Pour ne pas voter idiot (6) : Election confusion

Cette « une » du journal Le Monde telle qu’elle est apparue sur l’écran de mon ordinateur, vendredi dernier, à la veille du premier tour de l’élection présidentielle, est révélatrice. Elle montre à quel point l’économie de l’attention produite par l’industrie publicitaire prétend à dominer, à phagocyter et la politique et l’information. On n’a d’ailleurs plus accès désormais à l’information en ligne qu’en passant par les fourches caudines du marketing.

On ne peut pas dès lors disserter comme le fait Jacques Rancière sur la démocratie et la représentation sans évoquer cette télécratie qui produit ce que Bernard Stiegler appelle du « populisme industriel » et sans se demander de quoi le représentant est représentatif. Je suis cependant d’accord avec J. Rancière sur le fait que la gauche devrait proposer une critique radicale des institutions monarchiques de la Vème République. Elle est celle du « coup d’Etat permanent «  justement dénoncé par Français Mitterrand avant qu’il ne le pratique lui-même.

Un vote de confusion.

Pour qui et pour quoi –le quoi supposant un contenu derrière la figure du qui- pour qui et pour quoi les électeurs ont ils voté  au cours de ce vote de téléréalité où même la rue n’est plus qu’un studio d’enregistrement ? Ont-ils voté pour M. Le P qui parle comme J-L M, pour NS qui parle comme M Le P … ?

Cette élection est celle de la confusion et du brouillage des repères.  C’est vrai bien sûr pour le 1er Mai mais il y a bien plus grave encore. Jamais encore un représentant de la droite du niveau d’un président de la République ne s’était livré à une telle compromission avec l’extrême droite. Le président sortant a pendant 5 ans travaillé au bon score du Front national, en effaçant la limite entre la droite républicaine et l’extrême droite. Il pousse désormais cette logique à bout. Ce comportement constitue comme l’exprime à juste titre le journal Le Monde, non seulement une faute politique mais aussi une faute morale sans compter l’aveu de totale impuissance que cela révèle.

« Le problème – lourd, blessant, presque humiliant pour tout républicain, de droite comme de gauche – est que le président sortant a franchi, depuis deux jours, la frontière entre compréhension et compromission. Certes, il a assuré, mercredi 25 avril, qu’il n’y aurait ” pas d’accord ” avec le Front national, ni de ministres FN s’il est réélu. C’est bien le moins.
Mais il a désormais adopté le langage, la rhétorique et, partant, les idées, ou plutôt les obsessions, de Mme Le Pen. Ainsi de cette façon d’attiser les peurs de la société française plutôt que de tenter de les apaiser. Ainsi de cette stigmatisation des ” élites “, jetées en pâture au ” peuple “. Ainsi de cette dénonciation du ” système “, dont on se demande bien ce qu’il est, sinon la République dont il devrait être le garant.
Cette empathie constitue une faute politique. La présidente du Front national a beau avoir débarrassé son parti de ses scories et saillies les plus choquantes, le cœur du projet lepéniste reste ce qu’il a toujours été : rétrograde, nationaliste et xénophobe.
Malgré des hésitations de tel ou tel, à certains moments comme lors des régionales de 1998, les responsables de la droite avaient toujours, jusqu’à présent, récusé ces idées. Pendant des années, l’ancien président Jacques Chirac avait courageusement rappelé que la République française assure l’égalité de tous, ” sans distinction d’origine, de race ou de religion “, selon les termes de la Constitution. Céder, si peu que ce soit, sur cette exigence ne peut que renforcer le Front national. Et placer la droite, demain, dans une situation bien vulnérable.
C’est également une faute morale. En politique, comme ailleurs, la fin ne justifie pas tous les moyens. L’élection ne légitime pas tous les cynismes. Sauf à donner un peu plus raison aux philippiques de Mme Le Pen contre les ” mensonges ” des dirigeants français. Sauf à y perdre son âme.
C’est enfin un aveu d’impuissance. En 2007, Nicolas Sarkozy avait su convaincre qu’il saurait apporter des réponses au désarroi ou au désespoir de cette ” France qui souffre “. Se situer, cinq ans plus tard, sur le terrain même de Mme Le Pen revient à admettre qu’il n’y est pas parvenu ».

