Actualité aidant, vote à l’assemblée aidant, la loi sur la refondation de l’école a, bien naturellement, disparu des commentaires médiatiques. Les points très largement mis en avant ont concerné massivement le temps scolaire, les redoublements, le nombre de postes, la formation des enseignants, l’enseignement civique et moral… D’autres aspects, qui posent des questions fondamentales quant à l’organisation générale du système, sans doute parce que plus techniques, moins émotionnels donc moins médiatiques, n’ont pas eu l’honneur d’être développés voire abordés. On peut citer le numérique avec l’utilisation prônée de logiciels libres, la question fondamentale des contenus donc des programmes, la grande question du rôle actif de l’institution dans l’origine des inégalités avec le devenir (ou la fin prévue) de tout ou partie de l’enseignement technologique, le rapport entre lycée des métiers, régionalisation et bassin d’emploi, donc le rapport avec les entreprises, la vraie question du redoublement, c’est-à-dire des acquis et de l’évaluation des acquis, donc de l’illettrisme (qui ne frappe pas seulement en sortie d’école primaire), donc de l’évaluation par compétences, liée à la notion de cycles, avec en toile de fond le remaniement de l’ensemble école-collège, la signification du baccalauréat, etc.. A cela, il faut ajouter tout ce que recèle d’ambiguïté, pour le grand public, le terme d’école, école primaire ou Ecole avec un grand E. Beaucoup de vraies questions, donc, même s’il est vrai qu’il faut commencer par l’école primaire et qu’il faudra attendre pas mal d’années avant de retrouver un lycée qui se tienne.
Quelques propos de Marcel Gauchet illustrent ce que doit être la priorité pour une telle réforme (Le Monde – 21.03.2013 Propos recueillis par Maryline Baumard ) :
« Le terme (refondation) est en effet ambitieux. D’un côté, je ne voudrais pas dénigrer le courage politique qu’il y a à faire de l’éducation, sujet peu payant électoralement, une priorité du quinquennat. De l’autre, je pense qu’une vraie refondation demanderait d’aller plus loin dans l’identification des difficultés que rencontre l’école aujourd’hui. Par exemple sur le terrain de ce que veut dire apprendre. »
et, plus loin :
« Il ne s’agit pas de dire que les élèves n’apprennent rien. C’est faux. Les résultats sont aléatoires, comme avant. Ils sont plutôt plus faibles, en raison de la non-mobilisation d’une bonne partie des élèves. Et surtout, ils sont très inégaux socialement. Ils amplifient les écarts culturels d’origine. Parce que nous avons écarté le vrai sujet, qui est le chemin qu’il faut faire parcourir à chaque élève pour le faire entrer dans les savoirs.
Depuis des décennies, nous escamotons le travail sur ce moment crucial où un élève passe de celui qui ne sait pas à celui qui sait. Nous nous épargnons cette réflexion au profit d’une autre, a priori plus alléchante : comment rendre l’école intéressante. Mais nous nous fourvoyons. Si nous ne savons pas ce que nous faisons quand nous transmettons, si une pédagogie véritablement éclairée est à inventer, alors soyons au moins prudents ! Repartons du peu que nous savons, mais qui est sûr, et tâchons d’avancer à partir de là. »
ou, encore :
« Nous sommes dans un moment de culte de l’enfant qui nous masque son expérience réelle. Nous avons besoin de le redécouvrir pour ce qu’il est vraiment. Ce à quoi un enfant aspire sans trop en avoir conscience, c’est à devenir un adulte autonome. Cela ne passe pas forcément par ce que nous croyons être son bonheur immédiat. L’une des plus grandes difficultés pour l’institution scolaire est le regard des parents sur leurs enfants. Ils ont de la peine à admettre qu’il faut en passer par une acquisition de la virtuosité et que cela demande des efforts. Car en lecture, en mathématiques comme en piano ou dans le sport, ce sont bien la répétition et la mémorisation qui donnent ensuite de l’aisance. »
Les campus lycéens professionnels
