Prochain rendez-vous à Fessenheim

Même si le mot résistance ne nous paraît pas approprié car ce dont il s'agit ici c'est de commencer à inventer un monde différent, le wagges sera de tout cœur avec eux.

« La censure du Conseil Constitutionnel sanctionne ainsi moins une mesure qu’une politique de faux-semblants et d’amateurisme »

J’aime bien cette idée de Jacques Sapir à propos de la décision du Conseil constitutionnel sur l’imposition à 75 % des plus hauts revenus qu’il interprète comme la sanction d’une volonté peu affirmée et claire ayant présidé à l’élaboration de la proposition de loi. Une taxation, dont on se plaisait en outre à répéter et souligner du côté du gouvernement le caractère « provisoire ». La taxation des plus aisés est provisoire, celles des moins aisés, elle, est durable. Et puis les promesses ne s’usent que si l’on s’en sert. La preuve d’ailleurs, celle dont il est question resservira pour 2014.
J’aime bien l’idée pour sa portée générale. Au-delà de l’économie et du social, on peut en effet craindre aussi les atermoiements ou la confusion dans le domaine de la transition énergétique et bien sûr en ce qui concerne la fermeture de la Centrale nucléaire de Fessenheim où, contrairement à ce qu’il pourrait paraître, le temps est compté si l’on veut qu’elle soit effective au terme du quinquennat. Le gouvernement peut s’appuyer sur les syndicats pour l’aider à faire traîner les choses. Ces derniers ont récemment interdit l’entrée du site au représentant désigné par l’Etat pour examiner les conditions de la fermeture alors qu’Edf a eu le feu vert pour entamer des travaux de maintien en activité.
Y aura-t-il donc, comme pour la finance, une capitulation masquée devant le lobby nucléaire qui n’arrête pas de nous seriner avec le chœur des syndicats : « Les centrales nucléaires sont sûres » « Les centrales nucléaires sont sûres » ?
Allelujah, les centrales nucléaires sont sûres. C’est vrai. Jusqu’à l’accident. Après l’accident, elles redeviennent sûres, alors même qu’on n’en a pas mesuré toutes les conséquences. Sûres jusqu’à l’accident suivant. Et ainsi de suite …. Les trains sont toujours à l’heure jusqu’au moment où ils commencent à être en retard.

Le contexte a un peu changé tout de même. Le consensus autour du nucléaire est en crise.

« Ni Three Mile Island en 1979 ni Tchernobyl en 1986 n’avaient délié les langues à ce point-là. Il a fallu attendre la catastrophe nucléaire de Fukushima du 11 mars 2011 pour que les défenseurs de l’atome, même parmi les plus acharnés, se mettent à douter de l'”excellence” d’une énergie qu’ils ont longtemps défendue les yeux fermés », écrivait récemment le journal Le Monde dans un éditorial.(28.12.2012).

La rédaction du quotidien ajoutait :

«  Dernier en date à s’interroger : le directeur de l’agence belge de sûreté nucléaire, Willy De Roovere. “Nous devons nous demander si le risque nucléaire est encore acceptable. En toute honnêteté, si je considère ce risque, je choisirais d’autres formes d’énergie…”, a-t-il déclaré la veille de Noël, alors qu’il quitte ses fonctions à la fin de l’année. »

Dommage qu’il faille attendre que ces gens-là partent à la retraite pour qu’ils le disent. Mais mieux vaut tard que jamais. Enfin, toujours dans l’éditorial du Monde :

« En France, où le nucléaire fait encore l’objet d’un large consensus, le dogme de l’infaillibilité de l’atome n’est plus de mise. Y compris chez certains X-Mines, artisans de son développement. “Malgré les précautions prises, un accident nucléaire ne peut jamais être exclu”, convenait en janvier 2012 André-Claude Lacoste, président de l’Autorité de sûreté. L’un de ses pairs, Jacques Repussard, directeur de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, indiquait que Fukushima obligeait “à imaginer l’inimaginable”. »

Alors pourquoi jouer avec le feu, alors que le consensus s’effrite et  que le maintien sous perfusion permanente de la plus vieille centrale finit par coûter inutilement fort cher. Certes elle nous manquera un peu car elle nous fait bien rire parfois. Elle a du être arrêtée récemment une nouvelle fois parce que la température de l’air était trop …clémente.