Editorial du journal Le Monde du 26 avril 2012

Tous les soutiens du dehors ou de l’intérieur de l’UMP qui se taisent seront comptables de leur silence.

Nous n’assistons pas seulement à la destruction du capital réel (fermeture d’usine, délocalisations…) par la logique spéculative de la financiarisation mais aussi à la destruction du capital symbolique accumulé par notre histoire.

On ne peut manquer d’être frappé par la façon dont la télévision met, depuis le soir du 1er tour, le Front national au cœur du débat comme si les électeurs de F. Bayrou ou de J.L Mélenchon, ou les abstentionnistes comptaient pour de beurre, comme l’a bien montré Alexie Geers :

« Toutes les chaînes de télévision sont d’accord sur un point, y compris France 2 : l’orientation des électeurs FN vers l’un ou l’autre des candidats est l’enjeu primordial de ce deuxième tour. Pas une pour dire que les centristes sont à 9 % et que leurs choix peuvent aussi faire pencher la balance, personne pour dire que l’abstention de l’ensemble de ces électeurs peut battre les cartes de toute autre manière. Le récit médiatique est unanime : les électeurs du Front National ont, dans leurs mains, le sort du pays. Le FN et ses idées, le FN et sa lutte contre l’immigration qu’il voit comme un problème, le FN qui n’a pas de projet, le FN qui stigmatise “l’étranger”, sans jamais appuyer son argumentaire sur des chiffres, sans que jamais un journaliste ne lui oppose des chiffres, sans que jamais personne – sauf Jean-Luc Mélenchon – ne montre que l’immigration et ses conséquences prétendument catastrophiques n’existent que dans la tête des dirigeants du FN. »
Amexie Geers : Quand le récit médiatique fait le jeu du FN

Effacement des vrais enjeux

Consciemment ou non, cette élection tout en nous embrouillant la tête a soigneusement évité de nous parler des vrais enjeux.

Je propose à ce propos de relire aujourd’hui ce qu’écrivait Bernard Stiegler, dans Télérama, 57 jours avant le premier tour :

«  Tous les citoyens français savent – plus ou moins confusément – que l’enjeu de la campagne présidentielle est la disparition du monde qui apparut au cours du XXe siècle. Face à cet état de fait stupéfiant que nul n’ignore, aussi difficile qu’il puisse être de le concevoir, la seule véritable question est la façon dont la France et l’Europe sauront contribuer à la formation d’un autre monde. (…)
Or, c’est l’évitement de cet enjeu, sinon sa dissimulation, qui pourrait se révéler être suicidaire – sinon pour le candidat à la présidence qui parviendrait à être élu (par le fait même d’avoir contourné cette question), du moins pour le président effectivement élu qui serait issu de ce scrutin, et sur la base d’un tel refoulement.
Car d’un point de vue strictement politique, le véritable enjeu du scrutin actuel, c’est celui du prochain scrutin : celui de 2017. La question la plus préoccupante n’est pas de savoir si la famille Le Pen sera une fois de plus présente au second tour : elle est de s’assurer qu’elle ne parviendra pas au pouvoir après cinq années de « gestion » de la crise sans qu’ait émergé la moindre perspective alternative. (…)
Face à ce danger bien plus imminent que ne l’imaginent ceux qui disaient déjà, dans les années 80, que le Front national n’était qu’un épiphénomène, il n’y a qu’une voie possible : la lucidité, et la revendication de ce qu’elle seule procure – la franchise et la clarté, qui procurent elles-mêmes la confiance et le crédit, sans lesquels aucune action n’est durablement possible.(…)

C’est conscient de tout cela que nous devrons voter – ou non – au second tour en sachant l’ampleur de ce qu’il y aura à faire après pour que les cinq années qui viennent soient une transition vers un nouveau monde.

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Légume du mois d’avril : le radis, parangon de la racine !

Les radis, se cultivant facilement, sont en fait présents toute l’année, sous différentes variétés : du radis noir, souvent appelé raifort, au petit radis rose, en passant par le gros radis blanc ou le radis japonais (le daïkon) dont il paraît que la mode conquiert nos étals occidentaux, exotisme oblige.

