Main basse sur l’école publique !

“Présentant ses vœux de Nouvel An au monde de l’enseignement, jeudi 5 janvier, au Futuroscope à Poitiers (Vienne), sur le territoire de l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, le président de la République a voulu faire connaître la charpente de ce qu’il propose de continuer à construire après 2012 si les Français le lui permettent. Pour une restauration de l’autorité dans une école républicaine, voilà l’esprit qui se dégage du long discours que M. Sarkozy devait prononcer.” (Le Monde – 6 janvier 2012 )

 

Entre recrutement des chefs d’établissements par les Recteurs d’Académie, recrutement des professeurs directement par le chef d’établissement, contrats d’objectifs déterminés au niveau même des établissements, rémunération en partie aux résultats et entretiens de carrière, la mise en œuvre d’une politique néolibérale à l’Education Nationale n’est absolument pas de l’ordre des propositions de campagne présidentielle. Depuis une vingtaine d’année déjà la machine est sournoisement et secrètement opérante. Et au moment où les voeux au monde éducatif sont prononcés par le Président de la République, il est bon de relire Main basse sur l’école publique d’Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi paru il y a déjà presque 4 ans, en août 2008, aux éditions Demopolis.

Ces deux auteurs, se basant sur une documentation et des faits extrêmement précis, montrent comment, depuis une vingtaine d’année, est mise en œuvre une attaque en règle mais sournoise contre le service public qu’est l’Education Nationale. Ils montrent comment des projets, portés par la frange extrémiste de l’école privée catholique et des organisations liées à l’Opus Dei et au Club de l’Horloge concordent avec l’approche néolibérale pour proposer des réformes par palier dont la correspondance exacte avec celles qui sont mises en place depuis quelque temps est plus que frappante et dont quelques éléments ont été cités plus haut. A ces éléments il faudrait ajouter pour l’exemple : la mise en place d’une possibilité de pédagogie différente selon les établissements ; la suppression de la carte scolaire ; la suppression des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres ; la mise en place de Lycée des Métiers, actuellement simple label de qualité mais dont l’avenir sera d’être régional et non plus national (ce qui peut éventuellement s’admettre). Basé sur un bassin d’emploi de façon à répondre au mieux aux nécessités économiques, c’est une demande très ancienne des organisations patronales. Les professeurs de lycée professionnels, il y a dix ou quinze ans, s’étaient d’ailleurs longuement battus contre une telle réforme. Ce combat dont l’intérêt n’avait malheureusement pas été compris par le reste du corps enseignant, a laissé alors ces collègues dans un isolement néfaste. Maintenant tout est en place et les professeurs de ces lycées labellisés sont priés d’aller à la chasse aux partenariats divers, notamment en direction des entreprises, qui vont ainsi voir leur ancien souhait de rentrer dans les écoles enfin exaucé. Ces professeurs ne peuvent plus vraiment enseigner mais sont largement employés comme agents recruteurs d’élèves (professeurs de lycée chargés de faire la tournée des collèges), animateurs de centre aérés ou éducateurs et, maintenant, agents commerciaux chargés finalement, et de fait, de trouver de nouveaux financements.

A la mise en œuvre de ces réformes on trouve, comme par hasard, un récent ancien ministre de l’Education Nationale, M. Xavier DARCOS, fondateur de l’association Créateur d’écoles. Les textes fondateurs de cette organisation affirmaient clairement qu’il ne fallait pas attaquer l’Education Nationale de front, mais petite touche par petite touche, “en permettant d’importantes innovations au niveau des établissements“, quitte à mettre vingt ans pour parvenir au but final. C’était au début des années 1990, il y a vingt ans ! Ainsi le bulletin n°1 se donnait pour objectif  “l’identification des verrous et les moyens de les faire sauter“. Par verrous il fallait lire entre autres : les problèmes juridiques et financiers, la gestion des personnels, les outils pédagogiques, l’affectation des élèves, leur affectation, les programmes d’enseignement…   Curieusement ces textes, qu’on pouvait facilement trouver sur internet, en ont disparu. Eddy Kahldi et Muriel Fitoussi citent également d’autres personnalités à l’origine de Créateurs d’écoles dont, par exemple, MM Guy Bourgeois, directeur de cabinet de plusieurs ministres de l’Education, Maurice Quenet, Recteur de l’académie de Nantes, de Créteil et de Paris entres autres et à l’époque de cette fondation, apparemment secrétaire en 1975 du Club de l’Horloge, conseiller en 2002 au cabinet du ministre délégué à l’Enseignement scolaire Xavier Darcos et, last but not least, Dominique Antoine, de 2007 à 2009 conseiller Education de l’actuel Président de la République et chargé en plus du dossier culture et communication! (Rappelons que le système CLAIR a été mis en place dans une grande discrétion à la rentrée 2010 et élargi à la rentrée 2011 en programme ECLAIR, incluant l’école primaire.)

