Télésurveillance et servitude volontaire

La Boetie  Servitude volontaire ES

Vive la sérendipité ! La sérendipité , vous connaissez ? Cela consiste à trouver au bon moment quelque chose que l’on ne cherche pas mais qu’il y avait là à portée de soi. La sérendipité, j’adore. C’est ainsi que récemment en cherchant un livre dans ma bibliothèque je suis tombé sur une vieille édition du Discours de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie.

En la feuilletant je suis arrêté sur l’extrait ci-dessous.

«Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps et n’a autre chose que ce qu’a le moindre homme du grand nombre infini de vos villes, sinon qu’il a plus que vous tous, c’est l’avantage que vous lui faites pour vous détruire. D’où il a pris tant d’yeux dont vous épie-t-il, si vous ne les lui donnez? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les prend de vous? Les pieds dont il foule vos cités, d’où les a-t-il, s’ils ne sont les vôtres? Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous, que par vous autres mêmes? Comment vous oserait-il courir sus, s’il n’avait intelligence avec vous ? .. vous pouvez vous en délivrer, si vous essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire. Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou le branliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé la base, de son poids même fondre en bas et se rompre.»

La Boétie Discours sur la servitude volontaire

On peut trouver le texte en accès libre dans une trasposition en français moderne l’égèrement différente à l’adresse suivante ( au format word c’est page 17).

450 années plus tard, on peut lire ceci dans un livre paru récemment sur laffaire Snowden

… à mesure que nous déléguons nos responsabilités citoyennes et notre libre arbitre à des machines et à leurs opérateurs indiscrets agissant au nom de la sacro-sainte sécurité intérieure, à mesure que nous donnons notre blanc-seing aux services de renseignement pour fouiller nos petits secrets et que nous restons silencieux face à ces évolutions démocratiquement inacceptables, le pouvoir (politique, militaire, technologique, etc.) prend le pas sur le droit, la capacité d’agir sur la légitimité et la légalité de l’acte, la realpolitik sur la justice internationale.

L’affaire Snowden. Comment les États-Unis espionnent le monde par Antoine Lefébure, La Découverte, février 2014

Au regard de cela, on peut dire que ceux qui en ce moment poussent des cris d’orfraie sur quelques écoutes téléphoniques se contrefichent de nos libertés. Ils défendent celles des puissants et leur insolence.
Bien sûr derrière la mécanique de servitude se profile une industrie qui avec des complicités politiques fortes possèdent de puissants appâts notamment celui d’une illusoire sécurité.
Mais cela n’efface pas la responsabilité de chacun. D‘où il a pris tant d’yeux dont vous épie-t-il, si vous ne les lui donnez? Demain la caméra de surveillance de votre bureau de tabac sera connecté à celles des rues et des places que vous traverserez. Et un robot déterminera, en fonction du journal que vous achetez et la vitesse à laquelle vous vous déplacez, votre degré de “dangerosité”.
Cela ne se fait pas malgré vous
Qui échange sa liberté contre de la sécurité perdra au final et les unes et l’autre.