Ecole : quelle résistance ?

Mardi dernier, 27 septembre 2011, jour de grève à l’Éducation Nationale. Classique ? Fait extrêmement rare (dernier en date : 1984), les syndicats de l’enseignement privé se joignent à ceux du public. C’est dire si le malaise est grand ! On en retrouve l’intensité dans beaucoup d’articles de presse qui s’attachent à souligner l’impasse dans laquelle a été plongé (consciemment ?) notre système éducatif : L’école est à bout de souffle (Médiapart du 3 septembre 2011  que l’on peut lire ici) ; Contre l’idéologie de la compétence, l’éducation doit apprendre à penser avec comme sous-titre :dans quelle mesure l’évolution de nos sociétés ébranle-t-elle les conditions de possibilité de l’entreprise éducative ?  (Le Monde du 03.09.11) ; Il faut supprimer le ministère de l’Education Nationale (Sophie Audoubert (Slate.fr ) et autres Ecole en crise.

Alors, toute résistance est-elle devenue vaine ? Et quelle résistance ?

Extrait du calendrier du Collectif contre le dépouillement de l’école

 

Tout le monde s’accorde à souligner l’effet dramatique des suppressions de postes. Comment, il est vrai, comparer notre système à celui de la Finlande ou d’autres pays ?  Nous sommes non seulement dans une situation totalement différente, notamment en ce qui concerne la vision de l’enfant et du jeune, mais d’ores et déjà, en queue de peloton pour cet aspect numéraire de la déliquescence, notamment en ce qui concerne l’école primaire.  Si la question est effectivement grave, bien plus grave encore apparaissent les problèmes pédagogiques qui accompagnent ce démantèlement  de l’institution. La liste est longue des éléments mis en place que la volubilité marketing du ministre arrive finalement relativement bien cacher, et pas seulement au grand public. Cela va du fichier base-élèves (retoqué par l’ONU) au système ECLAIR qui met en œuvre l’autonomie des établissements selon un modèle néolibéral à risque réel, en passant par toutes les graves anomalies lors des corrections du baccalauréat. Et cela n’est rien au vu de la refonte totale du système éducatif (réforme des lycées) développée actuellement avec une grande discrétion : mise en place de pôles par filières, des lycées des métiers, réforme des programmes dont le sens profond, mise en cause du savoir,  n’est strictement jamais  abordé, etc.  Toutes choses qui concourent à l’augmentation  exponentielle des inégalités scolaires.

La question sécuritaire

Avec l’ère Luc Chatel, actuel ministre de l’Education Nationale, on n’en est plus tout à fait à la médiatisation du tout sécuritaire du très démocrate (?) Xavier Darcos, ministre précédent. En effet, ce dernier prônait des policiers dans chaque établissement, des portiques à l’entrée, la fouille à corps des élèves par les enseignants et autres caméras de vidéo surveillance dans les couloirs et salles de classe. Mais cette idéologie sécuritaire imprègne l’institution comme si, surtout dans les secteurs défavorisés, elle avait intégré sécurité et comportement comme la priorité des priorités. Priorité à la présence des élèves dans l’établissement et dans les classes, non pour qu’ils y apprennent quelque chose, mais pour qu’ils ne soient pas dehors. Ils sont censés alors ne plus être déscolarisés, la scolarisation consistant donc simplement à rester dans des classes. Et on peut donc voir des élèves dormant profondément, plusieurs heures par semaine et plusieurs années, affalés sur leur table et la tête dans le bras ou restant cinq années au lycée, traînant leurs 0, 3 ou 5 de moyenne, redoublant une classe de seconde, une classe de terminale sans rien avoir au bout, certains largement après 20 ans ! Mais ils sont scolarisés ! Priorité à l’éducation ! Le métier change ainsi fondamentalement, le professeur, très officiellement, n’étant pratiquement plus un enseignant (celui qui imprime  des signes, des marques, qui donne du relief…) mais un éducateur (avec le double sens étymologique pour educare de “nourrir”, alors acceptable, ou de “tirer hors de”. Alors hors de quoi ? d’un état sauvage ? et avec, surtout, quelle légitimité ?). Où est passée la fonction d’instruction (don d’éléments de structure permettant à un élève de devenir  un être plus libre et de pensée autonome) ?

Humanisme ou es-tu ?

