Du dimanche référendaire au Samedi communiste

Peu de temps après la journée citoyenne du dimanche 7 avril 2013 qui s’est soldée par le retentissant échec du référendum sur le Conseil territorial d’Alsace que l’on sait,  je retrouvai dans ma boîte aux lettres le prospectus suivant, appel à une journée citoyenne :

En quoi consiste cette journée citoyenne ? Réfection du grillage du Gymnase du quartier, Rénovation du parcours Vita….. Rien contre, évidemment, encore que…Est-ce aux habitants du quartier de faire ce travail ?

Mais c’est une autre question.

Celle qui nous occupe concerne cette dérive du langage consistant à prôner officiellement l’apolitisme,  à appeler citoyenne la participation à une brigade d’entretien ou de nettoyage sur le modèle de ce que l’on appelait dans les anciens pays de l’est les Samedis communistes (Subbotniki)

La citoyenneté ce n’est pas cela.

Etre citoyen, c’est faire partie d’un corps politique participant à la vie de la cité dans la dimension politique du vivre ensemble. La classe politique de la Région Alsace, pour avoir oublié cela en amont du Référendum a subi un cuisant échec. Échec qui n’est pas seulement celui de l’UMP mais bel et bien aussi du PS  et de ses ambigüités : prôner un oui qui désapprouvait le projet dans l’espoir que le gouvernement allait apporter les correctifs, difficile de faire plus confus.  Le vote à peine terminé, on apprenait d’ailleurs que Mme Lebranchu (PS) se contrefichait du résultat.  Elle n’y a jamais cru et d’ailleurs sa loi sur la décentralisation vole en éclat.  On apprenait aussi que le Maire de Strasbourg PS, plus préoccupé du statut de métropole de sa ville a voté blanc alors que le PS dont il fait partie appelait à voter NON dans le Bas Rhin et Oui dans le Haut Rhin. Election : confusion. C’est aussi celui d’Europe Ecologie Les Verts à qui on aimerait simplement poser la question suivante : depuis quand le refus d’un projet mal ficelé est-il synonyme d’immobilisme. Simplement parce qu’il est porté par les écologistes ? Mais l’échec n’est pas seulement celui de la classe politique. C’est aussi celui du CESER (conseil économique et social régional) dont on apprend, qu’à l’exception de la FSU, les syndicalistes ne se sont pas opposés au projet. Il y a aussi un divorce entre le journal L’Alsace et ses lecteurs. Le quotidien a eu une attitude partisane comme rarement au point peut-être que son engagement pour le oui s’est révélé contreproductif. Il fallait tout de même le faire que d’assimiler le projet de Conseil territorial d’Alsace au la réunification du Land de Bade Würtemberg.

Comme ceux qui suivent ce blog le savent, j’ai fait le choix de ne pas participer à cette mascarade.

Je pensais que le projet pouvait capoter mais d’avantage par l’importance de l’abstention que par l’impact d’un vote non. Nous avons eu les deux.

Pour la première fois, à ma connaissance et, en particulier, grâce au travail de Matthieu Lavarenne s’inspirant de l’exemple d’Etienne Chouard pendant la campagne pour le Traité constitutionnelle européen en 2005, l’Internet a, en Alsace, au nez et à la barbe de ceux qui s’en désintéressent, joué pleinement son rôle citoyen – la citoyenneté de demain passera par Internet, -en décryptant méthodiquement les informations.  On y trouvera ce qu’il faut d’éléments pour construire une analyse des résultats. En voici le résumé qu’il fournit lui-même :

