Les enfants fêtent aussi le “vrai travail” !

Vacances heureuses, vacances studieuses !
Mais ne nous y trompons pas : le prétexte d’aider les élèves les plus défavorisés recouvre bel et bien une idéologie et un fonctionnement social (hyperactivité et obligation de performance) mis largement en place depuis de nombreuses années et qui prend un relief tout particulier face aux enjeux de l’élection en cours.

Monsieur Thiers n’est pas mort

Intéressant le dossier consacré aux « colonies éducatives » dans le journal télévisé de France 2 du mercredi 25 avril 2012. De l’école primaire à la terminale des élèves peuvent venir passer des vacances sérieuses avec de 3 à 6 heures de cours par jour en fonction du niveau. Et dès l’âge de 6 ans. La réussite au bout du fusil ? A 800€ la semaine, il faut l’espérer ! D’autres expériences ont aussi lieu ailleurs, dans les écoles. C’est moins cher ! Ces écoles sont ouvertes pendant les vacances, où les élèves (il n’y a plus d’enfants comme le souligne Claire Brisset citée plus bas) retrouvent leurs locaux et leurs maîtres (volontaires) dans un autre contexte beaucoup plus favorable dit-on (sic !). C’est l’exemple de cette école du Bas-Rhin qui propose, comme d’autres, des stages de rattrapage pour CP !!!

Au cirque des enfants bien obéissants

Les enfants sont tout à fait conscients, déjà à leur âge, de la nécessité du vrai travail. Lors du JT cité, H., 10 ans, le dit bien : « Dans la vie, il n’y a pas que jouer. » Et lorsque la journaliste lui soumet qu’il n’est peut-être pas mal non plus d’être en vacances, il répond : « Oui, mais pas tout le temps ; on ne peut pas tout le temps jouer, jouer, jouer… jusqu’en… ben… parce qu’après .. dans …  un métier après … »  Le voilà déjà prêt, dans sa dizaine d’année, à penser son projet professionnel !!!

M., lui, a 8 ans. Et il a très bien identifié les objectifs de sa colo studieuse souligne la journaliste : « Ben … là c’est le troisième trimestre … alors il faut avoir des bonnes notes, parce que mes bulletins, cette année, n’étaient pas très terribles … faut qu’j’m’exerce quoi. »

Apprendre à marcher ou apprendre à marcher au pas ? Que leur apprend donc l’école ? A obéir donc à la toute puissante performance ? A s’oublier eux-mêmes ? Enfants bien obéissants, dont le regard et l’attitude semblent quand même trahir un fond de tristesse. Mais qu’ont-ils, eux, à dire ?

« Les enfants ne votent pas, dira-t-on…, ils sont donc littéralement sans voix, sans vote, utile ou inutile. Seuls les adultes parlent pour eux, par procuration, par délégation, instrumentalisant la parole et les attentes qu’ils prêtent à la génération qui les suit. Alors ces quinze millions de sans voix s’expriment autrement. Ils parlent même beaucoup, mais entre eux, comme s’ils se savaient inaudibles pour ceux qui parlent en leur nom. Et les adultes contemplent, stupéfaits, cette frénésie de communication qui les place hors circuit, au sens propre de l’expression. Les nouvelles technologiesfonctionnent ainsi comme d’immenses machines en circuit fermé, bannissant le regard extérieur, celui-là même qui pourrait autoriser la communication.

Mais les enfants ne parlent pas seulement à travers des technologies inventées par des ingénieurs, eux-mêmes à peine sortis de l’enfance. Ils s’expriment aussi en creux, par des refus, des rejets qui confinent au boycott. La plus éclatante de ces expressions n’est autre que leur relation avec l’institution où ils passent le plus clair de leur vie éveillés, l’école, cette école qui peine même à prononcer le mot enfant et ne veut connaître que des élèves. »(souligné par moi)

Enfance : la voix des sans voix Le Monde.fr | 26.04.2012 Par Claire Brisset, ancienne défenseure des enfants (2000 – 2006)

Vacances : on n’est pas là pour jouer !

On n’est pas là pour jouer ! Comment ces enfants hors du jeu, c’est-à-dire hors-jeu, peuvent-ils se récupérer et se construire sans cette projection, cette externalisation sans danger de ses sentiments, interrogations ou angoisses que propose tout jeu ?

