Sauver l’école (2) / Pour prolonger la réflexion

En ce qui concerne l’Ecole, c’est-à-dire tout le système, de la maternelle à l’université, beaucoup refusent de voir l’extrême gravité de la situation actuelle. L’omerta règne toujours. Or la révolution du numérique offre justement la possibilité de sortir de l’impasse en reprenant tout à la base. Certes, il faudra sans doute bien une bonne dizaine d’années pour retrouver un univers scolaire un peu moins délétère qu’il ne  l’est aujourd’hui ; à condition qu’une véritable volonté politique s’affirme en ce sens et que tous soient bien conscients du problème, sachent et veuillent s’engager dans une nouvelle voie thérapeutique.

Au vu de l’intérêt et de la richesse réflexive des entretiens proposés dans « L’école, le numérique et la société qui vient », ouvrage qui a fait l’objet de la dernière chronique, il apparaît utile de proposer d’en prolonger la réflexion personnelle de chacun en faisant appel d’une part à la présentation par l’un des auteurs du livre, Julien Gautier (ci-dessous),  et, d’autre part, par quelques citations dont certaines sont mises en relation avec nos propres contributions.

Les quelques citations qui suivent, comme tout extrait, ne rendent bien sûr pas compte de l’intégralité et de la précision du discours de chacun des auteurs. Elles ne rendent pas compte non plus de l’ensemble des propositions faites pour sauver l’Ecole. Réductrices par essence, elles n’ont pas comme but un zapping malfaisant mais, au contraire et de manière totalement subjective et un peu impressionniste, de jouer un rôle de hublot destiné à ouvrir vers sa ou ses propre(s) pensée(s) et, si affinités, de donner envie de provoquer le débat.

« On n’apprend  pas à apprendre en apprenant rien » (P. Meirieu p.60)

« On pose le problème de manière partielle et abstraite lorsqu’on résume la démocratisation de l’école  au simple accès de tous à un même niveau de certification. Les statistiques avantageuses su baccalauréat masquent, dans certaines filières, un abaissement continu du niveau réel d’exigences » (Denis Kambouchner p. 76)
(Rappelons, comme cela a été dit dans de précédentes chroniques, que, dans certaines filières et certaines académies, des notes, au baccalauréat, sont modifiées après correction de façon à obtenir un pourcentage de réussite déterminé à l’avance par l’inspection.)

« Terrible cohérence au service de ce qui n’est probablement pas un complot – nul ne peut prétendre en tirer les ficelles – , mais qui apparait bien comme une conspiration – au sens étymologique du terme « ce qui respire ensemble » -, et peut se résumer en une formule : l’interdit de penser. » (P. Meirieu p.161 à propos du pseudo modernisme pédagogique et de la conception libérale du monde)

« … si l’on commençait par concevoir l’apprentissage des mots comme un enseignement exigeant et fondamental … on aurait déjà fait de grands progrès dans la justice sociale et dans la démocratisation » (D. Kambouchner p.77)
(Cf la chronique de juillet 2008 « Des mots pour ne pas pouvoir le dire »

 «  … l’événement pédagogique … dépasse la simple acquisition de connaissances ou de compétences. Il relève d’une démarche initiatique irréductible à toutes les fonctionnalités sociales. Le professeur n’est plus là un prestataire de service sur le marché des certifications. Il devient, à proprement parler, un médiateur d’humanité. » (P. Meirieu p. 174)

 « La formation des maîtres ne leur permet pas de devenir des êtres de culture » (P. Meirieu p.40)
(Il suffit de voir comment sont maintenant cooptés chefs d’établissements et professeurs pour certaines tâches et dans certaines sections pour s’en rendre compte -cf Le véritable enjeu de l’autonomie des établissements in lewagges.fr – chronique du 04/02/2012 )

« … n’est objet d’enseignement que ce qui produit de la cumulativité, que ce qui est inscrit dans l’histoire de la discipline. Cette cumulativité, qui s’effectue à travers la transmission intergénérationnelle, s’inscrit dans une histoire des savoirs. «  (B. Stiegler p. 24)

« En vérité l’enfant apprend bien par lui-même … mais pas de lui-même » (J. Gautier et G. Vergnes p.123)

« Le problème n’est pas celui de la sélection mais du prix à payer en humiliation pour les vaincus. » (P. Meirieu p.89 à propos de l’évaluation et de la question de la sélection)
Cf chronique de janvier 2009 : La perte de tout sens ou de la souffrance en milieu lycéen

« Des savoirs techniques sauvages, pourrait-on dire, non rationnels, non théorisés, non policés ni critiqués, en fin de compte non pensés par l’institution qui serait capable de les intégrer, se développent dans la population ; ce qui crée une situation tout à fait problématique pour les enseignants, en particulier dans les collèges et dans les lycées. Ces technologies sont produites par le marketing, dans le contexte de guerre en quoi consiste l’économie dite de l’innovation (qui est surtout une économie de la destruction). » … « Ces savoirs techniques se sont pharmacologiquement développés dans la société au sens où ils ont produit …  des processus de destruction des savoirs, parce que c’est le marketing qui en pilote la socialisation ».(B. Stiegler p.28)

« Il faut que le maître enseigne en interrogeant toujours ses propres savoirs du point de vue de la vérité pour que l’élève se les approprie avec l’exigence de la vérité. C’est cela qui permet de se dégager de la ‘ pédagogie bancaire ‘  .. quand les savoirs ne sont plus des biens qu’on échange sur un registre marchand, mais des représentations partagées du monde … » (P. Meirieu – p.167)

« Le marketing a réussi  à installer une véritable inversion des rapports intergénérationnels.(…) La refondation de l’école, qui  suppose une refondation de l’université, doit conduire à un contrat intergénérationnel où se reconstitue l’autorité des savoirs … et la confiance de la société en elle-même, et transformée par elle-même adoptant les nouvelles rétentions tertiaires de façon raisonnée, et non s’y adaptant selon les injonctions du marketing ». (B. Stiegler – p. 199)

« On vient aujourd’hui en classe comme on entre dans une salle de séjour où la télévision est allumée ». (P. Meirieu – p. 170)

« Dans ce nouvel âge tendanciellement obscurantiste qui privilégie de manière excessive et même toxique le temps court et oublieux de la consommation et de la distraction immédiates, la volonté assumée de former a contrario des esprits réfléchis, cultivés, capables d’attention durable et d’approfondissement, rationnels et sensibles – c’est-à-dire in fine libres -, … pourrait constituer un objectif mobilisateur pour l’institution et l’ensemble du corps social » (Un « New Deal » pour l’école – J. Gautier & G. Vergne – p. 108)

« Pour bâtir une telle école, la première condition est de disposer de professeurs capables d’en porter l’ambition. Or, pour être en mesure de former leurs élèves de manière rigoureuse aux savoirs et aux grandes œuvres de l’humanité, de les y orienter et de leur en donner le goût, il faut qu’eux-mêmes y aient été très solidement formés, ce qui n’est sans doute pas ou plus assez le cas aujourd’hui ». (« Des maîtres numériques cultivés et libres – J. Gautier & G. Vergne – p. 110)

Le Gypaète barbu

 L’école, le numérique et la société qui vient par Denis Kambouchner, Philippe Meirieu, Bernard Stiegler,  avec la collaboration de Julien Gautier et Guillaume Vergnes est paru aux éditions des Mille et Une Nuits. Il est disponible également en format numérique.

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