La labellisation « Lycée des métiers » est une notion déjà ancienne (réforme Mélanchon de 2000 sous le gouvernement Jospin). Elle prend une acuité particulière si on pense à la volonté des divers gouvernements précédents, de droite ou de gauche, de créer des pôles regroupant un secteur de formation orienté dans une direction professionnelle précise, allant du CAP (s’il en reste en tant que diplôme) à un enseignement supérieur court (BTS), régionalisés et en relation avec un bassin d’emploi. Sous le gouvernement précédent, une vague de labellisation a eu lieu. Dans la nouvelle loi, le terme de « lycée des métiers » est remplacé par « campus des métiers » :
« Au-delà de la nécessaire modernisation de la carte de formation, il conviendra de faire émerger des campus des métiers, pôles d’excellence offrant une gamme de formations professionnelles, technologiques et générales, dans un champ professionnel spécifique. Ces campus pourront accueillir différentes modalités de formation (statut scolaire, apprentissage, formation continue, validation des acquis de l’expérience) et organiser des poursuites d’études supérieures et des conditions d’hébergement et de vie sociale. » Assemblée Nationale, texte adopté n° 96 « Petite loi »- Voir également, pour de plus amples informations.
L’orientation est claire. Il s’agit d’adapter la formation initiale avec souplesse au bassin d’emploi, selon une vieille demande des milieux économiques, pour ne pas dire des organisations patronales. Si l’argument de l’employabilité peut éventuellement s’entendre (mais alors dans quel cadre ?), il n’en reste pas moins que peut être évoqué le risque de voir fermer des formations qu’on pouvait qualifier d’ « ascenseur social ». C’était le cas par exemple des formations intitulées autrefois Sciences Médico Sociales qui ouvraient l’accès à des professions sociales, paramédicales, surtout (mais parfois aussi d’autres portes très éloignées de ce secteur comme économie, tourisme, langues, etc.) à des élèves qui ne se sentaient pas de suivre un enseignement général, notamment en section scientifique, niveau en maths, physique ou lettres obligeant. Ces formations sont-elles d’ores et déjà remplacées par un baccalauréat professionnel Accompagnement, soins et services à la personne (ASSP) ? En tout cas le rectorat de Créteil recrute des professeurs de Sciences et Techniques Sanitaires et Sociales non plus pour les sections technologiques mais pour ce bac pro et des professeurs en Sciences médico sociales se voient par ailleurs proposer des reconversions dans ce sens lorsque leur poste est supprimé. Le signe semble clair c omme le confirme la fiche de poste du rectorat consultable, en PDF.
Serait-ce la fin de l’enseignement technologique en tant que tel ? On peut raisonnablement le craindre, avec une organisation lycées des métiers orientés sur un secteur professionnel d’un coté et enseignement général de l’autre, verrouillant finalement encore plus les inégalités sociales. Qu’en sera-t-il alors des passerelles ?
Regroupement collège école primaire
Un bon point pour la loi, qui insiste sur les relations collège-école. En arrivera-t-on un jour à mettre en œuvre les propositions de Philippe Meirieu de regrouper école et collège, avec évaluation en sortie en fonction des orientations choisies ? (voir à ce sujet la chronique « Une chance pour sauver l’école » ) Voilà qui serait une vraie révolution et éviterait que des élèves ne continuent jusqu’au bac, et souvent après, sans avoir acquis les bases nécessaires de la lecture, de l’écriture et du calcul.
Que dit la loi ?
Les relations école-collège
Article 36
Il est ajouté au titre préliminaire du livre IV un article L. 401-4 ainsi rédigé :
Art. L. 401-4. – Afin d’assurer la continuité pédagogique entre l’école élémentaire et le collège et contribuer à l’acquisition par les élèves du socle commun de connaissances, de compétences et de culture prévu par l’article L. 122-1-1, ainsi qu’à la mise en oeuvre coordonnée des programmes, chaque collège et les écoles dont les élèves résident dans la zone de desserte du collège déterminent conjointement des modalités de coopération et d’échange.
