Notes ou pas notes ?
Question non-sens ?

Le débat sur les notes, souvent très crispé, ne cesse, depuis la dernière rentrée scolaire, d’apparaître et de réapparaître, médiatiquement comme en interne. Les notes chiffrées ne feraient que renforcer chez les élèves un sentiment de dévalorisation parfois déjà bien marqué. Ce n’est par contre pas obligatoirement leur propre discours, eux qui restent si souvent très attachés aux notes, ainsi que leurs parents. La réalité se situe pourtant bien au-delà des approches souvent bien trop réductrices du débat. Il est courant à l’Education Nationale de confondre valeur mesurée, mesure et instrument de mesure. Bref, le thermomètre et ses degrés avec la chaleur. Ou, exemple classique, de définir l’acidité par le pH, notion qui fait d’ailleurs appel à des connaissances mathématiques que les élèves n’ont pas encore acquises, plutôt que comme la concentration en ions H+.

(Extrait de “Envoyé spécial” – France 2 – 5 sept 2015)

La validité d’une note ne tient pas à la note elle-même mais à son interprétation. Une note ne peut être que relative. Deux exemples pour servir d’illustration. En sport, dans certaine discipline jugée, le système de notation est le même quel que soit l’âge. Il est donc tout à fait normal qu’un débutant ou un enfant n’obtienne que 3/10 à telle figure et que ce 3 soit une bonne note au vu de ses capacités physiques et techniques. C’est aux juges et à l’entraîneur d’expliquer qu’il s’agit bien d’une bonne note. Un score de 3,5 ou 4, à un concours suivant, montrera une belle progression et sera encourageante. Par contre si le champion de France, d’Europe ou du monde obtient un tel score, il aura par contre, lui, complètement raté sa figure. Ayant momentanément raté pour une raison X ou Y, il reste le champion qu’il est. Il peut être légitimement frustré, mais cela ne change en rien son niveau de compétence ni, surtout, ce qu’il est en tant que personne. Il peut être extrêmement sympathique et généreux, ou totalement imbuvable, ou les deux tour à tour. Où est le rapport avec la note ?

Autre niveau de signification : l’évaluation sensorielle. Pour estimer l’acidité d’un yaourt on peut lui attribuer une note de 0 à 10, de 0 pour pas du tout acide à 10 pour très acide. Mais on peut tout à fait aimer un yaourt acide à un moment donné et doux à un autre moment. On pourrait d’ailleurs à l’inverse évaluer de 0 pour très acide à 10 pour très doux. L’acide ne vaut pas mieux que le doux. Ils sont simplement différents. Les systèmes actuels de pseudo évaluation par compétences, qui devraient permettre une vraie évaluation notamment en vue d’une vraie orientation, ne reposent pas sur des différences. Ils ne le pourraient d’ailleurs vraiment que si l’évaluation était, en partie du moins, orientée dans une telle perspective. Or c’est loin d’être le cas actuellement.

Le drame et la perversion du système scolaire, donc de ceux, administration et enseignants, qui lui donnent vie, est d’institutionnaliser la note, de lui donner valeur absolue et d’attacher cette note à la personne (élève réduit à une courbe projetée à l’écran en conseil de classe). Et cela n’a pas toujours été le cas, rappelons-le. Élèves comme parents ont, dans la grande majorité des cas, parfaitement intégré ce système au point qu’ils y restent attachés de manière presqu’addictive. Or on voit bien que ce n’est pas la note, pas plus que tel ou tel autre système d’évaluation qui constitue le problème, mais bien la manière dont on voit le jeune. La maltraitance n’est pas dans le système d’évaluation mais bien dans l’esprit dans lequel les résultats de l’évaluation sont analysés et interprétés, donc dans la vision et l’idéologie en amont. Si, et c’est une réalité, le système de notation peut engendrer de la souffrance, le changer ne la diminuera en rien. Un élève qui n’obtient que des points rouges ou des “non acquis” pourra être tout autant en souffrance que s’il obtient une moyenne de 5 sur 20. Sans compter avec les usines à gaz que sont les nouvelles méthodes délirantes d’évaluation.

