Nouveaux éléments de langage à propos de la Centrale nucléaire de Fessenheim

A défaut de faire bouger les choses, on peut essayer de faire bouger les mots. Cela ne change rien au fond mais donne l’illusion qu’il se passe quelque chose. Et surtout permet de gérer le temps. De nouveaux éléments de langage et un nouveau découpage des temporalités sont ainsi apparus concernant la promesse électorale de François Hollande de fermer pendant son quinquennat la Centrale nucléaire de Fessenheim.

Ces nouveaux éléments sont intervenus à la faveur d’un changement de titulaire au poste de délégué interministériel à la fermeture de la centrale. Le poste était d’abord resté vacant pendant trois mois, son titulaire ayant été nommé directeur de cabinet du Ministre de l’écologie. Le successeur nommé le 15 janvier arrive dans une période de campagne électorale municipale, ce qui permet de gagner encore un peu de temps :

« Concernant les élus municipaux, nous approchons d’une échéance électorale, certains ne se représentent pas c’est donc un peu compliqué. Il faut peut-être laisser passer les élections et prendre contact avec ceux qui seront en responsabilité très prochainement » a déclaré le nouveau Monsieur Fessenheim, Jean-Michel Malerba (Alsace du 22 janvier 2014)

Mais la plus grosse astuce concerne le découplage entre arrêt de la centrale et procédure de démantèlement, arrêt définitif et arrêt définitivement définitif grâce à des « modifications de procédure de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement, afin de garantir l’engagement de démantèlement “au plus tôt”, de façon générique ».

En clair « permettre une mise à l’arrêt définitif fin 2016, avant que l’ASN ait approuvé le dossier de démantèlement, qui nécessite trois ans d’examen, sans compter les deux années nécessaires à EDF pour préparer ce dossier »

Le démantèlement ne commencerait donc pas avant 2018 ou 2019. Donc après la prochaine échéance présidentielle. Cette hypothèse n’est pas nouvelle.

Découper le temps !

Peut on considérer l’arrêt comme définitivement définitif tant que la procédure de démantèlement n’aura pas été actée ?

On se rassure, ce n’est pas la fin du feuilleton, des rebondissements possibles sont programmés. Le gouvernement paraît-il « réfléchit » encore à d’autres options ? Ce n’est peut être pas fini. Il y aurait éventuellement une troisième voie de fermeture

« Effectivement, le ministère réfléchit à une 3e voie pour procéder à la mise à l’arrêt d’une centrale nucléaire. Jusqu’ici, une fermeture ne peut être décidée que par l’ASN pour des motifs de sécurité ou par l’exploitant pour des raisons économiques. En plafonnant la capacité de production nucléaire française, la future loi obligera EDF à prendre la décision de fermeture ». (Dernières Nouvelles d’Alsace 21 janvier 2014).

Ce serait d’ailleurs la voie la plus logique s’il est vrai que la politique veut « reprendre la main » sur la politique énergétique alors qu’elle n’a cessé d’en organiser sa dépossession.

La guerre 14-18 et la publicité vues par Didier Daeninckx

« Vendre ! Tel est le problème, parfois difficile à résoudre qui se présente journellement à l’attention du commerçant. Fabriquer des objets, accumuler des stocks de marchandise ne servirait à rien si, par un moyen quelconque, on ne trouvait la possibilité d’écouler le tout dans la consommation. Aujourd’hui ce problème est de plus en plus ardu. Il n’est plus permis d’attendre que l’acheteur vienne, il faut aller le chercher là où il se trouve. Parfois même il est nécessaire, pour des objets ou des produits nouveaux, de créer un acheteur qui n’existait pas hier …Lui suggérer des besoins. Inventer le désir : c’est en cela que consiste notre travail, mademoiselle Bonnier, vous comprenez ? Inventer le désir ! »