L’Autorité de sûreté nucléaire a donné le 18 décembre son feu vert pour le renforcement du radier envisagé par EDF. Le radier du réacteur 1 de Fessenheim ne fait que 1,5 mètre d’épaisseur, contre 2,5 à 3 mètres pour les autres réacteurs du parc français. Aussi, l’ASN a-t-elle demandé de renforcer le radier du réacteur avant le 30 juin 2013, afin d’augmenter sa résistance au corium en cas d’accident grave avec percement de la cuve. EDF envisage d’épaissir de 50 cm le radier dans le local “puits de cuve” et de “permettre en cas d’accident grave avec percement de la cuve, via un tunnel ménagé à cet effet, un étalement du corium sur le radier du réacteur dans une zone de collecte [elle-même épaissie]”

Le coût annoncé est de 15 à 20 millions d’euros, chiffres à manier avec précaution.

Encore ne s’agit-il là que des questions que pose le réacteur n°1. La question du n°2 est en suspend. Et il y a d’autres questions. Physicien nucléaire, professeur à Polytechnique pendant 35 ans, Jean-Louis Basdevant rappelle :

La centrale de Fessenheim est située sur une faille en zone sismique (l’implantation la plus dangereuse de France à cet égard).
Elle s’alimente en eau froide dans le grand canal d’Alsace, qui la surplombe de 9 mètres, toute perturbation grave de ce canal (chute d’avion) risquerait de noyer la centrale. Elle est, tout comme une autre, exposée au risque d’un « accident normal des systèmes complexes ». Dans un système complexe, un accident grave peut provenir de la conjonction inattendue et imprévisible de défaillances élémentaires, anodines en elles-mêmes.
Un accident nucléaire à Fessenheim aurait des conséquences plus que dramatiques. Elle est située à l’aplomb de la plus grande nappe phréatique de France, d’une capacité de 35 milliards de mètres cubes sur sa partie alsacienne, qui se prolonge en Allemagne. Et, pour corser le tout, elle est également à l’aplomb de la vallée du Rhin qui, entre Bâle et Rotterdam, est la région la plus peuplée, active, industrielle de l’Europe. Cela signifie qu’en cas d’accident avec fusion partielle du cœur, une fois la dalle percée, le Rhin serait contaminé, jusqu’à Rotterdam. Un accident nucléaire grave y serait une catastrophe dramatique pour toute l’Europe, un coup de poignard qui anéantirait la vie dans cette région pendant plus de 300 ans.
Arrêter Fessenheim est, pour moi, une application du principe de précaution, tant évoqué, qui relève d’un devoir moral vis-à-vis des habitants de l’Europe.

Voir aussi

Alors pourquoi jouer avec le feu ? Pourquoi continuer à expérimenter en prolongeant sa durée de vie alors qu’elle pourrait si bien servir pour expérimenter une mise à l’arrêt.

S’il faut bien sûr là aussi se préoccuper du sort des salariés directs les moins menacés et indirects les plus menacés sans compter bien sûr les problèmes posés aux villages alentour qui vivent de la manne nucléaire, il n’est pas acceptable de mettre le risque nucléaire comme alternative à la préservation des emplois.

Pour ne pas voter idiot (2) : propos d’un “anti Fessenheim primaire”

Dans un avenir proche, les réserves d’uranium, mais également celles de pétrole et de gaz naturel, seront épuisées. Pour répondre à ses besoins énergétiques à long terme, l’humanité aura pour unique alternative, les énergies renouvelables et l’optimisation de sa consommation d’énergie. L'affiche provient de l’Association des Médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (http://www.facts-on-nuclear-energy.info/1_dead_end.php?l=fr&f=1962023833)

Je suis, paraît-il, un anti-Fessenheim primaire. Je ne sais pas ce que cela veut dire, probablement parce que cela ne veut rien dire. Ah, oui, je ne suis pas du côté des ouvriers. L’argument selon lequel il faudrait poursuivre l’exploitation de la Centrale nucléaire de Fessenheim au nom de la préservation de l’emploi est d’une rare stupidité. A preuve simplement le fait qu’elle a été conçue pour 30 ans et que l’emploi y était dès le départ à durée déterminée. Tôt ou tard, elle fermera. Le plus tôt sera le mieux.

