La pêche, un péché mignon

La pêche, un péché mignon qui ne peut être que véniel. Si une simple approche phonétique mènerait spontanément  vers une origine étymologique commune, ce n’est en fait de loin pas le cas. Peccare, faire un faux pas pour le péché mignon (ou pas), qui empêche d’être impeccable (mais doit-on l’être ?), piscare, pêcher poisson (piscis) ou autres grenouilles, persica pour notre fruit. En effet, dans l’antiquité romaine, beaucoup de fruits ronds étaient considérés comme des pommes, le terme « mala » en étant un terme générique. Malum persicum donc, la pomme de Perse, pour notre pêche. En effet, si comme bien d’autres fruits elle nous vient de Chine, elle a, comme d’autres également, voyagé par la Perse dont Théophraste la pensait originaire. La pêche est donc un fruit très ancien. En Chine elle pousse spontanément mais a commencé à y être cultivée  il y a plus de 5 000 ans. Elle avait une valeur symbolique très forte à la fois d’immortalité, de fécondité et de mort. Confucius dispensait d’ailleurs son enseignement sous  un pêcher. Mais, paradoxalement, il mettait la pêche au dernier rang des six fruits et la considérait comme vil. La valeur symbolique s’attachait certainement plus à l’arbre qu’à son fruit.

Pour une histoire assez exhaustive de la pêche, on peut écouter avec intérêt la chronique de Jean Vitaux sur le site de l’Académie des Sciences.

Le statut de la pêche a varié au cours des siècles. Pour Pline, il s’agit d’un fruit sans odeur et de peu d’intérêt (Histoire naturelle livre LXVII. 1.) :

«Les pêches sont plus salutaires (-que les prunes-), de même que le suc de ce fruit seul, ou exprimé dans du vin ou du vinaigre. Il n’est pas de fruit de ce genre plus innocent, qui ait moins d’odeur et plus de suc, tout en excitant la soif. Les feuilles pilées, en topique, arrêtent les hémorragies. Les noyaux, avec de l’huile et du vinaigre, s’emploient en topique dans les douleurs de tête. »

Au Moyen-âge, la pêche reprend noblesse du fait qu’elle pousse en hauteur, les fruits et légumes poussant à ras ou dans le sol étant considérés comme plus vils, n’étant pas nourris, donc anoblis, par la sève. Comme elle est un fruit froid selon la médecine hippocratique, crue elle doit être consommée en début de repas. Elle entrait par contre dans la confection de mets comme le canard aux pêches et à la réglisse dont une adaptation de la recette est proposée plus bas, la notion de sucré salé n’existant pas à cette période comme aujourd’hui.

La culture de la pêche s’étend à partir du XVe siècle, notamment grâce à la culture en espalier (la culture des pêchers se faisait jusqu’alors en plein champ). Plus tard, La Quintinie développa les espaliers à Versailles, ce d’autant plus que Louis XIV semblait beaucoup apprécier ce fruit. La Quintinie également, qui trouvait, et à juste titre, que manger agréablement une pêche impliquait de la couper au couteau car «…on voit tout le long de la taille du couteau comme une infinité de petites sources qui sont, ce me semble, les plus agréables du monde à voir… ».

Mais c’est la commune de Montreuil, en Seine Saint-Denis, qui développa dès le XVIIe cette culture au point de servir la cour du roi et d’exporter les fruits jusqu’en Angleterre et en Russie. Les espaliers étaient disposés sur des murs blanchis pour refléter la chaleur solaire et en restituer une partie la nuit, évitant ainsi les gelées.. On retrouve d’ailleurs ce type de culture pour le chasselas de Thomery dont les raisins de Noël étaient également présentés en table royale. A la fin du XIXe, les pêchers de Montreuil couvraient 600 kms de mur, à tel point qu’en 1870 les prussiens contournèrent ce labyrinthe communal !

La pêche plate, pêche à la mode

Nectarines et autres variétés de pêches (le brugnon n’en est pas une, il est bon de le rappeler) n’arrivent en fait sur les étals, comme la plupart des autres fruits d’ailleurs, que sous leurs noms génériques, ce qui peut paraître regrettable. Mais, depuis quelques années, explose la consommation de variétés particulières : les pêches plates. Et si la pêche plate existait déjà sous des formes très rustiques, notamment en Tunisie, c’est par des croisements que René Monet, à partir de 1975, a développé ce type de variété dans son laboratoire de l’INRA. Doit-on regretter la rusticité de la pêche plate tunisienne d’origine, ou reconnaître une saveur dont certains l’affirment indéniable ? Espérons que cette mode ne sera pas à l’aune de ce qu’a été la mode de la pêche de vigne, qui nous a fourni des fruits certes rouges, mais filandreux et sans aucun arôme. Une telle médiocrité a amené à cesser de faire des sorbets pêche de vigne, comme ce fut le cas aussi pour la poire William rouge, faute d’arôme. A partir du moment où la culture devient intensive et où la grande distribution impose sa loi, il est très rare que la qualité gustative suive. Souhaitons que la baisse du niveau de qualité de la pêche plate s’arrête au contraire ici.