Intéressant le témoignage de Philippe Mérieux (Le Monde du 03.09.11) :

Pour avoir enseigné récemment en CM2 après une interruption de plusieurs années, je n’ai pas tant été frappé par la baisse du niveau que par l’extraordinaire difficulté à contenir une classe qui s’apparente à une cocotte-minute. Dans l’ensemble, les élèves ne sont pas violents ou agressifs, mais ils ne tiennent pas en place. Le professeur doit passer son temps à tenter de construire ou de rétablir un cadre structurant. Il est souvent acculé à pratiquer une « pédagogie de garçon de café», courant de l’un à l’autre pour répéter individuellement une consigne pourtant donnée collectivement, calmant les uns, remettant les autres au travail. Il est vampirisé par une demande permanente d’interlocution individuée. Il s’épuise à faire baisser la tension pour obtenir l’attention. Dans le monde du zapping et de la communication « en temps réel », avec une surenchère permanente des effets qui sollicite la réaction pulsionnelle immédiate, il devient de plus en plus difficile de « faire l’école ». Beaucoup de collègues buttent au quotidien sur l’impossibilité de procéder à ce que Gabriel Madinier définissait comme l’expression même de l’intelligence, « l’inversion de la dispersion».

La question sécuritaire, largement médiatisée,  a pour conséquence le vrai enjeu qu’elle s’évertue à cacher : la disparition de la transmission des savoirs.

La question du savoir : savoir, évaluation des compétences  et démocratie.

De même qu’aucun métier ne se réduit à la somme des compétences nécessaires pour l’exercer, aucun savoir ne se réduit à la somme des compétences nécessaires pour le maîtriser.
…  entrer dans l’écrit, c’est être capable de transformer les contraintes de la langue en ressources pour la pensée. Ce jeu entre contraintes et ressources relève d’un travail pédagogique irréductible à l’accumulation de savoir-faire et à la pratique d’exercices mécaniques. Il renvoie à la capacité à inventer des situations génératrices de sens, qui articulent étroitement découverte et formalisation. Or, nous nous éloignons aujourd’hui à grands pas de cela avec des livrets de compétences qui juxtaposent des compétences aussi différentes que « savoir faire preuve de créativité » et « savoir attacher une pièce jointe à un courriel. (Philippe Mérieux – article cité)

Et pourtant, à l’Education Nationale, il n’est plus question que de compétences.

Tout est dit par exemple dans les textes officiels prévoyant la refonte des programmes de sciences physiques des sections scientifiques.

La série S : la discipline au service des compétences et des appétences de science (sic !!!) L’enseignement des sciences physiques et chimiques de la série S n’est pas tourné en premier lieu vers la discipline, mais vers les élèves, afin de susciter et consolider des vocations pour que le plus grand nombre se dirige vers des carrières scientifiques et techniques.

Le questionnement premier n’est donc pas : « S’ils veulent poursuivre des études scientifiques, qu’est-ce que les bacheliers S doivent savoir ? », mais plutôt : « Ont-ils acquis les compétences de base de la démarche scientifique ?» sans lesquelles il n’est point de vocation assortie de réussite. Et pour tous les élèves de cette série, quel que soit leur métier futur : « Ont-ils développé suffisamment le goût des sciences pour percevoir leur importance dans la société ? ». Il ne saurait en découler un affadissement de la discipline, alors qu’elle se mettrait au service de cet objectif double, celui des compétences et des appétences, mais au contraire une légitimité supérieure, au delà de sa propre construction, en donnant sens et pertinence à ses objectifs, méthodes et contenus en direction des élèves et plus largement de la société.

Le langage ampoulé et bureaucratique a encore frappé ! Mais au delà de cette suffisance ici tout-à-fait indécente, le problème de la connaissance est enfin bien posé. Point n’est besoin de connaissances. Développons des compétences. Et maintenant des appétences !!! Mais qui a pu oser sortir une telle inanité ?  Eh oui ! Pour manger il faut avoir de l’appétit ! Mais ici de vrais plats, point !!!
Et que demande-t-on comme compétences ? Dans certaines filières déjà, au baccalauréat, il suffit de recopier le sujet. Un sujet de physique en est la caricature dans lequel, à plusieurs reprises, on donne au candidat la formule, toutes les valeurs avec leurs unités et le résultat avec ses unités également. La question ? Vérifiez à l’aide de la calculatrice si le résultat est juste ! Consignes ? Ne pas sanctionner si les unités recopiées par le candidat sont fausses !