L’industrie nucléaire est celle du secret et du mensonge. Ne serait-ce que pour cette raison, elle est d’un autre temps.

Un an après la catastrophe de Fukushima, la page n’est pas tournée et il reste encore beaucoup de questions. D’abord sur son origine. On a essayé de la faire passer pour une catastrophe naturelle en raison de la présence d’un tsunami dont l’importance a été majorée au détriment de la cause première : un  tremblement de terre auquel la centrale n’a pas résisté et elle ne l’aurait pas fait indépendamment du tsunami. C’est la conclusion de laquelle se rapproche une récente étude présentée, il y a quelques jours, à Berlin par l’Association allemande des Médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (IPPNW). Il s’agit bel et bien d’une catastrophe technologique au pays de la technologie. C’est là que se situe la rupture et en ce sens il y a un avant et un après Fukushima. Rappelons-nous que Tchernobyl nous avait été expliqué par l’incompétence qui régnait au pays de la bureaucratie soviétique. On nous avait déjà chanté la chanson de « ça n’arrivera pas chez nous »

Questions sur l’origine mais aussi questions sur les conséquences. On n’en a pas mesuré toute l’ampleur mais on sait qu’elles seront durables.

Un état de contamination chronique et pérenne de l’environnement

Voici ce qu’en dit  Didier Champion, directeur de la crise à l’IRSN (Institut de radio-protection et de sûreté nucléaire) : «La contamination initiale liée à l’accident a fortement décru. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a plus, loin s’en faut. Aujourd’hui, et pour de nombreuses années, nous sommes dans un état de contamination chronique et pérenne de l’environnement ». « Il y a des risques d’exposition chronique, à des faibles doses, certes, mais qui peuvent s’accumuler au cours du temps si l’on n’y prend pas garde”, ajoute-t-il, insistant sur la nécessité de suivre la contamination d’un certain nombre de denrées alimentaires (fruits, lait, champignons, gibiers, poissons) ».

Questions sur l’origine,  questions sur les conséquences mais aussi sur les leçons à en tirer.

« La catastrophe de Fukushima Daiichi a démontré que la théorie de sûreté nucléaire avancée par le secteur nucléaire est fausse. Les preuves historiques, Fukushima Daiichi, Tchernobyl et Three Mile Island, montrent qu’un accident nucléaire de grande ampleur peut se produire n’importe où dans le monde environ tous les dix ans. Cette succession d’accidents de réacteurs contredit l’assertion du secteur nucléaire selon laquelle de tels événements ne se produiraient qu’une fois tous les 250 ans.
Nous pouvons tirer encore et encore le même enseignement des accidents nucléaires : l’évaluation des risques du secteur nucléaire n’a pas pris en compte les failles institutionnelles, alors que le comportement de l’homme et des institutions est le facteur principal des accidents dans un réacteur. Une série de failles institutionnelles ont préparé le terrain de la catastrophe de Fukushima Daiichi, notamment un système d’autoréglementation du secteur industriel, sa suffisance et son attitude dédaigneuse envers les risques nucléaires ainsi que sa négligence des preuves scientifiques.
Le modèle d’autoréglementation par le secteur nucléaire est observé dans de nombreux pays dans le monde. De plus, la catastrophe de Fukushima Daiichi a montré que les allégations de sûreté du secteur nucléaire et de ses organes de régulation nationaux et internationaux sont fausses ».
Conclusion du rapport commandé par Greenpeace  à trois experts indépendants.

Ajoutons quelques autres mensonges

Le mensonge de l’indépendance énergétique de la France

Les tenants du nucléaire avancent toujours  trois types d’arguments : l’« indépendance énergétique » de la France, la performance française en termes d’émissions de CO2, le très faible coût du kWh nucléaire.

« Celui de l’indépendance énergétique est tout simplement faux : la France est tout aussi dépendante pour son approvisionnement d’uranium qu’elle l’est pour le pétrole, le charbon et le gaz. Loin d’atteindre 50%, notre indépendance énergétique réelle n’est que de 8,9%.

Les économies de CO2 de 40% en France qui seraient réalisées grâce au nucléaire sont très surestimées, puisqu’elles supposent que toute notre électricité non nucléaire serait produite à partir du charbon, ce qui n’est guère vraisemblable. C’est plutôt autour de 20% que se situe l’économie.

