Formation et patrimoine, le mépris d’une ministre

En l’absence de réponse de la ministre de la culture à une précédente lettre ouverte, sous l’action de l’association des élèves et anciens élèves de l’Institut National du Patrimoine, une pétition vient d’être lancée sous l’intitulé : Aidez les étudiants restaurateurs du patrimoine à défendre leur future profession (à signer ici). Au-delà de cette problématique de formation et de définition de profession, de l’avenir de ces étudiants, c’est tout le rapport d’un pouvoir à la culture, au savoir en général, à la jeunesse en général et à une certaine destruction du patrimoine qui est en cause.

Il y a plus de 6 mois, cette lettre ouverte et une pétition initiée par la profession étaient donc adressées à Madame Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication sur un intitulé d’alerte au ton grave en rapport avec la réalité : ALERTE ! LES RESTAURATEURS DU PATRIMOINE SONT EN DANGER LES OEUVRES D’ART SONT EN DANGER.  (voir chronique Faut-il craindre une ubérisation de la conservation du patrimoine ?)

Le journal de la culture -15 mars2016 – France culture.

Un silence coupable

Aucune réponse n’a été donnée, du moins à la lettre des étudiants. Un tel silence ne peut être compris que comme une attitude d’ignorance volontaire très méprisante. On ne l’aurait pas attendue, a priori, de la part d’une ministre de la culture d’un gouvernement dit de gauche en ce qui concerne le patrimoine et sa conservation (ici réellement en jeu) ; encore moins en ce qui concerne une jeunesse plus qu’inquiète de son avenir là où ces formations de très haut niveau, de fait pratiquement déniées en France, sont au contraire très appréciées à l’étranger. Le gâchis en matière de ressources humaines (si tant est qu’on puisse accepter qu’un être humain soit réduit à une ressource !!!) que représente une telle attitude et une telle absence volontaire de politique dans le domaine sont plus qu’insupportables : elles sont vraiment inquiétantes. Il est vrai que le patrimoine n’est pas la préoccupation première de ce gouvernement à l’orientation de fait néolibérale. D’ailleurs, dans un autre cadre, le décret publié au mois d’août par Madame Ségolène Royal, ministre de l’environnement, en dit tout aussi long qui oblige à une isolation extérieure toute habitation faisant l’objet de travaux de ravalement sauf si “Le maître d’ouvrage justifie de la valeur patrimoniale ou architecturale de la façade et de la dégradation encourue, en produisant une note argumentée rédigée par un professionnel mentionné à l’article 2 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture”, bien sûr moyennant rémunération à hauteur de l’établissement du susdit rapport. Adieu, belles maisons à colombage recouvertes de revêtement en polystyrène dont chacun connait le caractère écologique ! (voir notamment Canard enchaîné du 17 août). Les préoccupations gouvernementales sont orientées bien ailleurs que vers notre patrimoine.

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Quelle formation pour quelle profession ?

Cela dit, quelle est la réalité ? Il est bon de répéter que la restauration ne se réduit pas à un simple bricolage. Elle demande un haut niveau à la fois en histoire de l’art et en sciences (physique, chimie et biologie), et une grande technicité manuelle. L’entrée en formation à l’Institut National du Patrimoine, par exemple, se fait sur un concours exigeant, théoriquement de niveau bac mais en réalité passé 2,3 voire 4 ans après ce bac, pour 5 années d’études dans cet institut. La formation se termine par un mémoire de plus de 200 pages consacré à la restauration d’un objet déterminé, soigneusement choisi. Ce mémoire doit obligatoirement contenir une partie histoire de l’art consacrée spécifiquement à cet objet ; suit un constat d’état et une étude scientifique (physico-chimique, microbiologique, étude des matériaux, etc.) qui mène à une autre partie consacrée aux préconisations en matière de restauration de cet objet et, enfin, la présentation de l’objet restauré.  Car, bien évidemment, l’objet doit être réellement restauré et le jury évalue très rigoureusement la qualité de cette restauration. Le mémoire est alors soutenu devant un jury loin d’être formel et devant un public nombreux. Un tel mémoire demande un travail d’une très grande et permanente intensité et très stressant.

Que dirait-on si polytechnicien ou un gadzart ne pouvait se dire ingénieur ?

Au bout de telles études, on pourrait penser qu’un étudiant soit enfin reconnu dans ses savoirs et ses compétences et donc prêt à s’engager dans une voie professionnelle choisie au départ par un réel désir, accompagné d’un lourd investissement. Erreur ! Contrairement aux pays anglo-saxons, par exemple, chez qui leurs équivalents portent le titre de “conservators“, ces étudiants ne bénéficient d’aucun titre, et donc pas de celui de conservateur (réservé en France  à un autre métier de même niveau et complémentaire du leur s’ils étaient reconnus). Classés récemment parmi les métiers d’arts (une autre profession certes d’excellence dans son domaine mais totalement différente bien que complémentaire) par démagogie et populisme (on retrouve là encore, explicite pour certains, le faux thème des privilèges de l’élite intellectuelle),  ils n’ont pour eux que la validation d’une formation portant habilitation à travailler pour les musées. Que dirait-on si de jeunes polytechniciens ou gadzarts ne bénéficiaient d’aucun titre et surtout pas de celui d’ingénieur ? Les musées n’offrent de toute façon pratiquement aucun poste, contrairement à ce qui se fait à l’étranger. Le choix a été fait de fonctionner selon des offres de marché publique, les marchés, de par leur caractéristique particulière, étant alors attribués finalement pratiquement par décision des services financiers. L’argent contre le patrimoine. Une telle pratique semble par ailleurs incohérente de ce même point de vue financier, sauf à ce qu’elle permet d’éviter des créations de postes. On retrouve là le désintérêt total pour la culture et pour le patrimoine d’un gouvernement plus à l’écoute des lobbys et dirigé par une idéologie néolibérale. Il reste donc à ces jeunes surdiplômés soit à tout oublier et à changer de voie, donc de vie, soit à travailler en libéral, pour des revenus très décourageants (notamment du fait des contraintes financières imposées par le fonctionnement en marchés publics) et sans vraie perspective d’avenir, soit à aller à l’étranger, comme tant d’autres, la France ne leur offrant pratiquement rien après des études d’un tel niveau.

Au-delà d’un cas

Mais, peut-être plus grave encore, on retrouve là le mépris pour les vrais savoirs et les vrais compétences, le mépris pour une vraie formation, la confusion volontaire entre des formations de fait très différentes et, surtout, une coupable indifférence de fait pour la jeunesse, même si dans le cas précis on peut penser, légitimement ou non (au vu du travail fourni), qu’une telle formation reste privilégiée. On retrouve là aussi le même gâchis humain qu’à tous les barreaux de l’échelle, ce qu’on connait parfaitement dans un ministère parallèle, celui de l’Education Nationale.

On ne peut que répéter que comparer la situation française à celle d’autres pays et imaginer ce qu’il en sera en matière de dégradation du patrimoine ne peut que rendre triste et faire se poser des questions quant à la signification et au coût humain, politique et social d’un tel abandon.

Le Gypaète barbu

Nous ne pouvons qu’engager le plus possible à montrer un soutien bien nécessaire en signant cette pétition et, pour ceux qui veulent en savoir plus, en se rendant à l’Institut National du Patrimoine lors des prochaines journées du patrimoine.

 

Pour lire et relire les anciennes chroniques :
dans l’ordre chronologique : ici
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