Il est institué un conseil école-collège qui propose au conseil d’administration du collège et aux conseils des écoles des actions de coopération et d’échange. Le conseil école-collège peut notamment proposer que certains enseignements ou projets pédagogiques soient communs à des élèves du collège et des écoles. La composition et les modalités de fonctionnement de ce conseil sont fixées par décret.
Après accord du conseil d’administration et des conseils des écoles, les enseignements ou projets communs sont mis en œuvre dans les collèges sous l’autorité du chef d’établissement et dans les écoles sous la responsabilité des directeurs d’école.
Serait-ce donc un premier pas ?
Les programmes
Enfin ! Un conseil Nationale des programmes va être recréé ! Le ministre lui-même avouait qu’il ne savait pas qui établissait les programmes ! Finie donc la cooptation de quelques-uns imposant à une génération entière leur pseudo-pédagogie marketing perverse et leur incohérence ? Enfin un contrôle ? Mais inspecteurs et professeurs cooptés arriveront-ils à s’y soumettre ? Pourront-ils réellement être mis au pas ? Fin de l’approche néolibérale ?
« Art. L. 311-5. – I. – Un conseil supérieur des programmes est placé auprès du ministre chargé de l’éducation nationale.
Il est composé de seize membres désignés pour cinq ans. Il comprend deux députés, deux sénateurs, deux membres du Conseil économique, social et environnemental désignés par son président et dix personnalités qualifiées nommées par le ministre chargé de l’éducation nationale.
II. – Le conseil supérieur des programmes formule des propositions sur :
1° La conception générale des enseignements dispensés aux élèves des écoles, des collèges et des lycées ;
2° Le contenu du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et des programmes scolaires et leur articulation en cycles ;
3° La nature et le contenu des épreuves des examens conduisant aux diplômes nationaux de l’enseignement du second degré ;
4° La nature et le contenu des épreuves des concours de recrutement d’enseignants du premier et du second degrés, la conception générale de la formation des enseignants et les grands objectifs de formation à atteindre.
III. – Il veille à ce que les programmes des enseignements dispensés dans les écoles, collèges et lycées implantés dans les départements et les régions d’outre-mer prennent en compte les propositions émises en application de l’article L. 311-6 pour leur adaptation aux spécificités locales.
IV. – Il établit un rapport annuel sur ses travaux et les suites qui leur ont été données qu’il remet au ministre chargé de l’éducation nationale. Ce rapport est transmis au Parlement et au Conseil économique, social et environnemental. Les avis et propositions du Conseil supérieur des programmes sont rendus publics.
Pédagogie nouvelle et numérique
La défense d’une pédagogie nouvelle sur la base d’une réelle prise en considération de la révolution numérique a été très souvent soutenue dans cette chronique.. A plusieurs conditions : une vraie formation des enseignants au numérique et à de vraies pédagogies nouvelles (et non à un ersatz néolibéral de ce qui a pu être inventé dans le passé) ; ne pas sacrifier les contenus à une approche également néolibérale des compétences comme c’est le cas actuellement ; des moyens (un parc informatique, par exemple, ne peut survivre correctement sans maintenance, ce qui se passe actuellement souvent, sauf bénévolat de quelques professeurs en plus de leur enseignement) ; des logiciels libres à disposition et une logithèque adaptée à des programmes qui, eux, soient aussi cohérents et adaptés au niveau des élèves, sans cependant de concessions intellectuelles. La pédagogie différenciée, abordée dans le texte de loi, peut aussi recueillir raisonnablement les suffrages. Mais l’élève peut-il construire entièrement lui-même ses savoirs ? Que veut dire apprendre ? Quel sens cela a-t-il aujourd’hui ?