Le coût imbattable du nucléaire ? Oui, si l’on se contente de l’évaluation actuelle d’un nucléaire largement amorti (les réacteurs du parc français ont en moyenne 26 ans pour une durée de vie prévue de trente) en oubliant soigneusement de prendre en compte la réhabilitation indispensable de ce parc vieillissant, sa mise aux normes post-Fukushima et les frais de démantèlement des réacteurs mis au rebut, qui risquent de doubler ce coût. Même chose si l’on décide de passer à l’EPR, dont les coûts d’investissement atteignent chaque jour de nouveaux sommets ».

Tribune de Benjamin Dessus et Bernard Laponche, publiée par Le Monde mercredi 4 janvier 2012.

La dernière mine d’uranium située sur le territoire français a fermé en 2001. Actuellement, tout l’uranium utilisé en France provient de l’étranger. L’uranium qu’a produit le groupe AREVA NC en 2005 (plus de 6000 tonnes d’uranium soit 10 % de plus qu’en 2003) provient de sites situés à l’étranger, principalement au Canada, au Niger et au Kazakhstan.

« Grâce à une hausse de 36 % de sa production sur l’année, Areva est devenu en 2009, avec 8 623 t soit 17 % de la production mondiale (50 327 t), le premier producteur mondial d’uranium. Son objectif est d’atteindre une production de 12 000 t par an d’ici 2012. Sa production vient essentiellement de trois pays :

• le Canada, autour de deux gisements en exploitation et un en attente, tous situés dans le bassin de l’Athabasca, province de la Saskatchewan. Areva détient 70 % du site de McClean Lake, d’une capacité de 4 600 t par an, et 30,2 % de McArthur River, d’une capacité de 7 200 t par an environ. Areva détient également 37,1 % du gisement de Cigar Lake, d’une capacité estimée à 6 900 t par an, dont la mise en exploitation a été retardée suite à des effondrements et des inondations en 2006 et 2008, et n’est désormais pas envisagée avant 2013 ;

• le Kazakhstan, où Areva détient 51 % d’une société commune avec l’opérateur public national, Kazatomprom, qui exploite deux sites. Leur production dépasse 3 100 t en 2009 et pourrait selon Areva être portée à 4 000 t à compter de 2012 ;

• le Niger, où Areva détient 63,4 % de la société Somaïr, qui exploite les sites de la région d’Arlit, d’une capacité de 2 000 t et prochainement 3 000 t, et 34 % de la société Cominak, qui exploite les gisement de la région d’Akokan, d’une capacité de 2 000 t par an. Areva détient également 56,65 % de la société Imouraren SA destinée à exploiter le gisement du même nom, dont la capacité est estimée à 5 000 t et dont Areva vise de démarrer la production en 2013.

Hors de ces trois pays, les principaux projets d’Areva se concentrent sur l’Afrique, et plus précisément en Namibie, en République centrafricaine en en Afrique du Sud. Le groupe discute également un partenariat important en Mongolie.

Le développement des activités d’extraction d’uranium est d’une manière générale soumis à une pression croissante liée à l’opposition des populations et aux préoccupations de plus en plus fortes que suscitent ses impacts sur l’environnement (…). Areva est notamment confronté à ce problème au Niger. Mais la liste des pays dans lesquels la France construit sa stratégie dans le domaine de l’extraction d’uranium soulève également des interrogations sur les risques géopolitiques associés. Le Kazakhstan ou la Mongolie, où la Russie et la Chine se disputent l’influence, et les pays d’Afrique n’offrent pas les garanties de stabilité censées apporter, dans la stratégie énergétique nationale, une sécurité beaucoup plus grande aux importations d’uranium que de produits pétroliers ou gaziers. Ce risque est illustré par les attaques dont Areva est régulièrement victime au Niger qui relevaient jusqu’ici plutôt de mouvements Touaregs opposés au pouvoir central nigérien, mais qui constituent, avec la prise d’otage de plusieurs ressortissants français en septembre 2010 par un mouvement islamiste, une menace beaucoup plus directe sur les intérêts français dans la région. »

Nucléaire : le déclin de l’empire français
Les Cahiers de Global Chance, n°29, avril 2011, 112 page

Faut-il encore allonger la liste des mensonges ? On en arrive à se demander où donc sont les idéologues ?

