L’irréversible a été commis.
Après les incendiaires, ce fut au tour des démolisseurs d’effacer du patrimoine industriel mulhousien, pendant les fêtes de fin d’année, l’un de ses fleurons : l’ancienne filature »à l’anglaise » de 1812. Ce patrimoine appartenait aux mulhousiens. Les intérêts spéculatifs privés l’ont emporté avec la complicité de la municipalité.
J’avais dans mes archives une photo du bâtiment prise en 2010 :
Nous publions ci-dessous la réaction de Marie-Claire Vitoux, historienne, Présidente du Conseil consultatif du patrimoine mulhousien pour qui se pose désormais la question de savoir si l’on peut dialoguer avec des hommes sans qualité.
« Entre Noël et Nouvel An, l’ordre a été donné de démolir la grande filature DMC de 1812. Il n’a fallu que quelques jours pour que de mesquins intérêts locaux à courte vue fassent disparaître un bâtiment deux fois centenaire dans lequel huit générations d’ouvriers avaient fait de Mulhouse une ville monde. Cette destruction d’un bâtiment vandalisé, incendié, squatté depuis un incendie majeur en 2008 parachevait la mutilation commencée en mai 2011 avec la destruction du bâtiment de la machine à vapeur.
La destruction de la filature DMC jette une lumière crue et cruelle sur la petitesse des intérêts et la médiocrité des priorités dans le Mulhouse du XXle siècle. Parce que le CCPM a, tout au long de ses dix années d’existence, alerté sur la valeur patrimoniale exceptionnelle de ce bâtiment, il a le droit, confronté à l’échec de son action, de porter accusation:
– Contre un propriétaire «privé» pour lequel la démolition est l’aboutissement d’une gestion qui visait, depuis au moins dix ans, à récupérer le foncier en le débarrassant des deux bâtiments (la filature et son bloc-vapeur).
– Contre les municipalités qui ont empêché durant ces dix années toute procédure d’inscription à l’inventaire des monuments historiques à l’initiative du CCPM, en arguant de leur volonté de racheter le bâtiment à l’entreprise. Non seulement elles n’ont pas donné suite, mais elles se sont laissées forcer la main pour accorder le permis de démolir du bloc-vapeur. Et par ailleurs, elles n’ont tenté que bien trop tard d’accompagner le propriétaire privé dans une démarche de valorisation respectueuse de la valeur patrimoniale collective de son bien.
Bloc-vapeur et filature ont disparu. Il est des victoires qui déshonorent ceux qui les remportent »
Marie-Claire Vitoux,
Historienne, présidente du Conseil consultatif du patrimoine mulhousien
Ceux qui n’ont pas de respect pour le passé ne l’ont pas non plus pour le présent. Connaissent-ils seulement la valeur humaine du travail de plusieurs générations ?
L’histoire industrielle de Mulhouse débute très tôt. En 1713, la ville se dote d’un directoire du commerce et la première manufacture d’impression sur tissus est fondée par J.J. Schmalzer, Samuel Koechlin, Jean-Henri Dollfus et Jean-Jacques Feer. Que reste-t-il de visible de cette première manufacture à Mulhouse ? Je doute même que nos élus puissent avoir une idée de ce que ce patrimoine industriel qui a été démoli depuis des décennies représente pour l’histoire de la ville. La petite chapelle de la Grande Rue (13ème siècle) a été classée (1893) par un maire allemand (Carl Hack) qui officiait à Mulhouse entre 1887 et 1901. Cet homme, grâce auquel Mulhouse peut s’honorer d’avoir un service des eaux efficace, des archives municipales qui tiennent la route et qui a été à l’origine de la plupart des infrastructures de la ville (écoles, Hasenrain, extension du Zoo, aménagement du Tannenwald …) n’est même pas connu par le mulhousien ! La faute à qui ou à quoi ? Non, Mulhouse doit faire disparaître toute trace de son passé ouvrier et syndicaliste car cela doit sans doute déranger notre municipalité plutôt tournée vers le “beau” (relatif) choisi par notre service culturel qui coûte une fortune aux mulhousiens. Il faut laisser sa trace, quitte à démolir ce qu’a fait le prédécesseur. Drôle de conception du “vivre ensemble”. Des arches pour le tram, signées Buren, des “alphabets” (illisibles) sous forme de rectangles de couleur, signées Rehberger, des sculptures bizarroïdes, entrant dans la catégorie d’art moderne, le tout, très apprécié par notre adjoint à la culture qui dépense sans compter l’argent du contribuable … mais pour sauvegarder le patrimoine, étudier une reconversion, comme cela se pratique ailleurs (Irlande, Allemagne, Espagne, Italie …), il n’y a pas de budget. Une ville qui renie son passé, n’a pas d’avenir et il est temps de changer la donne avant que cela soit vraiment trop tard !