Autre consigne officielle depuis quelques années de certains inspecteurs responsables des examens : ne pas évaluer les connaissances ! Sic !!! Au moins l’affaire est claire !

Dans les faits, donc, sont surtout évaluées les capacités de lire et de recopier (sans tenir compte bien sûr ni de la syntaxe, ni de l’orthographe ni surtout du sens des phrases, la notation étant  faite  à la grille : un mot, tant de points !). Il est donc possible à un élève qui n’aurait rien fait pendant trois ans de réussir son examen à la seule condition de savoir lire et d’avoir l’intelligence de la compréhension du système. Un tel cas n’est pas rare, surtout dans certaines filières.

La tarte à la crème de l’acquisition de compétences va à l’encontre de la formation de citoyens. C’est d’ailleurs là la question de fond, qui met en cause d’une manière plus qu’inquiétante la démocratie. On demande à l’heure actuelle aux enseignants de former à moindre coût une population capable de répondre aux ordres de la marchandisation du monde, dans tous les domaines. Il est donc hors de question de faire ce que traditionnellement l’instruction devait faire, notamment en lycée : faire acquérir suffisamment de connaissances pour développer une pensée propre, donc un esprit critique. Or il ne doit formellement plus être question, à l’heure actuelle, d’esprit critique. Il faut des consommateurs obéissants et le plus sûr est donc qu’ils ne se posent aucune question. A l’heure actuelle, par exemple, où commence à apparaître l’importance de la biologie dans le quotidien, un élève de section scientifique pourra ne plus prendre cette discipline  en classe de terminale. Programmes bien  marketés des années précédentes aidant, comment la jeune génération pourra alors penser ce qui se fait déjà, comme l’implantation d’électrodes dans le cerveau avec stimulateur externe permettant de modifier les comportements, à l’heure actuelle des troubles obsessionnels compulsifs, bien, mais plus tard ?
L’effet majeur de l’actuel démantèlement du système est que marketing, publicité et télévision aidant, dans nos lycées, l’apprentissage du savoir n’a, pour la majorité des élèves, strictement plus aucun sens. L’Education Nationale a donc largement contribuer à détruire la pensée. C’est plus qu’une faillite, c’est une complicité !
Il n’y a pas de démocratie s’il n’y a pas de vrai citoyen. Il n’y a pas de vrai citoyen sans esprit critique. Il n’y a pas d’esprit critique sans pensée. Il n’y a pas de pensée sans savoirs. C’est là tout l’enjeu de la destruction de l’Education Nationale qui après avoir agité la tarte à la crème des savoir, savoir-faire et savoir-être, a fini par éliminer officiellement les savoirs. Peu ont estimé, en son temps, la gravité de la mise en place de cette tarte à la crème et ce qu’elle allait induire.

“…on nous ressasse depuis plusieurs années la nécessité d’une «économie de la connaissance», sans voir toute l’absurdité de l’expression. La mise en avant de l’acquisition de «compétences» va dans ce sens, transformant l’école en vaste centre de formation d’apprentis. Et l’on perd peu à peu de vue qu’un agir libre et conscient repose d’abord sur une connaissance acquise pour elle-même.
La visée du savoir doit être humaniste, et ne jamais se compromettre dans l’immédiateté économique. A vrai dire, même si l’on veut, un très court instant, adopter le point de vue des économistes de la connaissance, c’est à cette condition seule que le savoir est réellement efficace, quand il peut accéder à une entière liberté créatrice. Affirmons donc, sans retour en arrière, l’école dans son rôle de terreau culturel indépendant.” (Sophie AudoubertIl faut supprimer le ministère de l’Education Nationale. -Slate 13/09/2011

Pour que l’école ne soit plus soumise à l’économique et au politique, au vu de la destruction actuelle, il ne reste peut-être même plus la possibilité de la résistance. Certains professeurs des écoles, les “désobéisseurs” ont pris très courageusement et publiquement position. On a vu ce qu’il en a été.  Il est à regretter que le reste du monde enseignant n’ait pas eu et n’ait pas ce courage.

Insister sur la transmission des connaissances, refuser le marketing pédagogique, refuser d’être une simple roue de transmission d’acteurs économiques ou politiques, essayer malgré les énormes difficultés actuelles d’aider à structurer des pensées individuelles, voilà au moins là où chaque enseignant peut désobéir.

Sinon, la question se pose d’adhérer à la proposition de Sophie Audoubert  : il faut supprimer le ministère de l’Education Nationale !

Le Gypaète barbu

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