Mais ce n’est pas tout. Le nucléaire est une lourde machine qui manque de souplesse. En période de pointe comme la poussée de froid que nous avons connue, c’est à d’autres modes de production d’électricité qu’il faut faire appel. Rappelons au passage que nous en avons importé cet hiver d’Allemagne.

L’écrasante domination du nucléaire empêche le développement d’alternatives qui engagent l’avenir, celui d’une troisième révolution industrielle, celui de la transformation aussi du pur consommateur d’électricité en producteur également.

« L’atome est une énergie centralisée par essence alors que le futur appartient à la production partagée («peer to peer»). Aujourd’hui, 400 centrales nucléaires produisent 6% de l’énergie produite dans le monde. Pour passer à 20% en l’espace de vingt ans, il faudrait construire trois centrales par semaines d’ici à 2031! C’est impossible. Le groupe allemand Siemens a d’ailleurs abandonné le secteur. C’est aussi un mauvais choix pour la France, car vous n’avez pas suffisamment d’eau pour refroidir les centrales: il faudrait 40 à 50% des ressources hydrauliques du pays pour refroidir les réacteurs. Sans compter que les périodes de sécheresse -comme en 2003- mettent ce système sous pression »

 Jeremy Rifkin : «Le futur appartient à la production partagée»

« Fukushima a changé la donne et révélé qu’un accident grave était possible, même dans un pays considéré comme sûr. Nous devons accepter que l’impossible puisse se produire et il faut pouvoir y remédier. Depuis 2003, nous mettons en garde sur les risques liés aux séismes, sans être vraiment écoutés. J’espère que nous le serons cette fois. Sinon, ils devront s’en expliquer. Il ne faut plus laisser croire que le nucléaire est une technologie parfaite. Le gouvernement et EDF ont sous-estimé le risque d’un accident et du rejet du nucléaire par la société. ».

Jacques Repussard, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) : “EDF sous-estime le risque d’un accident nucléaire

On a bien entendu : Un accident grave est possible même dans un pays considéré comme sûr. Quand il se produira, il aura été considéré comme totalement impossible. Edf fait la sourde oreille sur les risques sismiques.

Un accident grave aura lieu, on ne sait quand ni où mais il surprendra tout le monde. Un tremblement de terre grave aura lieu, on le sait aussi, dans la région de la centrale de Fessenheim dont le radier est 5 fois moins épais que celui de Fukushima. Le risque en vaut-il la chandelle ?

Je ne suis pas pour la fermeture de Fessenheim en fonction d’une équation simpliste  mais parce qu’elle remplit les conditions d’une mise à la retraite et que l’on peut se passer d’un tel risque. Ne pas le faire équivaudrait à un acharnement thérapeutique à un coût exorbitant. L’argent qu’il nous coûtera serait bien mieux investi dans le vaste chantier d’une nécessaire transformation énergétique. C’est pourquoi d’ailleurs, on peut regretter que du côté de François Hollande on semble se contenter de la fermeture d’une seule centrale, en ne l’inscrivant pas plus résolument dans la transformation énergétique, en restant, pour le reste, dans le flou.

En pistes pour la fermeture de Fessenheim ?

Chaîne humaine autour de la centrale de Fessenheim en juin 2011

Si l’on comprend bien, tous les éléments sont réunis pour que la décision de fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim puisse être prise car bien évidemment, la décision est politique. Curieux la propension de certains hommes politiques à préconiser le dessaisissement de la politique par elle-même aussi bien sur les questions du nucléaire que sur celles de la finance, deux domaines de même opacité où se pratiquent des stress tests. Si la politique ne veut rien savoir de la sécurité nucléaire, à quoi sert-elle ?

Commençons par quelques extraits du rapport d’évaluations complémentaires de l’ASN (Agence de Sûreté Nucléaire)

( …)vis-à-vis du risque de séisme, l’ASN va imposer à EDF :
  • De faire en sorte que les équipements permettant de maîtriser les fonctions fondamentales de sûreté soient protégés contre l’incendie en cas de séisme. En effet, les principales dispositions de protection des installations contre l’incendie ne sont pas aujourd’hui dimensionnées pour résister au séisme du référentiel de l’installation;
  • (….)Pour les sites de Tricastin, Fessenheim et Bugey, de fournir une étude analysant le niveau de robustesse au séisme des digues et autres ouvrages de protection des installations contre l’inondation et de présenter les conséquences d’une défaillance de ces ouvrages.

