Alors que notre président « normal » a été intronisé à Washington et Chicago par la Confrérie des pragmatiques, il est temps de s’intéresser un peu à nos candidats à la députation. Nous le ferons sous l’angle particulier de la culture, domaine dans lequel le nouveau pouvoir a déjà donné un mauvais signal : la nomination de Pierre Lescure comme successeur de son ancien bras droit Denis Olivennes à la tête d’une énième commission pour l’avenir de l’Hadopi, la nouvelle gendarmerie (privée) de l’Internet. C’est-à-dire une nouvelle fois la nomination d’un représentant fut-il de gôche des industries culturelles là où l’on attendait une personnalité moins dépendante des intérêts de cette industrie.
Selon Wikipedia, Pierre Lescure est administrateur de la société Havas, dont le patron, Vincent Bolloré a de grandes ambitions dans le domaine des média, et accroît régulièrement ses parts dans le groupe Vivendi-Universal. Pierre Lescure est administrateur du groupe suisse Nagra, qui a mis au point les décodeurs Canal+. Dans son dernier rapport annuel, le groupe Nagra-Kudelski indique que « parmi les opportunités de développement identifiées, le Groupe Kudelski a pris la décision d’investir de façon sélective dans les deux secteurs que sont la cybersécurité et la valorisation de la propriété intellectuelle ».
Pierre Lescure prépare enfin l’avènement de la télévision dite connectée, une combinaison de la télévision avec les technologies des réseaux sociaux, nouveau pas vers le libre abrutissement de soi-même par soi-même.
Alors que les lobbies des industries culturelles comme d’ailleurs du nucléaire sont à la manœuvre, nous devrions nous contenter de bien voter. Et si ce temps-là commençait à être révolu ?
Je suis un peu tombé des nues en lisant dans les engagements du candidat PS à la députation dans ma circonscription le texte suivant :
« La culture est le domaine de la transmission des valeurs [en gras et en rouge dans le texte]», disait Malraux, et ces valeurs sont le ciment de notre société. Pour mon pays, mon territoire, mes concitoyens, je veux une culture du rassemblement des français ».
Ah Malraux ! Il nous avait déjà été servi par l’ancien gouvernement pour nous vendre la « culture pour chacun », alors qu’il n’y a de culture que partagée, le voici à nouveau, instrumentalisé cette fois par la nouvelle majorité. Et ce n’est pas mieux. Surtout, le texte de notre candidat n’est pas du Malraux. Et nous sommes dans un contexte totalement différent. Mais commençons par la fin : « la culture du rassemblement »
Si on veut de la culture du rassemblement, il suffit d’organiser des matchs de foot , ou des Nuits des mystères dans les musées, des festivals ou des rallyes automobiles, des « vu à la télé » dans les théâtres dont la seule référence à la culture est précisément d’être une culture de rassemblement. On se compte et on est content d’être nombreux. Disant cela, je ne méprise pas les moments festifs mais tous les rassemblements ne sont pas festifs comme l’histoire nous l’a montré et nous parlons ici d’une définition de la culture dans un territoire.
Je passe sur la stupidité d’une culture qui ne rassemblerait que des français.
Bien entendu, la culture constitue la substance même du vivre ensemble et, en ce sens, la culture rassemble, mais il est dangereux de ne pas préciser autour de quelles valeurs on se rassemble. On peut vivre ensemble selon des normes managériales qui deviennent la norme de la société y compris dans la communauté éducative ou dans des relations humaines vivantes qui, elles, ne sont pas forcément exemptes de conflits. La culture doit pouvoir être dissensuelle sinon elle ne vit pas.
On peut aussi se rassembler entre français contre l’étranger. Or, l’un des critères d’une culture civilisée tient précisément à la qualité de son hospitalité et à la capacité de prendre soin des fragilités humaines, de l’enfant ou du vieillard.
« La culture est le domaine de la transmission des valeurs », disait Malraux, écrit notre candidat. Il aurait pu, puisant à la même source, trouver quantité de phrases du même type. Ainsi aurait-il pu par exemple écrire:
– « Que chaque civilisation apporte ses valeurs, nous le savons tous », disait Malraux ;
– ou bien :
« Les valeurs profanes ne se sont nulle part substituées aux valeurs religieuses », disait Malraux ;
– ou encore:
« Dans une civilisation religieuse, ce qui assure la vie des valeurs, c’est la religion elle-même. », disait Malraux ;
– et pourquoi pas :
« Dans sa lutte contre les puissances de l’instinct, la culture n’est pas l’accumulation des valeurs du passé, elle en est l’héritage conquis », disait Malraux.
Malraux a dit tant de choses. La gauche n’a-t-elle plus d’autre référence ?
Toutes ces phrases sont extraites du même discours prononcé par André Malraux lors de l’inauguration de la Maison de la Culture de Grenoble, le 13 février 1968
Quel que soit le point de vue que l’on adopte, il fut au moins concéder à Malraux que son discours a un fil conducteur, une cohérence. En extraire un petit bout est risqué.
« La culture est le domaine de la transmission des valeurs », disait Malraux
Mais de quelles valeurs s’agit-il ? Des valeurs marchandes ou des valeurs non marchandes, des valeurs qui ont un prix ou de celles qui n’ont pas de prix, des valeurs de partage ou de propriétés, des valeurs d’émancipation ou de soumission, des valeurs corporatistes, traditionalistes, conformistes ou progressistes, créatives, inventives ? De quelles valeurs parlons-nous ? De celles qui ne se transmettent plus ?
Et d’ailleurs, il y a transmission et transmission.
Dans le passage dont est extrait la citation du tract électoral, Malraux précise qu’il ne s’agit pas de transformer la culture en « musée des valeurs » mais par la création d’en transformer sans cesse l’héritage. Il faut donc faire attention car, à trop vouloir cimenter, on risque de se prendre les pieds dans le béton et de ne plus pouvoir bouger.
La culture c’est aussi et peut-être d’abord la création contemporaine, qu’elle soit artistique ou autre, qui permet de comprendre ce qui est entrain de se passer.
Je viens d’une tradition où il était courant de définir la culture comme ce qui permettait de se comprendre soi-même dans son rapport aux autres et au monde. Cette définition en vaut une autre. Elle me permet cependant de dire que dans toutes ces dimensions, elle est à repenser intégralement car elle est remise en cause dans sa totalité par la révolution numérique.
La culture, c’est ce qui devrait permettre de penser ce monde qui vient, d’inventer demain.
Ainsi s’achève notre série Pour ne pas voter idiot
Voir le précédent ou celui d‘avant ou encore.