mouvement de grève des enseignants en classe préparatoire aux grandes écoles, protestations des élèves des nouvelles ESPE censées former les nouveaux enseignants, protestations, toujours, contre les nouveaux rythmes scolaires (à l’intérieur desquelles la parole nouvelle quoique bien légitime des lycéens semble par contre étouffée), continuité de la chute française dans les classements internationaux, tout semble bien mal aller dans notre Education Nationale.

Tout le monde le sait, la France régresse encore dans les évaluations PISA. Et cette régression est extrêmement inégalitaire. Et, depuis les 30 ans que les politiques de l’éducation sont objectivement perverses et délétères, tout le monde finit par s’habituer ou se résigner plus ou moins, et à l’intérieur même du système. écoles.
On lance parfois, comme cause des contre performances du système français, de juteuses tartes à la crème. Celle du redoublement en est une lourde qui ferait sourire qui connaît bien le milieu puisque justement se retrouvent au lycée, en pleine souffrance il faut sans cesse le répéter, des élèves qui sont passés de classe en classe, soit au bénéfice de l’âge soit à la lueur des commissions de rattrapage, accumulant ainsi des lacunes insondables dans les fondamentaux. Et le socle commun n’y change rien.

La vraie réalité du terrain est en fait très méconnue ou niée et à mille lieues des discours. Une telle réalité a très récemment été décrite avec délice par l’ex-professeure, maintenant humoriste reconnue, Nicole Ferroni, dans son billet sur France Inter face au ministre. Une solution ? « Fuir, partir, sauver ma peau » dit-elle. A écouter sans modération !

Face au désastre, une volonté de refondation qui touche profondément l’institution. Et au delà des éléments médiatiques cités, dans la discrétion des diverses commissions de réflexion, se prépare en douceur une vraie révolution.

Pour qui se contente d’une lecture épiphénoménale, sans faire le lien entre tous les éléments, la vraie nature de ce qui se prépare n’apparaît pas vraiment. Le système, volontairement mis en échec par quelques uns (cf de nombreuses chroniques précédentes), doit être fondamentalement modifié. Cela implique des modifications radicales du travail d’enseignement. Et il semble que les réformes en cours, portant a priori sur des points différents, concourent toutes au même objectif.

La fin de l’enseignement disciplinaire : les programmes changés par les curricula

« Le curriculum ce n’est pas que du contenu mais une réflexion sur les compétences, l’évaluation, les outils numériques, la formation professionnelle. C’est une nouvelle approche , une nouvelle manière d’aborder les questions au programme. Plutôt que remplacer les programmes, procédure qui lasse les enseignants, on réfléchit à une nouvelle méthode pour élaborer plus globalement et les accompagner mieux en terme de formation et d’outillage pédagogique et d’accompagnement. » Alain Boissinot – Des programmes au curriculum in Le café pédagogique.

Le nouveau ministre de l’Education Nationale a enfin créé une commission nationale des programmes. Enfin, car, durant les décennies délétères citées, nul ne savait réellement comment étaient décidés ces programmes d’enseignement et, apparemment, même pas le ministre lui-même. D’où leur incohérence totale, notamment dans les disciplines scientifiques et technologiques, leur niveau parfois totalement délirant, tant du point de vue de leur énormité que de la difficulté de leurs contenus. Il fallait donc y mettre bon ordre.

Prenant exemple sur d’autres pays de même niveau que le nôtre, le Conseil supérieur des programmes, entame (?) la réflexion sur une nouvelle manière d’enseigner. Finis les programmes par discipline. « Historiquement on sollicitait les disciplines les unes après les autres et après on faisait une addition. Là on va renverser le problème. On va partir d’un cadre d’ensemble, par exemple un cycle, avec des champs disciplinaires plus larges que les disciplines traditionnelles. Après on déclinera en disciplines quand ce sera nécessaire. » A. Boissonot déjà cité supra.
A ce sujet, on peut lire avec intérêt le document produit par le ministère : Concertation sur la refondation de l’école de la République – Les programmes d’enseignement et leur élaboration  : éléments de comparaison internationale.
On peut se faire également une idée de ce que sont les curricula à l’étranger sur le site du ministère de l’Ontario.