Le néolibéralisme conduit à une approche de l’école (au sens large, c’est-à-dire incluant collèges et lycées) entièrement consumériste, donc à sa marchandisation. Les projets de chèque éducation, soutenus notamment dans le rapport Attali en sont une vraie caricature. Dans un tel projet, plus d’argent directement aux établissements, mais transfert du financement des établissements aux parents, grâce à un chèque éducation attribué à chaque élève, aux parents de choisir “librement” l’établissement qu’ils désirent, public ou privé. On ne peut mieux faire pour transférer l’argent du public vers le privé. On ne peut mieux faire non plus pour renforcer les inégalités sociales. Et c’est là, bien sûr, une demande ancienne et insistante du privé déjà cité, sous prétexte bien évidemment  d’une sacro sainte (c’est le cas de dire !) liberté de choix. Les réformes des divers programmes, notamment dans les disciplines scientifiques, en sont également une grande illustration, qui sont fondés non plus sur l’acquisition de savoirs mais sur ce qu’on peut appeler, en les regardant de près et en lisant les manuels, une grande entreprise de marketing pédagogique. Certains ne peuvent que créer une grande confusion dans l’esprit des jeunes, en mélangeant toutes les notions sous prétexte de les intéresser, instaurant une destruction psychique qui bloque  ainsi toute possibilité d’apprentissage avec les résultats qu’on commence maintenant à connaître. Mais apprend-on dans tous les établissements de la même manière ?

On pourrait admettre une forme d’autonomie des établissements et la fin du collège unique, d’autres types d’évaluation (à la fois des savoirs et des compétences, formatives et sommatives sans opposition manichéenne), s’il s’agissait de mettre en œuvre tous les moyens permettant de réduire les inégalités sociales, alors que tout est fait, depuis plus de 20 ans pour la renforcer, d’arrêter la destruction psychique de notre jeunesse et de remettre en route l’ascenseur social dont on a aujourd’hui coupé les câbles.

Gestion managériale de l’Education, école à deux vitesses avec un renforcement encore jamais vu des inégalités, mise en concurrence déloyale entre public et privé, grâce à des campagnes de dénigrement bien orchestrées, privatisation rampante (avec la suppression des IUFM et des stages de formation, certains organismes privés, dans lequel on retrouve en fait des personnels du public, proposent pour plus de 600 euros la semaine de coaching aux nouveaux enseignants), tout cela est bien actuel et non pas une vision du futur contrairement à ce d’aucuns veulent faire croire. Tout est déjà en place !

Un des grands effets pervers de ce qui se passe actuellement est qu’il devient impossible de critiquer le néo pédagogisme et de soutenir une pourtant bien nécessaire défense de l’intelligence et des savoirs, donc de la démocratie, sans la culpabilité de voir superposer son propre discours à celui d’une extrême droite délétère.

Qui veut vraiment tuer son chien lui inocule la rage !