Canard 290915Ce n’est pas le thermomètre qui fait la fièvre, mais les bactéries, virus ou parasites qui en sont la cause. Changer de thermomètre ne guérira pas le malade. Sans compter qu’à force de donner des antibiotiques à tout va, des bactéries sont devenues résistantes, voire multi résistantes. Il y aurait bien lieu de méditer sur cette métaphore et de voir en quoi le système est, dans son fond, extrêmement délétère, en espérant que les choses ne soient pas trop irréversibles.

(“Envoyé spécial” – France 2 – 5 sept 2015)

Or il faut bien évaluer un niveau. Comme il est impossible d’acquérir tous les savoirs en même temps, (notion de prérequis si oubliée en pratique, notamment en ce qui concerne les programmes), une progression dans leur acquisition est obligatoire. Or c’est justement cette acquisition elle-même qui se constitue en savoir. Ce n’est pas là le moindre paradoxe actuel. Sous le prétexte de supprimer le redoublement, suppression justifiée ou non, et plutôt mal actuellement, on arrive, par manque de maîtrise des fondamentaux, à des échecs parfois très cuisants au niveau du lycée. Soit parce que les élèves passent d’un niveau à l’autre sans avoir acquis les bases (un des critères de passage pouvant être l’âge, la nécessité de remplir des classes ou des sections), soit parce que, théorie des quotas aidant, il faut absolument obtenir un certain pourcentage de réussite aux examens, soit, enfin, tout simplement, parce qu’il ne faut pas que des jeunes restent dehors, dans la rue.

Un point n’est jamais soulevé, celui de la résonance avec les exigences sociales et le fait que l’Ecole fait partie, voire est partie prenante, d’une société libérale où la règle est la compétition et dans laquelle l’idée de survie reste très prégnante, notamment du fait des multiples crises de l’emploi. La question reste donc posée de la compétition, de son sens et de sa valeur. Comme pour la note, la compétition n’a de sens que celui qu’on lui donne. Elle peut être saine comme extrêmement malsaine et délétère. Le nombre de points rouges ou verts ne change pas profondément la donne. On pourrait cependant espérer que ces changement en cours des systèmes d’évaluation à l’Ecole puisse influencer les générations futures dans un sens contraire aux idéaux néolibéraux de gagne, de nécessité d’être le meilleur, pour un autre type de société. Abandonner la survie pour la vie. L’optimisme cependant n’est cependant pas réellement de mise. Ce n’est pas le système d’évaluation qu’il faut changer, mais l’idéologie qui le sous-tend. La bienveillance ne tient pas au système d’évaluation lui-même, mais bien à l’idéologie qui le met en œuvre. Les appréciations sur des bulletins dépourvus d’évaluation chiffrée peuvent être tout aussi dévalorisantes. “Evaluer et non dévaluer” nouveau paradigme pour citer une enseignante de collège.

La question de l’évaluation n’est qu’une question technique. La vraie question est, en fait, celle du désir. En quoi consiste le désir d’apprendre ? Comment se constitue ce désir ? L’Ecole en est-elle une composante étiologique essentielle ou participe-t-elle activement, avec d’autres acteurs, à sa destruction (la société marchande est paradoxalement destructrice de désir) ? Comment peut-elle le susciter, aider à l’accepter et à l’exprimer ? Question trop rarement posée et qui trouvera sa résolution dans un profond changement des mentalités, donc aussi de type de société et, concrètement à l’Ecole, dans des changements de méthodes pédagogiques liés, au-delà de tous les discours, à un véritable projet démocratique.

Le Gypaete barbu

Pour lire et relire les anciennes chroniques :
dans l’ordre chronologique : ici
dans l’ordre chronologique inverse : ici

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Protected by WP Anti Spam