C’est par ce discours programmatique du Pdg de l’agence Siècle Publicité qui est aussi le discours d’embauche d’une jeune secrétaire fraichement sortie de l’école Pigier que commence le « docu-fiction » de Didier Daeninckx. Il a inventé le personnage de mademoiselle Bonnier embauchée pour remplacer le fils du PDG, parti à la guerre tout comme le fiancé de la secrétaire.
La pub est déclarée traite de la relation de la publicité et de la guerre de 1914-18. Le récit de Melle Bonnier est étayé par de multiples exemples concrets d’affiches ou d’encarts publicitaires réels formant eux-mêmes de mini récits, ce qui en fait un livre attrayant et instructif. Il permet de suivre les modifications  dans le temps des rapports entre guerre et publicité depuis les débuts quand les poilus « deviennent le premier vecteur de la consommation » jusqu’à la fin de la guerre quand commence le tourisme mémoriel.
Le livre et la publicité – c’était encore de la réclame – suivent les péripéties de la guerre. On commence donc par les articles pour le confort et la sécurité du soldat « Lip Lip L ip Hurra ! la montre de la victoire. L’urodonal est censé lutter contre « l’autre ennemi », l’acide urique. La publicité fait vendre aussi des uniformes. L’Etat-Major n’avait pas prévu que la guerre durerait et qu’il ferait froid l’hiver. On vante la Brassière Perrin « contre la piraterie allemande », etc. Ici et là une invention étonnante comme l’encre lyophilisée qui avec quelque gouttes d’eau de pluie permet de rédiger sa correspondance.
A l’arrière, le patriotisme sert à lever des fonds. Le « mort aux boches » sert aussi à éliminer la concurrence. Comme ce qui est arrivé au bouillon Kub. Tout ce qui commençait pas un K évoquait une sonorité allemande surtout quand des polémistes d’extrême droite façon Léon Daudet s’en mêlaient. Les plaques publicitaires pour le bouillon Kub de Maggi ont été accusées de servir d’indicateurs codés aux troupes d’invasion. Le Ministre de l’Intérieur les a fait détruire. En fait la société Maggi était suisse et les codes aux dos des plaques étaient imposés par l’administration française.
Si au début de la guerre, les corps sont élégants, ils finissent mutilés, mais dans tous les cas il y a quelque chose à vendre. Les prothèses aussi sont un marché.

« La publicité consistait à transformer le spectacle du quotidien en puissance de vente », dit notre témoin

La pub surfe sur la vague patriotique et nationaliste qu’elle renforce en même temps jusqu’au crétinisme intégral. Le produit sont vantés « purs de tout mélange allemand » comme l’aspirine Usines du Rhone : Rien d’allemand Rien des allemands. Consommer français !
On mesure à quel point la guerre a empoisonné les cerveaux à certaines tentatives décrites dans le livre, de pures arnaques auxquelles la publicité ne se prêtera pas telle que celle du Dr Bérillon inventeur d’un prétendu appareil à détecter la présence de l’ennemi à son odeur. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? La connerie a fait école
Les femmes occupent plusieurs fonctions, elles sont à la fois objets et cibles comme dans la pub vociférante ci-dessous les appelant à exiger la mention du pays d’origine sur les factures et objets.

On les voit tirer la charrue et palier à l’absence de chevaux, on la voit aussi l’arme (de la paix) dans la main. Pour le repos du guerrier ?

« Inventer le désir ». disait-il

Nous sommes à l’époque de la guerre, de la production et de la consommation de masse.
Je voudrais m’arrêter un instant sur l’image qui sert de couverture au livre et que voici en entier.

Elle est particulièrement intéressante à plus d’un titre. On notera d’abord que le poupon joufflu a fait école, si aujourd’hui il nage dans l’eau minérale, à cette époque il participait vaillamment à la tabagie dans cette publicité pour le papier à rouler.
L’expression Toutes les classes est intéressante. Dès le début la publicité pour le tabac se situe au-dessus des classes. Tous consommateurs. Pas de discrimination, nous sommes tous hommes, femmes, blancs, noirs, indiens égaux dans la consommation de clopes comme le montre le fim publicitaire de Thomas Edison pour les cigarettes Admiral en 1897

Si la guerre des soldats est terminée, celle de la publicité dure encore.

Mais le désir est émoussé.

“LA PUB EST DÉCLARÉE ! 1914-1918” de Didier Daeninckx (Hoëbeke, 110 p., 19,50 €).