Vous avez bien lu, il manque dans le rapport que l’ASN vient de rendre l’étude sur le niveau de résistance au séisme. La suite :

Cas particuliers des digues
A la suite de la réunion des groupes permanents de juillet 2011 qui a eu pour objet d’examiner la méthodologie proposée par les exploitants pour la réalisation des ECS, l’ASN a demandé à EDF d’examiner les conséquences de la rupture d’une part des digues du Grand Canal d’Alsace à proximité du site de Fessenheim et d’autre part des digues du canal de Donzère à proximité du site de Tricastin.
En ce qui concerne les conséquences d’une rupture de digue du canal de Donzère-Mondragon pour Tricastin et d’une rupture des digues du Grand Canal d’Alsace pour Fessenheim, EDF a apporté une réponse qui doit être considérée comme préliminaire en raison des délais associés aux ECS.
Concernant Tricastin, que ce soit dans le cas d’une rupture en rive gauche ou dans le cas de rupture en rive droite des digues du canal de Donzère-Mondragon, EDF estime que les protections périphériques existantes (batardeaux, écran étanche) permettraient d’éviter l’inondation de la plateforme du CNPE.
Concernant Fessenheim, les conséquences d’une rupture des digues du Grand Canal d’Alsace seraient la présence d’une lame d’eau sur le site, susceptible d’engendrer un scénario de perte totale des alimentations électriques externes et internes, ainsi que la perte potentielle d’autres matériels de l’îlot nucléaire.
Que ce soit pour Fessenheim ou Tricastin, EDF souligne l’absence d’éléments d’études précises disponibles à ce jour sur la hauteur de cette lame d’eau. (…)
L’ASN considère que l’engagement d’EDF répond partiellement à sa demande et qu’EDF devra mener des études indiquant de façon précise le niveau d’eau sur le site du Tricastin en cas de rupture des digues de Donzère-Mondragon et sur le site de Fessenheim en cas de rupture des digues du Grand Canal d’Alsace et évaluer les conséquences qui en découlent. L’ASN prendra une prescription à ce sujet.
Concernant le scénario de rupture de la digue, quelle qu’en soit l’origine, EDF propose :
« D’engager un examen détaillé de la tenue des digues à un niveau supérieur au SMS, et de déterminer un débit d’inondation à prendre en compte au-delà du dimensionnement (en écartant des niveaux de séisme complètement non plausibles, afin de définir les parades les plus adaptées). D’engager, au vu de ces résultats, un calcul des champs d’inondations correspondants.
De définir et de mettre en place, au vu de ces résultats, les parades matérielles et organisationnelles adaptées pour éviter les situations redoutées que sont, pour ce type d’analyse […], un rejet important dans l’environnement pour le réacteur et un
découvrement des assemblages pour le Bâtiment combustible. »
Concernant le risque d’effacement total de la digue, quelle qu’en soit l’origine, l’ASN considère satisfaisante la proposition figurant dans le rapport d’ECS et note la précision apportée lors de l’instruction :
« Les dispositions matérielles qui seraient mises en oeuvre dans ce cadre porteraient sur le renforcement de la robustesse des digues (prévention) et/ou sur le renforcement des protections des matériels nécessaires à la gestion d’une situation H1/H3 (mitigation), EDF n’étant pas en mesure, au stade actuel des études, de statuer sur les solutions techniques à privilégier ».
L’ASN considère nécessaire qu’EDF confirme ces éléments.
Dans le cadre des évaluations complémentaires de sûreté faisant suite à l’accident de Fukushima, EDF a décidé d’accélérer les études répondant aux demandes de l’ASN par rapport au planning initialement demandé par l’ASN à la suite du GP de 2009. Ces études, spécifiques à chaque site, comportent des études hydrogéologiques fondées sur des mesures in situ et des études de faisabilité de dispositions techniques, de type enceintes géotechniques ou équivalent, visant à retarder le transfert de contamination vers la nappe phréatique. EDF s’est engagée à fournir ces études en 2012 ou 2013 selon les sites. Compte tenu de leurs conditions défavorables en cas de pollution, l’ASN considère que les sites de Fessenheim, Bugey et Civaux sont prioritaires. L’ASN prescrira à EDF d’accélérer la remise des études hydrogéologiques. En outre, la possibilité d’installation de parades au percement des radiers et à la pollution des sols fait partie des thèmes en cours d’instruction dans le cadre plus général des réexamens décennaux. Dans ce cadre, l’ASN prescrira à EDF de transmettre à l’ASN une étude de faisabilité en vue de la mise en place de dispositifs techniques visant à s’opposer au transfert de contamination radioactive vers la nappe phréatique en cas d’accident grave ayant conduit au percement de la cuve par le corium.
Pour le cas particulier des réacteurs de Fessenheim, l’épaisseur du radier, égale à 1m50, est la plus faible du parc (contre 3 à 4 mètres pour la majorité des réacteurs du parc). Dans la situation actuelle, EDF estime que la durée de percement du radier à la suite d’un accident grave avec fusion du combustible et percement de la cuve pourrait être de l’ordre de la journée dans le pire des cas (dysfonctionnement de tous les systèmes de sauvegarde). En juillet 2011 dans le cadre de la poursuite d’exploitation au-delà de 30 ans du réacteur n°1 de Fessenheim et sans préjudice des conclusions des ECS, l’ASN a prescrit à EDF le renforcement du radier de Fessenheim, avant le 30 juin 2013 afin d’augmenter très fortement sa résistance au corium en cas d’accident grave. Le dossier a été remis par EDF le 9 décembre 2011 et sera examiné par l’ASN en 2012.