La pêche Melba

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La recette en fut créée par Auguste Escoffier en 1893 pour la cantatrice australienne Nelly Melba. La recette a souvent été détournée ou modifiée, notamment par l’ajout de crème Chantilly et d’amandes effilées, ce qui n’était absolument pas le cas à l’origine.

Recettes :

 Salade pêche-mangue à la rose et au safran

Pour 4 personnes, prévoir 3 pêches et 2 mangues bien mûres.

 Sauce rose safran :

Dans une casserole verser 200 ml d’eau et 150g de sucre. Amener à ébullition, laisser épaissir et rajouter une demi cuillerée à café de safran en pistil. Laisser quelques minutes à ébullition. Retirer du feu. Ajouter une vingtaine de boutons de rose. Laisser infuser. (En absence de boutons de rose, laisser refroidir le sirop et rajouter de l’eau de rose par cuillerée à café en fonction du produit de base et de l’intensité d’arôme désiré).

Peler pêches et mangues. Les découper en lamelles. Les mettre dans un saladier. Rajouter le sirop refroidi et mettre au frais.

On peut servir en coupelles, accompagnée de palets ou de dents de loup à la fleur d’oranger.

Magret de canard aux pêches et à la réglisse

Cette recette est l’adaptation d’une recette du XIIIe siècle.

 

Pour quatre personne, prévoir :

– deux magrets de canard
– quatre pêches (à maturité mais encore un peu fermes)
– deux bâtons de réglisse ou deux cuillerées à soupe de réglisse en morceaux (image)
– poivre de Sichuan
– miel de Provence (arôme de garrigue) ou d’acacia

  Infusion de réglisse

 Mener 200 ml d’eau à ébullition. Ajouter la réglisse hors du feu et laisser infuser une dizaine de minutes.

 Cuisson des magrets

 Inciser la peau des magrets. Les mettre à cuire dans une poêle très chaude côté peau pendant 6 minutes. Eliminer la graisse. Retourner les magrets et laisser cuire 4 minutes côté chair. Réserver au chaud. Déglacer avec l’infusion de réglisse.

 Cuisson des pêches (pendant la cuisson des magrets)

 Peler les pêches et les couper en tiers en les détachant proprement du noyau.

Dans une poêle chauffer 20 g de beurre et deux cuillerées à soupe de miel. Poêler les pêches en les retournant deux à trois minutes sur chaque face en faisant très attention à ce qu’elles ne se défassent pas et en les ayant parsemé de poivre de Sichuan.

Réserver au chaud. Déglacer avec le fond de déglaçage des magrets. Eventuellement lier légèrement à la fécule de maïs.

Dressage

Sur chaque assiette, disposer les tranches de magret en étoile. Disposer trois tiers de pêches. Arroser légèrement les tranches de magret de sauce. Ajouter une cuillérée de sauce entre pêches et magrets.

P.M. Théveniaud

Légume du mois : en mai, le navet

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le navet n’est pas un légume de série B.

Le navet a la réputation d’être un légume d’automne, voire d’hiver puisqu’il se conserve. C’est vrai. Mais il existe également nombre de variétés de navets de printemps (Blanc de Milan, Rouge plat hâtif, Blanc plat hâtif à feuille entière, Rond de Nancy et autres Demi long de Croissy). C’est l’élément de plein droit de la jardinière de légumes, qui signale l’approche de l’été, avec ses petites carottes et pommes de terre primeur, ses petits pois goûteux et croquants et ses feuilles de salade au goût marqué, pourvu qu’elles soient nés de naissance naturelle. Le navet nouveau lui donne alors toute sa personnalité.

De la même famille botanique que le chou, la rave ou le rutabaga qui a fait en France la légende alimentaire de la dernière guerre mondiale, notre Brassica napus rapa de printemps n’a quand même pas son pareil en matière de jutosité, de croquant et de saveur, pour peu que sa cuisson ne soit pas massacrée et que sa finesse soit respectée.