Le radis étant une racine (sa racine même est le latin radix, racine !), il  a toujours été consommé, même si le radis rose est une variété très récente au regard de l’histoire (XVIIIème siècle). Aux statuts parfois très différents (commun en Haute Egypte, offrande à Apollon chez les Grecs, aliment du pauvre chez les Romains (traité comme tel par Ovide dans sa description, dans Les Métamorphoses, des repas de Philémon et Baucis), légume des “pauvres paysans” du Moyen-Âge de nos anciens manuels scolaires), il n’apparaît que guère dans la littérature culinaire d’avant Internet, sans doute parce que le plus souvent consommé cru.

Le choix du radis rose

Le radis rose doit être très frais. Cette fraîcheur s’évalue très facilement à la verdeur et à la tenue des fanes. Il doit aussi être ferme à la pression du doigt. Un radis plus souple, voire plus mou, sera un radis creux et fibreux, et qui plus est plus piquant. Il sera d’autant plus fort, également, qu’il aura manqué d’eau.

Intérêt nutritionnel

Comme toute racine, le radis a un faible apport énergétique :17 Kcal pour 100g. (100 grammes de radis correspondent à 7 ou 8 pièces assez grosses). Par contre sa minéralisation est intéressante (246 mg de potassium, 11 mg de magnésium et 31 mg de calcium pour 100g) de même que son apport vitaminique en carotène, acide folique et vitamine C. L’apport en fibres (surtout cellulose) n’est pas négligeable (1,5 g pour 100g). Enfin ils apportent aussi une quantité intéressante d’oligoéléments : du fer, du cuivre, du zinc, du fluor, des traces d’iode, de sélénium…

Les fanes sont aussi  riches en acide folique, en vitamine C et en fer.

Ils apportent aussi, comme leurs autres cousins crucifères, d’autres molécules : indols, gluconisates, isothiocyanates de phényléthyle et de benzyle, dont les effets protecteurs vis-à-vis du cancer sont actuellement assez soulignés.

Pour changer du radis beurre, ce mois, deux petites recettes.

Notre recette 1 :
Asperges à la crème de radis

Ingrédients (pour 4 personnes) :
12 belles asperges
20 radis
33 cl de crème fraîche
Vinaigre de Xérès
Cerfeuil

Préparation :
Asperges
Bien éplucher les asperges et les laver
Les cuire à l’eau bouillante salée de 10 à 15 mn suivant la taille
Bien les égoutter et les garder entre deux linges ou papiers absorbant jusqu’au dressage

Crème de radis
Préparer et laver les radis
En réserver 2 gros avec le cœur de fane, détailler les autres en dés
Blanchir ces dés à l’eau bouillante salée 7 à 8 mn, jusqu’à tendreté
Les égoutter et les mixer avec 10 cl de crème
Fouetter le reste de la crème fraîche légèrement salée et poivrée en ajoutant progressivement le vinaigre de Xérès jusqu’à épaississement
Mélanger la préparation de radis et continuer à fouetter jusqu’à homogénéité

Dressage
Disposer 3 asperges en éventail
Déposer un demi radis avec son cœur de fane
De part et d’autre du radis, déposer deux brins de cerfeuil
Disposer la crème de radis en extérieur des asperges et parsemer de cerfeuil ciselé

Notre recette 2 :
Toasts de jambon Serrano avec leur crème de légumes aux fanes de radis

Ingrédients (pour 4 personnes) :
Légumes : une pomme de terre moyenne, une carotte, un navet, deux ou trois rondelles de poireaux, une douzaine de gousses de petits pois, deux bonnes poignées de fanes de radis très fraîches
Jambon Serrano : 4 tranches
Olives niçoises
Marjolaine
Huile d’olive fruitée
Crème fraîche

Préparation
Crème de radis
Cuire tous les légumes dans ¾ de litre d’eau salée. Mixer.
Tailler quatre grandes tranches d’un bon pain de campagne ; dans chaque tranche, détailler quatre rectangles qui seront légèrement imbibés d’huile d’olive (passer l’huile au pinceau sur les deux faces) ; les griller.
Découper dans chaque tranche de jambon 3 rectangles de la taille des toasts.
Préparer une demi olive et une feuille de marjolaine par toast.
Au dernier moment rajouter au potage quatre cuillérées de crème fraîche et remettre éventuellement à température sans faire bouillir.