  • Un projet rejeté par le Non inattendu du Haut-Rhin, mais tout autant par l’abstention du Bas-Rhin, qui aurait suffi à tout arrêter, même si le Haut-Rhin avait dit oui.
  • Une claque électorale qui montre une nouvelle fois le divorce grandissant entre le peuple et ses « élites ».
  • Un projet qui n’est pas apparu comme novateur ni comme une « réponse à la crise ».
  • Philippe Richert avoue qu’il aurait préféré pouvoir ne pas tenir compte du Non haut-rhinois.
  • Le bouclier médiatique pour le oui a été fendu, notamment par le succès de la campagne du non sur internet.
  • En 1969, De Gaulle, désavoué, avait démissionné après l’échec du referendum sur « la régionalisation et la participation » afin que la politique de la France ne se fasse pas sans le peuple.
  • Un effondrement de la vision identitaire d’une Alsace “unie”, avec l’apparition claire et nette de deux logiques départementales distinctes.
  • Un clivage gauche-droite totalement débordé.
  • Le misérable bal des mauvais perdants qui cherchent à rejeter la faute, loin de l’autocritique pourtant indispensable.
  • Un projet enterré définitivement… euh, enfin, du moins pour l’instant
  • Cette campagne aura été un scandale démocratique qui devra nous inciter à rester vigilant pour la suite.

J’ajouterai de mon point de vue un élément et une critique.

Je pense tout de même,  bien que l’affaire Cahuzac n’en soit qu’un épisode, que le référendum est intervenu à un moment où la crise prenait pleinement sa dimension politique au-delà même du divorce entre la population et leurs représentants, déjà perceptible depuis plusieurs années. Il faut désormais prendre en compte le fait que nous sommes dans un contexte post-démocratique et politique grave.

Je ne suis pas du tout convaincu par la thèse avancée par Philippe Breton sur « l’effondrement du fantasme d’une Alsace identitaire, la fin de la vision régionaliste de l’Alsace surtout dans un contexte de repliements où précisément on se raccroche aux fantasmes de repères régionaux identitaires, même s’ils éclatent en particularismes de clocher ? On risque de se retrouver avec un effet boomerang. Qu’il y ait une destruction du symbolique est un autre paire de manches et il faudrait s’y atteler. On peut repérer des particularismes régionaux dans les votes, dans les « oui » et dans les « non ». Ils tiennent à leur inscription dans l’histoire. D’une manière générale, les fantômes d’une histoire non dite et non assumée ont participé au scrutin. Les inquiétudes de la Ville de Colmar sur son statut de Préfecture ont un très ancien enracinement historique qui remonte à Louis XIV. Et il faudrait parler de tous les non dits contemporains qui ont mobilisé le « non » comme le mariage pour tous, débat que la gauche fuit. On peut noter l’absence des politiques dans le débat sur les inquiétudes liées à la fusion des Universités. La seule proposition que le Parti socialiste ait trouvé à faire en réaction à l’échec du référendum a été de préconiser la fusion des offices du Tourisme d’Alsace. Opposer la fusion par le bas à la fusion par le haut ? Mais dans les deux cas, les mêmes méthodes sont à l’œuvre.

Enfin, peut-être faut-il aussi rappeler que les contestations anecdotiques ne font pas une politique.

Quant au Front de gauche qui en est à essayer de nous faire croire que la décentralisation serait contraire à la République, quelle tristesse. Et le dépérissement de l’Etat, camarades, jamais entendu parler ? Quelle tristesse aussi que ce besoin d’un héros qui fait le pitre !

Nous voici revenu à la question citoyenne.

Que fait-on maintenant ?

« Si l’on veut éviter le scénario craint et annoncé par Bernard Stiegler de l’accès au pouvoir d’une réaction identitaire, xénophobe et régressive, les mouvements sociétaux doivent apprendre d’urgence à être aussi efficaces que les défenseurs du système post-démocratique »,

écrit Philippe Aigrain qui identifie cinq conditions :

« – La capacité à se coaliser.
– L’identification d’un ensemble minimum de propositions de réforme radicale portées sans relâche.
– Le refus tenace de la violence et la continuation du débat avec les acteurs institutionnels.
– Un style d’action compatible avec une vie bonne.
– L’exploration quotidienne d’alternatives concrètes ».

Conditions qu’il détaille sur son site.

Le wagges

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Une réflexion au sujet de « Du dimanche référendaire au Samedi communiste »

  1. Ping : Démocratie : Vous étiez contre la fusion des départements 67 et 68, vous l’aurez quand même. Un petit amendement cosigné par vos députés locaux et hop là choucroute, le référendum est annulé ! | Lewagges

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