On vous le disait, c’est comme pour les banques, tout va bien mais il faut les renflouer tous les 6 mois. Le président de l’ASN a évoqué la nécessité d’un effort financier “massif” pour améliorer la sûreté. Interrogé sur l’importance des investissements, Henri Proglio use de cette novlangue pour gogos dont ils ont le secret :

« Il est un peu illusoire de chercher à le savoir aujourd’hui, car on est dans un différentiel d’investissement. »

Vous comprenez du moment qu’on est dans un « différentiel d’investissement », ça change tout et son contraire. Du moment qu’elle peut gager nos factures, «la capacité d’investissement d’Edf sera au rendez-vous».

Jean-Marie Brom

 Tous ces éléments expliquent et confortent l’hypothèse de Jean-Marie Brom. Elle ne date pas d’aujourd’hui. J’en avais parlé avec lui en septembre dernier.
Pour le physicien, chercheur au CNRS et porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire :

« l’ASN a refilé le bébé au politique en demandant des travaux, qui n’ont toujours pas été lancés, et qui sont à la limite du faisable, comme le renforcement du radier, dont on se demande bien comment il va être réalisé. Selon moi, Fessenheim est condamné, je ne serais pas surpris que Sarkozy annonce bientôt sa fermeture en 2013. L’ASN va indiquer combien coûterait le renforcement du radier, Sarkozy va dire qu’on ne peut pas faire ça aux Français, qu’il faut être raisonnable. La centrale sera jetée en pâture aux antinucléaires, qui penseront qu’il s’agit d’une première fissure dans le mur, alors qu’il s’agit d’abandonner Fessenheim pour ne pas abandonner le reste. Fessenheim produit environ 2 % de l’énergie nucléaire française, on exporte six fois plus, il suffira donc de réduire les exportations pour ne pas voir la différence. Il faudrait fermer quatre ou cinq centrales pour que cela nous force à réfléchir. Le nucléaire a toujours été politique, la décision d’en sortir sera aussi politique ».

Difficile de savoir aujourd’hui si le coup sera jugé payant mais il est possible. Le recyclage de Claude Allègre ne plaide cependant pas dans ce sens.
Aux arguments techniques et financiers, on peut ajouter la demande politique des grandes villes environnantes que sont par exemple Bâle et Strasbourg qui ont demandé la fermeture de la centrale. Celle-ci constituerait un heureux signal pour dire qu’il y a un après Fukushima et que l’heure d’un changement d’époque a sonné. Pas besoin d’attendre une nouvelle catastrophe. L’Allemagne est entrain de prendre une sérieuse avance sur la France.

Sources : Le rapport de l’ASN ; la déclaration d’Henri Proglio et celle de Jean-Marie Brom. Et sur le wagges.