Tu ne mangeras point du fruit de l’arbre de la connaissance

La connaissance devrait être  normalement au coeur de l’enseignement. Les élèves devraient être normalement dans un établissement scolaire pour apprendre. Il n’y a pas d’intelligence, de compréhension, des choses sans connaissances préalables. Il semblerait cependant qu’aujourd’hui ce problème de la connaissance se pose de manière cruciale, ce qui est un fait tout à fait nouveau. En effet, certaines consignes données aux examinateurs sont de ne pas évaluer les connaissances ; les programmes sont basés sur l’intéressement des élèves quitte à éliminer ou disperser les connaissances fondamentales nécessaires, ce qui crée un état de confusion parfois dramatique et irréversible. Et pire, les nouveaux programmes, de sciences physiques en section scientifique par exemple,  insiste sur  la nécessité de ne pas s’appuyer sur des  savoirs mais de développer des compétences et des appétences (sic ! sic ! et resic !!!). Mais qui peut bien avoir inventé cela, des incompétents ? des pervers ? ou de réels malfaisants ? Et pire encore, à force et à force, beaucoup d’élèves, certes pas dans des lycées trop favorisés, pensent eux-mêmes qu’apprendre des connaissances et les intégrer est tellement inutile qu’ils affirment que ce n’est pas travailler. Cela rend donc tout enseignement impossible et pose un problème majeur quant à la notion de démocratie. Tout se passe comme s’ils avaient intégré enfin l’ordre de la genèse, l’interdiction de toucher au fruit de la vie, fruit qui “ouvre les yeux”, donc fruit de la connaissance. François Truffaut, en 1966, nous avait déjà prévenu, lui qui nous montrait comment toute société autocratique s’attaque au livre, c’est-à-dire à la connaissance, c’est-à-dire ce qui rend “intelligent”, permet la compréhension des choses.

“Fahrenheit 451” de François Truffaut

Puis Yahvé Dieu dit : “voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous, pour connaître le bien et le mal !” Et Yahvé Dieu … bannit l’homme et il posta devant le jardin d’Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l’arbre de vie. (La Sainte Bible traduite sous la direction de l’Ecole Biblique de Jérusalem p.12 – Genèse 3 – La chute)

 

Les inspecteurs de l’Education Nationale le disent ouvertement à leurs enseignants : vous ne devez pas évaluer les connaissances ; vous devez intéresser les élèves. Et, il est bon de le rappeler, des référentiels d’évaluation posent comme item : “l’élève en a entendu parler”. Quant à la consigne donnée aux examinateurs du baccalauréat elle reprend très explicitement et très fermement l’interdiction d’évaluer les connaissances en tant que telles.

Il serait bon également de revoir cet excellent film de François Truffaut “Farenheit 451”, produit en 1966, dans lequel la délinquance suprême était de posséder, et donc de lire, un ou des livres et la résistance d’apprendre chacun un livre par cœur en se cachant dans la forêt. Les livres voilà l’ennemi qui empêche les gens d’être heureux. Et les pompiers n’éteignent plus les incendies : ils ont à charge de traquer les gens qui en possèdent de réduire ces livres en cendres. En serait-on, aujourd’hui arrivé là ? Professeur dans un lycée ou pompier dans Farenheit ? La résistance est le fait, comme toujours, d’une minorité. Et comme dans le film de Truffaut, l’histoire de M. Prof tendrait au pessimisme.

L’histoire décidément pleine d’étonnements de M. Prof

M. Prof, au nom prédestiné, est professeur dans un lycée de la banlieue parisienne. Soucieux de participer modestement à un minime comblement de la fracture sociale, il a accepté, sous les quasi insultes de quelques uns de ses collègues, d’assurer les fameux stages de vacances dont la possibilité est rendue obligatoire, notamment dans le cadre du label “Lycée des métiers” délivré à son lycée bien qu’il soit aussi un lycée technologique. Les élèves de familles aisées paient bien des stages à des prix prohibitifs et cela ne gène personne, notamment pas les enseignants ! Pourquoi alors ne pas donner un petit coup de pouce, même très modeste, à ceux qui n’ont pas une telle chance ? Les stages organisés par son établissement sont des stages de préparation au baccalauréat. Qu’à cela ne tienne !

Oh ! M. Prof sait bien que cela ne résoudra strictement rien sur le fond et il perçoit bien toute l’ironie cinglante d’une telle appellation “stage de préparation au baccalauréat”. En effet les inspecteurs ont bien dit et répété officiellement : pour le bac il faut seulement des résultats, faire du chiffre (ce qui a donc conduit en juin 2011 dans une certaine académie défavorisée de la Région Parisienne et dans une section technologique, à modifier les notes après correction pour atteindre un pourcentage de réussite déterminé qui n’aurait pu l’être sans cela). Mais aussi M. Prof a bien vu plusieurs fois le film de Truffaut. Et dans sa modeste paranoïa il pense encore qu’il faut résister et qu’apporter quelques éléments de connaissance et quelques liens et outils pour les utiliser, c’est cela son métier. Pauvre M. Prof. Il n’était pas au bout de ses étonnements. Bien sûr, depuis longtemps il savait ce que lui demandait sa hiérarchie et s’y opposait plus ou moins discrètement, et plutôt moins que plus d’ailleurs. Mais ses élèves, à cette époque actuellement révolue, lui étaient parfois, et même assez souvent, reconnaissants de ne pas céder, même si, eux, n’avaient pas vu Farenheit 451. Et cela lui suffisait presque, à M. Prof.