Citons de nouveau Marcel Gauchet :
« Ce dont je suis sûr, c’est que nous vivons sur des images et des idées fausses. Nous avons vécu un tournant important dans les années 1970. La pédagogie transmissive fondée sur l’inculcation d’un savoir détenu par le maître à un élève passif a laissé place à une pédagogie active qui fait de l’enfant l’acteur de la construction de ses savoirs. Il y a dans ce renversement un acquis irréversible, mais nous sommes allés un peu vite en besogne. Nous avons fait comme s’il nous livrait les clés des processus d’apprentissage. Or ce n’est pas le cas. La vérité est que nous n’en savons pas grand-chose ! Nos lumières sur le sujet sont embryonnaires. La boîte noire est loin d’avoir livré ses secrets.
Relu à l’aune de ce degré zéro de la connaissance, le virage des années 1970 ressemble à un grand saut dans le vide. Nous pensions avoir un parachute… et nous nous rendons compte au milieu de la descente que nous n’en avons pas… »
Le redoublement et la notion de cycles
La loi se veut « réaffirmer les objectifs de conduire plus de 80% d’une classe d’âge au baccalauréat et 50 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur».La France est la championne du redoublement, dit-on. Supprimons donc les redoublements ! Mais dans quelles conditions ? Pas de redoublement donc un illettrisme perpétué parfois jusqu’au bac et après ? C’est, de fait, ce qu’on observe actuellement, en tout cas dans un certain nombre de lycées. Des élèves décrochent ? Gardons les dans les murs ! Ils ne sont plus décrocheurs puisque officiellement présents en classe. Combien passent obligatoirement au bénéfice de l’âge ? Combien se sont ainsi traînés jusqu’à un bac sans la maîtrise des bases élémentaires de calcul, de lecture et d’écriture, comme déjà précisé plus haut ?
Si, à tous les niveaux, comme le dit la loi, des dispositions sont prises, alors on peut approuver :
« Art. L. 311-3-1. – A tout moment de la scolarité obligatoire, lorsqu’il apparaît qu’un élève risque de ne pas maîtriser les connaissances et les compétences indispensables à la fin d’un cycle, les équipes pédagogiques mettent en place des dispositifs d’aide. Les modalités en sont précisées, après consultation des parents ou du responsable légal de l’élève, et peuvent être formalisées dans un projet personnalisé de réussite éducative sous la responsabilité du directeur d’école ou du chef d’établissement. »
Une structuration de l’enseignement par cycles (comme le souligne le projet de loi), mais alors avec unités capitalisables et réelle vérification des acquis en fin de cycle en vue d’une orientation vraie devrait effectivement offrir une plus heureuse perspective. Une vraie vérification ! Rappelons, juste pour l’exemple, que l’évaluation « se ramène le plus souvent à « avoir entendu parler » des choses (1e niveau d’évaluation dans la réforme ST2S), autrement dit être branché sur l’activité communicationnelle ». –De la destruction du savoir en temps de paix – D’après Corinne Abensour, Bernard Sergent, Édith Wolf, Jean-Philippe Testefort – Mille et une nuits.
Une telle perspective impose d’oublier les actuels bilans de compétence dont tous connaissent l’inefficacité, voire la malfaisance. Cela impose aussi de ne rien sacrifier aux contenus et que tout soit accompagné d’une vraie approche pédagogique.
Nous sommes à une période charnière où tout est possible. La refondation passe obligatoirement, pourcentage d’illettrisme oblige, par un travail dans la durée en commençant par le primaire. On ne pourra bénéficier au lycée des réformes engagées au niveau du lycée que dans une dizaine d’années. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Les enjeux vont bien au-delà qu’une gestion des rythmes scolaires au sujet desquels il ne peut y avoir honnêtement qu’adhésion (après tout, avant 2008…). C’est toute une vision de la société qui est en jeu. Et c’est, au delà même de le fin de l’humanisme tel qu’on l’a jusqu’ici connu, un enjeu de démocratie et de liberté.
Le Gypaète barbu