Le légume du mois / Septembre : Les raves / Nostalgie d’une fin d’été

Nous reprenons de l’ancien wagges notre rubrique consacrée chaque mois à un légume accompagné par une recette originale. Nous commençons par les raves.
Le terme générique de rave sert à dénommer plusieurs légumes : céleri rave, rutabaga, betterave, chou rave… Ils sont souvent négligés, voire dévalorisés, notamment depuis que la pomme de terre les a vraiment surpassés, c’est-à-dire au XVIIIème siècle. L’appellation de chou-rave elle-même recouvre d’ailleurs des produits très différents suivant les régions. Dans beaucoup, notamment de l’est, il dénomme un légume rond, vert, dont les feuilles démarrent à sa base. Au cœur du Charollais, par contre, il s’agit d’une racine entre la betterave blanche et le rutabaga. Sa disparition des marchés, et même des jardins en fait un souvenir dont la nostalgie gastronomique frise la mélancolie pour qui se rappelle le goût à la fois suave et assez puissant du ragoût de lapin de garenne au chou-rave. Las, les garennes ont disparus, du moins ceux qui avaient courus toute leur vie et non pas seulement la veille de l’ouverture de la chasse. C’était l’époque d’une chasse vivrière et non militaire, que les moins de 40 ans n’ont jamais pu connaître, où la perdrix, rouge ou grise, le faisan, le garenne et le lièvre ne faisaient que remplacer le poulet, la pintade ou le lapin des autres saisons et qu’il fallait bien tuer aussi puisqu’ils n’étaient pas en morceaux sous emballage à atmosphère contrôlée.

Si le céleri-rave est plus connu en tant que céleri rémoulade des collectivités, on oublie souvent qu’il a aussi sa finesse et peut même atteindre une certaine noblesse, bien cuisiné. Une tranche de foie gras frais poêlé sur son lit de céleri est un vrai délice. A condition, bien sûr de respecter sa cuisson afin de respecter strictement la limite entre fermeté et fondant. Toujours en tranches, il peut aussi accompagner judicieusement un filet mignon de porc.
Le chou rave, lui, peut se manger cru, râpé, du fait de sa douceur. Dans une tradition des régions de l’Est, il peut être utilisé fermenté, comme la choucroute. Il peut aussi simplement se cuire en ragoût, de porc ou de lapin par exemple, même s’il n’est pas de garenne !

Notre recette :
Suprêmes de pintade sur lit de céleri et au chou rave

Ingrédients :
Une pintade fermière qui ait bien gambadé
(si possible quatre à cinq mois pour bien faire !).
Un gros céleri rave.
Un petit chou rave par personne.
Une bouteille de Savagnin du Jura.

Préparation des suprêmes
Prélever les suprêmes (blancs avec l’aile délestée de son aileron). Les cuisses peuvent aussi, si on le désiré être traitées de la même manière ; elles peuvent aussi être traitées ultérieurement, en fricassée à la graine de moutarde, par exemple.
Préparer un fond avec les carcasses : les faire suer dans un fond d’huile d’olive avec carottes, ail et échalote. Saler et poivrer. Mouiller avec un grand verre de Savagnin. Couvrir avec de l’eau. Monter à ébullition et laisser mijoter ¾ d’heure. (La viande laissée sur les carcasses peut être réutilisée ultérieurement, dans une salade composée par exemple).

Cuisson des suprêmes :
Dans une sauteuse, faire revenir les suprêmes (et éventuellement les cuisses) sans trop les colorer. Déglacer au Savagnin et cuire les suprêmes une petite quinzaine de minutes, suivant la qualité de la pintade ; vérifier la cuisson avec la pointe d’une fourchette à deux dents. (Si on utilise aussi les cuisses, il faut réserver les suprêmes et laisser cuire les cuisses une dizaine de minutes avant de rajouter les suprêmes). Lorsque les morceaux sont cuits et bien imprégnés des arômes de noix du savagnin, les réserver, déglacer avec le fond de pintade passé au chinois de façon à avoir un volume de sauce suffisant pour le service. Laisser réduire et lier classiquement (soit au beurre manié, soit à la fécule de maïs).

Cuisson du chou rave
Eplucher largement les choux rave, choisis jeunes, et les couper en quatre quartiers. Les cuire trente minutes dans une eau à laquelle on peut ajouter une ou deux petites feuilles de sauge. Les suprêmes seront préparés pendant cette cuisson.

Cuisson du céleri
Couper des tranches dans la grande largeur et d’une épaisseur de 0,5 à 1 cm. Les cuire dans une eau citronnée pendant 8 à 10 minutes de façon à ce que la cuisson ne soit terminée trop tôt avant le dressage du plat.

Dressage
Disposer une tranche de céleri sur laquelle on pose le suprême. Disposer un filet de sauce au savagnin de chaque côté et en humecter légèrement la surface du suprême. Disposer les quartiers de chou rave, sur lesquels on parsème un peu de piment d’Espelette. On peut rajouter un peu de couleur verte avec un peu de sauge ciselée. On peut servir la sauce parallèlement dans un petit pot à crème individuel.
Servir le même vin que celui de la préparation.