Donc, pas totalement enthousiaste et bien conscient des réalités, il construit son stage à partir de sujets du bac. En cela, d’ailleurs, il est délinquant et “désobéisseur”. En effet, les inspecteurs étaient très fermes : vous ne devez pas utiliser les sujets des épreuves précédentes, même si l’année suivante ils auront changés. En clair, vous ne devez pas donner les règles du jeu aux élèves. C’est comme si les annales classiquement utilisées, étaient soudain interdites. Mais M. Prof a l’habitude de désobéir. Il n’a jamais accepté la perversion et ne l’acceptera jamais. Il pense donc qu’avant de jouer n’importe quel jeu il faut en connaître les règles. Un peu étonné quand même, M. Prof. Mais il connaît bien sa hiérarchie. Son étonnement ne porte donc que sur l’absence actuelle de limites, de scrupules et sur le niveau du cynisme.

Voilà donc M. Prof assez satisfait du nombre de stagiaires inscrits, ces stagiaires étant tous volontaires et les stages ayant lieu deux demi-journées pendant les vacances. Il leur propose donc de répondre en priorité à leurs besoins et, au cas où ces besoins ne s’exprimeraient pas, ce qui fut d’ailleurs le cas, une démarche qui lui semble évidente. En bon délinquant il propose un des sujets interdits, sachant que les questions posées revenaient assez souvent dans d’autre sujets et que les élèves n’avaient strictement rien travaillé sur ce thème, contrairement à ce qu’ils auraient dû faire longtemps avant. Naturellement les élèves ne peuvent rien répondre et sont dans la situation d’avoir 1 ou 2 sur 20, ce qui était courant lors de la session d’examen précédente. Et voilà M. Prof qui, dans ce qu’il pense sincèrement être son devoir et son rôle, fournit, dans une première séquence, toutes les connaissances fondamentales, mais rien que les connaissances fondamentales, nécessaires pour répondre à de tels sujets. Tout le monde étant attentif, et même presque 3 heures sans pause, ce qui l’a étonné de la part d’élèves qui d’habitude ne peuvent se concentrer plus d’une demi-heure, il rentre chez lui fort content, sachant que ses stagiaires auraient, le lendemain, tous les éléments nécessaires pour traiter rapidement et efficacement le sujet, et donc traiter, éventuellement, d’autres thèmes.

Or, le lendemain, pour la deuxième session, seule la moitié des élèves sont revenus. M. Prof, en bon évaluateur de son travail, cherche à connaître les raisons de ces défections. Une élève présente lui répond qu’elle ne sait pas mais que pour sa part elle ne serait volontiers pas revenue car, la veille, ils n’avaient absolument rien fait. Tout le monde compatit à l’étonnement de M. Prof ! Soucieux de comprendre il demande alors à l’élève d’expliciter son discours. Et l’élève de répondre :”non, on n’a rien fait, on n’a pas répondu aux questions” (sic !). Une telle approche est confirmée le lendemain par les élèves absents ce deuxième jour.

Au royaume des aveugles

Et donc voilà l’histoire ! Voilà pourquoi il est devenu impossible d’enseigner ! Travailler, au lycée, ce n’est pas acquérir des connaissances ! Ce n’est pas que les élèves refusent d’apprendre ; c’est qu’ils n’en conçoivent absolument pas l’intérêt. Et c’est normal puisque, depuis fort longtemps, que ce soit en histoire ou en géographie au collège, ou en biologie au lycée, en passant d’ailleurs par le français, il n’est plus question de demander aux élèves d’apprendre ou de produire par eux-mêmes, mais simplement de donner des réponses à des questions, réponses qui, de plus en plus systématiquement, se trouvent intégralement dans le texte du sujet lui-même. Il suffit donc simplement de recopier, parfois intégralement. C’est ce qu’on appelle évaluer des compétences !!! Par ailleurs, dans certains nouveaux programmes, toute connaissance fondamentale qui permettre d’apprendre et de comprendre ont été supprimées pour être remplacées par un marketing pédagogique psychiquement et intellectuellement complètement destructeur car impliquant obligatoirement un niveau de confusion intraitable a posteriori. Comme le disait une élève de section scientifique d’un bon lycée parisien, reçue avec mention et ayant obtenu 13 en biologie : “je n’ai jamais rien compris à la biologie” (sic !). Messieurs les Inspecteurs, dormez-vous bien ?

Et le marketing gagna ! Il suffit de lire les manuels. Et ces élèves ont donc vraiment intégré qu’ils n’ont pas à goûter à l’arbre de la connaissance. Et plus de revendications : ils n’ont plus conscience de l’existence même de l’arbre ! Et n’ayant pas de connaissances, il est vraiment difficile de penser, donc a fortiori de penser qu’il est bon et bien d’en acquérir. Et donc, soyons rassurés, peu auront la capacité d’apprendre des livres par cœur; peu seront donc vraiment gênants et les écrans familiaux et interactifs ne seront pas en danger.

L’homme ne sera alors pas devenu comme l’un de nous et il n’est plus nécessaire de poster devant le jardin d’Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l’arbre de vie.

Le gypaète barbu

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Protected by WP Anti Spam