Il participe de nombreuses recettes : du célèbre canard au navet, jusqu’aux filaments de navets frits qui peuvent accompagner une viande et, surtout, décorer une assiette, en passant par les navets farcis du grand Escoffier ou par les petits navets et carottes au cumin accompagnant un filet mignon de porc grillé au miel et baies roses selon la recette de Pierre-Marie.Théveniaud.

Un peu d’histoire

Le navet était connu dès le néolithique (5000 ans avant J-C). Il était déjà consommé en Chine alors que les autres régions du monde, celle des deux fleuves par exemple (Tigre et Euphrate)  privilégiaient les céréales. C’est le noble tubercule (la pomme de terre) qui l’a aujourd’hui relégué. Pour la petite histoire, il faisait, au XVIème siècle, l’honneur du haricot de mouton.

En effet le terme haricot ne désignait pas la petite légumineuse en forme de rein qu’on connaît, mais ce qui était coupé, la viande de mouton en morceaux, en l’occurrence. Il a fallu que Catherine de Médicis, pour les offrir à son fiancé le dauphin de France, amène dans ses bagages  les fagioli, ces grosses graines en forme de rognon qui avaient été ramenées au pape Clémént VII dans les années 30 – de 1500 ! -, et qui sont alors devenus “fayouns” pour qu’ils remplacent le navet dans le haricot. Mais le terme de haricot tel qu’on le connaît donc maintenant n’est cependant arrivé sur le marché que plus tardivement, c’est-à-dire en 1640 dans le lexique d’Oudin. Cela dit le navet s’est en partie défendu et on peut le retrouver dans certaines recettes du navarin d’agneau dont le nom ne viendrait paradoxalement pas de navet mais de Navarre.

Son intérêt nutritionnel

Au XVIIème siècle, on lui attribuait un certain nombre de vertus, dont celle de combattre la mélancolie tout en chassant l’odeur nauséabonde des aisselles !

Moins poétiquement, on peut lui attribuer les caractéristiques suivantes :

  • faible apport énergétique (34 Kcal, soit 142 KJ pour 100g)
  • apport intéressant en vitamine C (28 mg pour 100g et encore 18 mg pour le navet cuit)
  • apport non négligeable en calcium (60 mg pour 100g)
  • un peu de fibres bien que moins que dans d’autres légumes (2 g pour 100 g)
  • une teneur élevée en potassium (140 mg pour 100 g)  à laquelle doivent faire attention les insuffisants rénaux
Notre recette :
Rosace de magret de canard au poivre de Sichuan, navets au piment d’Espelette

Préparation du magret de canard :
Faire mariner 2 ou 3 heures les magrets sur la face peau dans un fond d’huile d’olive. Bien tapisser de poivre de Sichuan. Bien enduire la face chair d’huile d’olive (faire pénétrer par massage, recouvrir de grains de poivre en appuyant bien. Cuire le magret de façon traditionnelle en le posant d’abord côté peau (sans enlever les grains de poivre collés) à faible feu de façon à faire fondre la graisse. Augmenter le feu pour griller un peu la peau. Le tout doit durer une dizaine de minutes. Jeter le gras et retourner le magret pour le cuire 5 à 6 mn côté chair (également avec les grains de poivre). Laisser reposer quelques minutes pour que la chaleur se répartisse bien par conduction à travers l’épaisseur du magret et que la couleur rosée s’uniformise.
Préparation des navets :
Choisir des navets très frais pour qu’ils soient bien juteux et que la saveur reste bien fraîche (de façon à éviter une trop forte saveur de composés soufrés). Les éplucher, les tourner et les rincer rapidement. Les précuire à la vapeur ou au micro-ondes environ 8 mn de façon à ce qu’ils restent très croquants. Les égoutter et les passer à la poêle dans un fond d’huile d’olive à feu d’abord un peu vif pour juste les blondir en surface. Parsemer de piment d’Espelette. Baisser le feu et les laisser fondre en rajoutant un tout petit peu d’eau de cuisson de façon à ce qu’ils ne colorent pas (une dizaine de minutes environ). Arrêter la cuisson de façon à ce qu’ils soient fondant et juteux mais restent quand même croquants, respectant ainsi son paradoxe de naissance.
Dressage
Les cuissons doivent se terminer en même temps. Découper alors le magret en lamelles de 2 à 4 mm d’épaisseur. Mettre au centre de l’assiette un navet. Disposer le magret en rosace. Servir les navets d’accompagnement en pyramide sur une petite assiette d’accompagnement.

 Pierre-Marie Théveniaud