Séquence nostalgie

extrait de la Guerre des boutons d’Yves Robert (1962) d’après le roman de Louis Pergaud

Vacances ; du latin vacare : être vide, être inoccupé, être libre, donnant « vacanter », signifiant « inutilement ». C’est bien là que le bas blesse ! Il n’est plus question de conquérants de l’inutile. Il n’est pas question de ne pas remplir le vide. Mais se retrouver face à cette vacance, c’est aussi se retrouver face à soi-même, à ses pensées. C’est aussi oublier, jouer, dormir, paresser. Mais il est hors de question de s’ennuyer, donc de vagabonder, fût-ce avec d’autres. Dans l’esprit comme dans les rues : vagabondage interdit ! Finalement, forcer à travailler, fût-ce totalement inutilement, c’est bien empêcher de penser en rond. Il ne doit rien y avoir d’inutile !

Le bavardage en classe ou en cours, voire l’utilisation des portables, dont la majorité, sinon la totalité, des enseignants se plaint de l’école primaire à l’université, est bien en lien avec cette incapacité de faire le vide dans sa tête pour pouvoir accueillir l’extérieur en toute connaissance de cause. Cette hyperactivité qui elle, paradoxalement et au contraire, est justement la vacuité des esprits, est devenue une référence sociale absolue avec d’ailleurs l’image d’un encore président comme parangon en toile de fond. Elle envahit maintenant les vacances.

Jusqu’à présent, seuls les enseignants étaient, dans leur paresse légendaire, accusés de trop de vacances. Les voilà donc au travail. Les élèves aussi.

Fin des vacances ! Fini de jouer ! Ordre nouveau et enfants bien ordonnés et sans véritable voix !

De l’efficacité des stages de rattrapage

On pourrait penser que les vacances sont à l’école ce que le rêve est à la mémoire : l’occasion de tout restructurer et de mettre les idées en ordre. Les sportifs le savent dont les mouvements sont littéralement incorporés après une période de bref arrêt. Ce qui est vrai pour le corps l’est aussi pour l’esprit. A trop refaire en continu les mêmes gestes le corps se perd. A trop reprendre les mêmes choses dans les mêmes cadres, l’esprit se perd. L’efficacité de ces séances est très loin d’être démontrée. Il suffit de citer ces élèves de terminale, volontaires, en stage de vacances, pour lesquels le professeur reprend les notions, voire le vocabulaire de base pour leur permettre de simplement lire le texte totalement incompris de l’exercice à faire. Le lendemain, déception : des absences. Pourquoi ? « Eh bien, hier, on a rien fait ! » répondent ceux qui sont quand même revenus. Après dialogue, il apparait que pour ces élèves, travailler se résout à un copié-collé. Acquérir un certain niveau de compréhension des choses, c’est-à-dire d’intelligence, ce n’est pas travailler et ils l’expriment clairement.

Ce qu’on demande aujourd’hui aux élèves se restreint à un cognitif exclusivement procédural qui s’oppose à une réelle capacité d’abstraction, donc à une réelle capacité d’organiser une pensée propre qu’il s’agit avant tout d’étouffer dans l’œuf. Ces stages, qui par ailleurs sont dans le déni de la destruction actuelle de la transmission intergénérationnelle déjà discutée souvent dans cette chronique, ne peuvent en rien résoudre des problèmes de fond jamais traités, et pour cause !

Ces stages ne sont qu’un reflet d’une société de la bêtise. Il s’agit bien là d’empêcher la construction d’une pensée propre et libre. Cela se retrouve d’ailleurs à toutes les étapes de l’Ecole, dans les procédures comme dans les programmes ou le traitement réservé aux enseignants. Monsieur Thiers n’est pas mort ! Et de travail, famille, patrie ne resterait-il que le mot travail qui conduirait à une célébration du vrai travail plutôt qu’à une fête des travailleurs ?

En tout cas, face à l’interdiction faite aux enfants de se retrouver face à eux-mêmes, vivent les vacances, les vraies !

Pour les adultes aussi, une vraie paresse  : savoir ne pas se casser le cul, savoir se fendre  / de quelques baisers tendres, comme le chante Michel Simon :

Le gypaète barbu

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