État d’urgence, la grande résignation.

En ces temps troublés s’exprime une demande d’autorité parfois sourde mais le plus souvent explicite. Et donc tout se passe comme si la question de la reconduction de l’état d’urgence et de son institutionnalisation allait de soi, l’émotion ambiante interdisant toute analyse. D’où résignation, absence de pensée, refus d’analyse face à l’abandon du judiciaire et au glissement de notre démocratie vers un état totalitaire, dont on ne sait que trop ce qu’il deviendrait entre de mauvaises mains. Et ce, malgré les mises en garde expresses et argumentées de personnes les plus averties ou les réactions extérieures au pays. Comment analyser une telle résignation ? Comment nos démocraties en sont-elles arrivées à faire le deuil d’elles-mêmes ?

« Ombre portée de la fondation », écrit Hannah Arendt, la Constitution est la Loi
fondamentale qui scelle le socle des principes essentiels qui régissent notre démocratie.
« La Constitution ne doit pas être un instrument de conjecture politique, alors que la
Nation est sous le coup de l’émotion », rappelle avec force Christine Lazerges, présidente de la CNCDH.
(Communiqué de presse – Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme)

Pierre Rosanvallon* dans Parenthèse, l’émission de Laurence Luret, du dimanche 21 février 2016 intitulée Vivons-nous dans une démocratie rétrécie ?, insiste sur le danger de l’institutionnalisation de l’état d’urgence, notamment par sa banalisation avec son inscription envisagée dans le code pénal. Il est bon de l’entendre :

La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (www.cncdh.fr) insiste de la même manière sur le sujet dans un communiqué de presse du 18 février :

De l’absolue nécessité de rejeter le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, atteinte intolérable aux libertés et droits fondamentaux

 Paris, le 18 février 2016. Alors que le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation est en cours de discussion au Parlement, la Commission nationale consultative des droits de l’homme s’insurge contre la constitutionnalisation de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité, et manifeste sa plus profonde indignation. L’état d’urgence doit demeurer un état d’exception ; le constitutionnaliser porterait lourdement atteinte aux équilibres démocratiques et libertés fondamentales.
« Ombre portée de la fondation », écrit Hannah Arendt, la Constitution est la Loi fondamentale qui scelle le socle des principes essentiels qui régissent notre démocratie. « La Constitution ne doit pas être un instrument de conjecture politique, alors que la Nation est sous le coup de l’émotion », rappelle avec force Christine Lazerges, présidente de la CNCDH.

Inscrire l’état d’urgence dans la Constitution en période de crise aigüe revient à élever un régime d’exception, par définition attentatoire aux libertés et droits fondamentaux, au même rang que les droits de l’homme dont la reconnaissance fut, tout au long de notre histoire, un combat permanent. Constitutionnaliser l’état d’urgence c’est banaliser toutes les restrictions aux libertés avec leurs dérives.
Dans sa formulation, le texte soumis au Parlement comporte de nombreuses lacunes notamment : aucune définition précise des circonstances justifiant la déclaration de cet état d’exception par le chef de l’Etat, aucune limitation dans le temps, aucun contrôle a priori par le Parlement ou par le Conseil constitutionnel, ou encore aucune référence aux droits indérogeables. Tous ces silences ne manquent pas d’inquiéter quant à l’image de la France et quant au respect de ses engagements internationaux.
Constitutionnaliser la déchéance de nationalité, une violation intolérable des principes républicains.
L’inscription de la déchéance de nationalité est de nature à créer des catégories de Français et à les diviser. Drapée dans la lutte contre le terrorisme, cette mesure à l’inefficacité achevée, est inconciliable avec l’article 1er de la Constitution qui proclame que la France est une République qui « assure l’égalité de tous les citoyens ». La Loi fondamentale créerait ainsi, de façon permanente et en dehors de toute référence au terrorisme, des citoyens de seconde zone en stigmatisant les binationaux, alors même que, pour la plupart d’entre eux, cette double nationalité leur est imposée à la naissance.

Si la mesure devait s’étendre aux mononationaux, l’apatridie guetterait. Dans ce contexte, la CNCDH ne peut que rappeler son profond attachement à l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui stipule que « Tout individu a droit à une nationalité ». Dans ces temps troublés, il est impératif de porter haut les valeurs de la République, les équilibres démocratiques et la recherche de la cohésion nationale, et non de les sacrifier.”

Pierre Rosanvallon, dans l’émission citée, rappelle également combien il est grave de voir “abaisser la constitution” en rappelant sa fonction à propos de la déchéance de nationalité :

 

Depuis des décennies, certes, nos démocraties néolibérales se fondent sur le spectaculaire et l’émotionnel. Mais, à force de se laisser endormir, attention à ne pas se réveiller trop tard !!

* Pierre Rosanvallon, historien, sociologue, professeur au collège de France

 

A lire également les récents avis de la CNCDH :

Avis sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation
Avis sur le suivi de l’état d’urgence

Pour rappel :

Les 13 mesures exceptionnelles liées à l’état d’urgence  (LOI n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions) 

  • Interdiction de circulation des personnes ou des véhicules
  • Institution de zones de protection ou de sécurité
  • Interdiction de séjour
  • Assignation à résidence
  • Interdiction, pour la personne assignée à résidence, de se trouver en relation avec certaines personnes
  • Placement sous surveillance électronique mobile
  • Dissolution d’associations ou groupements
  • Fermeture provisoire de salles de spectacle, débits de boissons ou lieux de réunion
  • Interdiction de réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre
  • Remise des armes et munitions
  • Perquisitions
  • Perquisitions par un système informatique ou équipement terminal
    • Interruption de tout service de communication au public en ligne
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