Pierre-Marie Théveniaud

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Tu ne mangeras point du fruit de l’arbre de la connaissance

La connaissance devrait être  normalement au coeur de l’enseignement. Les élèves devraient être normalement dans un établissement scolaire pour apprendre. Il n’y a pas d’intelligence, de compréhension, des choses sans connaissances préalables. Il semblerait cependant qu’aujourd’hui ce problème de la connaissance se pose de manière cruciale, ce qui est un fait tout à fait nouveau. Continuer la lecture

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Patrimoine : le rectangle panoptique de la société disciplinaire


Quel intérêt présente cette photo, me direz-vous ? Quand je l’ai prise, je ne savais pas tout de suite moi non plus ce qu’elle contenait et qui me conduit aujourd’hui à vous la montrer. Je ne m’en suis rendu compte que par la suite à l’occasion de la reprise du cliché pour un autre travail.
Nous sommes dans la friche industrielle de l’ancienne usine textile DMC à Mulhouse. On observe dans le bâtiment 75, occasionnellement accessible comme le montre la photo, un petit rectangle découpé qui apparaît tout en noir. Dans mon petit dispositif mnémotechnique personnel, je l’avais appelé le rectangle de Foucault en raison de sa fonction panoptique de surveillance.
Ce rectangle découpé se trouve en haut de la loge du contremaître. A l’intérieur de cet espace, un escalier conduit à l’étage supérieur apparemment destiné à ranger les dossiers. Il reste quelques étagères. Lors de la journée du patrimoine, en septembre de l’année dernière (2010), des personnes ayant travaillé ici m’ont raconté qu’il y avait un escabeau pour atteindre l’ouverture panoptique et surveiller ce qu’il se passait dans l’atelier, un atelier de réparation. Même s’il s’agit d’un univers moins prolétarisé qu’ailleurs, les personnes que j’ai rencontré avaient le titre d’ingénieurs- “ingénieurs maison” s’empressaient-ils d’ajouter, car DMC formait les siens – nous sommes dans un lieu d’enfermement, technique principale des sociétés de discipline. Il est intéressant d’ailleurs de noter qu’on surveillait aussi les ingénieurs.

Bien entendu, nous ne sommes plus aujourd’hui dans cet enfermement-ci, d’autres formes l’ont remplacé.

Gilles Deleuze commente [1] :

« Foucault a situé les sociétés disciplinaires aux XVIIIè et XIXè siècles ; elles atteignent à leur apogée au début du XXè. Elles procèdent à l’organisation des grands milieux d’enfermement. L’individu ne cesse de passer d’un milieu clos à un autre, chacun ayant ses lois : d’abord la famille, puis l’école (« tu n’es plus dans ta famille »), puis la caserne (« tu n’es plus à l’école »), puis l’usine, de temps en temps l’hôpital, éventuellement la prison qui est le milieu d’enfermement par excellence. C’est la prison qui sert de modèle analogique (…)  Foucault a très bien analysé le projet idéal des milieux d’enfermement, particulièrement visible dans l’usine : concentrer ; répartir dans l’espace ; ordonner dans le temps ; composer dans l’espace-temps une force productive dont l’effet doit être supérieur à la somme des forces élémentaires. Mais ce que Foucault savait aussi, c’était la brièveté de ce modèle : il succédait à des sociétés de souveraineté, dont le but et les fonctions étaient tout autres (prélever plutôt qu’organiser la production, décider de la mort plutôt que gérer la vie) ; la transition s’était faite progressivement, et Napoléon semblait opérer la grande conversion d’une société à l’autre. Mais les disciplines à leur tour connaîtraient une crise, au profit de nouvelles forces qui se mettraient lentement en place, et qui se précipiteraient après la Deuxième Guerre mondiale : les sociétés disciplinaires, c’était déjà ce que nous n’étions plus, ce que nous cessions d’être ».

Selon Deleuze, nous sommes donc passés de la société disciplinaire en crise déjà à l’époque de Michel Foucault à la “société de contrôle” – du contrôle continu – dont l’une des caractéristiques est la traçabilité. La métaphore moderne pourrait être celle du bracelet électronique qu’on met aussi bien aux prisonniers qu’aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

« Nous entrons dans des sociétés de contrôle, qui fonctionnent non plus par enfermement, mais par contrôle continu et communication instantanée. Bien sûr on ne cesse de parler de prison, d’école, d’hôpital : ces institutions sont en crise. Mais si elles sont en crise, c’est précisément dans des combats d’arrière-garde. Ce qui se met en place, à tâtons, ce sont de nouveaux types de sanctions, d’éducation, de soin. Les hôpitaux ouverts, les équipes soignantes à domicile, etc., sont déjà apparus depuis longtemps. On peut prévoir que l’éducation sera de moins en moins un milieu clos, se distinguant du milieu professionnel comme autre milieu clos, mais que tous les deux disparaîtront au profit d’une terrible formation permanente, d’un contrôle continu s’exerçant sur l’ouvrier-lycéen ou le cadre universitaire. On essaie de nous faire croire à une réforme de l’école, alors que c’est une liquidation. Dans un régime de contrôle, on n’en a jamais fini avec rien[2] ».


[1] Gilles Deleuze : Postscriptum sur les  sociétés de contrôle / http://1libertaire.free.fr/DeleuzePostScriptum.html

[2] Gilles Deleuze : Le devenir révolutionnaire et les créations politiques – Entretien réalisé par Toni Negri / http://1libertaire.free.fr/Deleuze07.html

 

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