La fin du statut de 1950

« Pour travailler autrement, il faut redéfinir les missions de chacun des métiers de notre système éducatif. C’est, par exemple, donner aux enseignants les moyens de mener à bien l’ensemble des tâches qui leur sont dévolues, au-delà des heures d’enseignement elles-mêmes, de prendre des responsabilités (numérique, culture, liaison école-collège, etc.), de conduire des travaux collectifs ou interdisciplinaires ambitieux. » ( Document du ministère de l’Education Nationale du 28 novembre 2013 « Discussions sur les métiers et les parcours professionnels des personnels de l’Éducation nationale »-dossier de presse)

Cela annonce donc la fin de l’enseignant transmettant les savoirs correspondant à sa discipline. Les nouveaux statuts prévus (groupe de travail 6 de la refondation de l’école, documents non diffusés au grand public mais sur les sites de tous les syndicats) font état largement de ces nouvelles missions. L’enseignement disciplinaire n’occupe pratiquement aucune place. Dans les propositions gouvernementales, les horaires dévolus à la mission d’enseignement (18 heures hebdomadaires en face d’élèves pour un certifié et 15 heures pour un agrégé) sont maintenus, mais pour « participer aux actions d’éducation » même si « principalement dans la discipline d’origine ». Or, par ailleurs, l’enseignement transdisciplinaire et ce qui est appelé accompagnement personnalisé (sic !), ont la part de plus en plus belle dans cette mission d’enseignement. Et bien d’autres missions s’ajoutent qui devraient être définies par décret, dont certaines restent ambigües (activités de partenariat décidées par le conseil d’administration, participation à des actions de formation continue bénéficiant aux personnels sans qu’ils soient définis, coordonateur de discipline, ce qui ressemble fort au préfet des études pensé par le gouvernement précédent, etc.).

On peut tout à fait souscrire à ces changements, mais à condition que les savoirs ne soient pas oubliés dans l’affaire, que la réalité ne soit pas niée, et que le tout compétence ne devienne pas, comme on peut le redouter, la référence à tout niveau (cf infra : formation des enseignants) sans qu’en soit posée la question de la validité et de la légitimité de ses éléments.

L’annualisation du temps de travail

« L’ensemble de ces missions constitue la déclinaison, pour les corps concernés, de la réglementation sur le temps de travail applicable à l’ensemble de la fonction publique. », c’est-à-dire de fait 1605 heures annuelles. Cela revient à annualiser le temps de travail en en augmentant la charge, pour le même salaire. Un rapide calcul montre facilement que cela revient soit à une durée de travail hebdomadaire de plus de 50 heures en conservant les vacances scolaires, soit à une présence de 47 semaines dans l’année sur la base de 35 heures hebdomadaires. Les poujadistes de tous poils vont enfin pouvoir se réjouir de voir enfin mis au travail tous ces enseignants.

La formation des profs et les Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education

 L’arrêté du 1er juillet 2013 relatif au référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation définit les compétences que doivent maîtriser les professeurs. On voit qu’une grande partie de ces compétences les intègrent comme personnel d’éducation au même titre que d’autres :

« – Compétences 1 à 14 = compétences communes à tous les professeurs et personnels d’éducation
– Compétences communes à tous les professeurs (compétences P1 à P5) »

Cette perte de spécificité du professeur en tant que transmetteur de savoirs disciplinaires est un autre aspect d’un même changement.

Pour l’instant, la formation des futurs professeurs est encore complètement sinistrée. Les nouvelles ESPE sont très loin d’être opérationnelles et les manques se font cruellement sentir à tout point de vue. La formation continue des enseignants est elle aussi complètement sinistrée. Or, sans formation et sans formation continue, surtout à l’heure de la révolution numérique, il ne sera pas possible de permettre la créativité nécessaire à une évolution positive du système.

Le numérique à l’école

La révolution numérique est au coeur du discours sur la refondation. Le thème a déjà été abordé et le sera encore très prochainement dans cette chronique. L’usage du numérique est bien entendu au centre de la transformation du métier d’enseignant. Le numérique à l’école ne peut donc pas être conçu comme un outil de plus, comme c’est le cas pour les tableaux numériques par exemple. Il est nécessaire de fournir aux élèves, donc aux professeurs, une vraie culture du numérique, un « socle de connaissances et de compétences numériques » ainsi que l’affirme Benoit Thieulin, président du conseil national du numérique. Faute de quoi les outils numériques ne seront qu’un instrument de plus au service de la ségrégation scolaire telle qu’elle est vécue de pire en pire actuellement. Si le numérique est un outil d’externalisation de la mémoire, en ce qu’il permet l’accès à un nombre d’informations que notre mémoire humaine ne peut à elle seule contenir. S’il libère cette mémoire, il faut que cette libération soit au service de l’intelligence et non de l’asservissement. Le numérique à l’école ne peut pas n’être qu’un outil supplémentaire.

Le métier d’enseignant tel qu’on le connait jusqu’à présent vit sans doute ses dernières heures. La faillite de notre système, organisée depuis quelques décennies, oblige à une révolution. Tout est possible, le pire comme le meilleur. Tout est en jeu. Mais les risques sont grand de voir périr l’Education Nationale en tant que service public, avec organisation de la ségrégation, comme cela a toujours été dit dans cette chronique et comme le soulignait Philippe Meirieu avant le billet de Nicole Ferrari cité plus haut et sur la même chaîne radiophonique :

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