Le Gypaète barbu

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3 réflexions au sujet de « Main basse sur l’école publique ! »

  1. Certains, après la sortie de « Main basse sur l’école publique », n’ont pas voulu croire, au moins dans un premier temps, dans la radicalité des postulats et parti-pris idéologiques qui avaient présidé, comme nous le dénoncions alors, aux mesures initiées par Xavier Darcos. Puis la « fusée des réformes » a décollé, et les yeux de nombreux citoyens, au-delà même de la communauté éducative, ont été décillés. Les atteintes graves au service public d’éducation se sont succédées à un rythme infernal, de la suppression annoncée de la carte scolaire à une survie problématique des IUFM et des maternelles, de la confirmation, pour les communes, d’une obligation de chèque-éducation au bénéfice des établissements privés, au plan banlieue encourageant la création de nouvelles écoles privées catholiques, en passant, bien sûr, par des suppressions de postes d’enseignants (dont les RASED) planifiées sur au moins deux années, par dizaine de milliers, entraînant, ici, des suppressions de classes et même d’écoles, là, l’explosion des effectifs par classes, pour le public.
    Sortie en décembre 2011 : La République contre son École

    • Je lirai avec grand intérêt “La république contre son école”. Mais je profite de l’occasion pour faire état de quelques réflexions. Tout d’abord, la destruction de l’école au sens large ne passe pas seulement par des réformes structurales. De manière beaucoup plus insidieuse, une lutte est menée depuis plus de 20 ans contre l’intelligence (cf chronique “Tu ne mangeras point du fruit de l’arbre de la connaissance”). Cette lutte est passée notamment par les programmes, mais aussi par la formation des enseignants. “Intellectuel” est une insulte actuellement proférée contre eux. Cela, à mon avis, en dit long. Or, dans la pratique quotidienne, je n’ai pas vu beaucoup d’enseignants réagir à ce qu’on leur demande de faire, que ce soit dans les salles de professeurs ou dans les formations auxquelles ils participent et auxquelles j’ai personnellement cessé depuis longtemps de donner ma caution de formateur. On est donc arrivé, au niveau des établissements, et donc des élèves, à une fracture intellectuelle extrêmement frappante dont la gravité ne semble gêner personne. Comment des professeurs peuvent-ils ne pas réagir ? Comment peut-on encore assumer une grève bimensuelle qui ne tienne aucun compte de cette destruction psychique d’une grande partie de la jeunesse, dont nous sommes parmi les grands acteurs ? Comment avons-nous pu accepter que, dans un certain nombre de disciplines, ce qui reste de contenu soit établi par les grandes multinationales et/ou une morale publique plus qu’orientée et d’être les rouages essentiels d’une telle transmission ? L’ignorance peut-elle être une excuse ? Comment des enseignants peuvent-ils ne pas se poser de questions ? Notamment celle de la libre pensée, c’est-à-dire de la formation d’un citoyen libre ayant les moyens intellectuels, à quelque niveau que ce soit, de sa propre pensée ? Comment ne pas se poser la question de la souffrance ainsi induite ? A moins que ceux qui se posent ce type de questions ne soient trop isolés ou … ne soient déjà partis ?
      A cela il faut rajouter qu’un discours sur l’intelligence et sur les savoirs se superpose à celui de la frange la plus réactionnaire, voire de l’extrême droite, et qu’il est donc difficile de le tenir (c’est le cas par exemple des fameux fondamentaux) bien que les analyses et les solutions soient totalement divergentes.
      Cela pose donc la question de l’action. Compter sur les syndicats ? Au vu des différents accords qu’ils ont pu signer ces dernières années, des différents mots d’ordre de grève, il y a lieu d’être plus que pessimiste ! Avec le type de recrutement actuel, de cooptation pour la rédaction des ouvrages, des sujets d’examen ou des vice-présidence de jurys, là encore il y a lieu d’être pessimiste puisqu’arrivent sur le marché les plus dociles et les “moins-pensant”. La conformité au discours et aux connaissances officielles, même fausses, caractérisait les concours, mais il restait quand même une garantie de niveau disciplinaire et seules les grandes gueules vraiment gênantes pouvaient être l’objet de harcèlement, de la part de leurs collègues petits chefs (car cela existait déjà il y a plus de 20 ans, notamment dans l’enseignement technologique) et de blocage de carrière.
      La résistance individuelle n’a aujourd’hui plus aucun impact, notamment au niveau de nos élèves. Les choses sont en place et bien en place. La question reste donc de trouver de nouvelles voies pour ne pas céder à cette attaque en règle de la démocratie. Des voix s’élèvent aussi, quand même, mais en bien petit nombre et bien trop dispersées. La question reste donc de ce qu’il faut réinventer.
      Le Gypaète barbu

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