Dressage :
Sur chaque assiette dresser 3 toasts, les recouvrir du jambon.
Passer le jambon avec un pinceau d’huile d’olive.
Déposer au centre une demi olive niçoise sur une feuille de marjolaine.
Verser la crème de radis dans de petits pots à crème ou dans des verrines ; déposer en surface une feuille de marjolaine.
Disposer les pots en haut de l’assiette.
Décorer de 3 olives et de deux demi radis en éventail.

Pierre-Marie Théveniaud

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Pour ne pas voter idiot (5) : Mulhouse ressort les ordinateurs de vote

A Mulhouse, je ne pourrai pas mettre directement mon bulletin dans une urne. Je ne pourrai pas participer au dépouillement et vérifier la sincérité du scrutin. Je n’aurai pas la certitude que mon vote a été correctement enregistré par l’ordinateur de vote qui équipe mon bureau de vote.

Je trouve cela parfaitement inacceptable. D’autant que, allez savoir pourquoi, la solennité du vote me tient particulièrement à cœur cette fois-ci malgré le peu d’enthousiasme que m’inspirent les candidats.

La mauvaise nouvelle est arrivée dans l’enveloppe contenant les professions de foi des candidats à l’élection présidentielle sous la forme d’une feuille simulant la table d’une machine électronique à voter, signifiant qu’on avait à Mulhouse sorti les ordinateurs de vote de la poussière. L’enveloppe ne contenait aucune autre explication, le site Internet de la Ville non plus. Suppose-t-on acquis le vote numérique à Mulhouse ? Rien n’est moins sûr. Ne serait-ce pas plutôt comme d’habitude un « surtout pas de vague », le crédo gogo moderne des maires successifs de cette ville.

On espérait que cette fois, cela passera comme une lettre à la poste, sans protestation. C’est raté. S’il n’en est plus qu’un ce sera le wagges.

Sans reprendre tout le fond du débat, rappelons que nos voisins européens ont, ces dernières années, clairement désavoué l’utilisation des ordinateurs de vote du fabricant NEDAP, ceux qui équipent les bureaux de vote de Mulhouse. L’Irlande avait déjà mis à l’index en 2004 ses 7500 machines à voter NEDAP, les autorités des Pays-Bas ont retiré en octobre 2007 l’agrément aux ordinateurs de vote du même fabricant pour annoncer en 2008 la décision d’abandonner définitivement ce mode de votation. Début 2009, c’est la Cour constitutionnelle fédérale allemande qui concluait que l’utilisation des ordinateurs de vote NEDAP lors des élections au Bundestag s’avérait anticonstitutionnelle car il n’était pas possible pour les électeurs et les scrutateurs de vérifier le bon déroulement du scrutin et le dépouillement des votes !

Dans notre région, après Wintzenheim, le Conseil municipal de Kingersheim avait, le 23 avril 2008, suivi l’avis négatif du “jury citoyen” de renoncer au vote électronique. Après avoir failli acheter des ordinateurs de vote, la Ville a d’abord repoussé la décision puis a posé la question à un “jury citoyen”. Ce dernier avait rendu son avis le 28 février mais celui-ci n’avait pas été rendu public avant les élections municipales

L’argument qui l’a emporté est le fait “qu’aucune vérification des résultats n’est possible”. Le jury a estimé que “le moyen traditionnel de vote reste tout de même plus convivial et surtout, l’homme reste le seul maître”.

Alors que le mouvement d’équipement des communes en ordinateurs de vote devait aller en s’élargissant, on a constaté les années écoulées un phénomène exactement inverse.

Bientôt, s’il n’en reste qu’une, ce sera Mulhouse. Il y a de meilleures façons d’être original.

Il fallait qu’au moins cela fût dit par quelqu’un. C’est chose faite.

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